Back in black (and white)

The Artist à Cannes : nostalgie du muet en noir & blanc

Festival / Récompenses | Par Julien Di Giacomo | Le 12 mai 2011 à 12h44

On vous l'annonçait au début du mois, la dernière surprise de taille du Festival de Cannes a été l'entrée en compétition du dernier film de Michel Hazanavicius, qu'on connaît officiellement pour ses OSS 117 et officieusement pour La Classe Américaine. Le film en question, The Artist, devait jusque-là être projeté hors-compétition quand il a subitement rejoint la compétition officielle, devenant ainsi le quatrième film français à concourir pour la Palme d'Or, aux côtés de L'Apollonide, Pater et Polisse.

On peut néanmoins être sûrs que The Artist fera sensation tant il est audacieux : le film d'1h40 est entièrement muet et en noir et blanc. L'occasion pour nous de revenir sur deux aspects capitaux de l'histoire du cinéma, le son et la couleur. Comment sont-ils apparus, comment ont-ils révolutionné le 7e Art, qui sont les dissidents qui résistent et s'acharnent encore et toujours à perpétuer la tradition d'un cinéma à l'ancienne ? On vous dit tout.

Avant la grosse industrie, l'artisanat
L'idée de projeter des images en couleur et avec le son y correspondant illumine le 7e art dès la création de ce dernier. On reconnaît généralement l'année 1895 et la projection publique du très court-métrage (45s) La Sortie de l'Usine Lumière à Lyon comme marquant la naissance du cinéma. A peine un an plus tard, Georges Méliès colore déjà les pellicules de son film Le Manoir du Diable? à la main !

Au fil du temps, le procédé s'automatise petit à petit et les teintes utilisées prennent des allures plus réalistes, mais reste toujours coûteux et difficile à mettre en place. C'est pourquoi la couleur fait d'abord des apparitions timides, n'illuminant que quelques scènes au milieu de films qui restent majoritairement en noir et blanc. Pour vous faire une idée de ce à quoi ressemblaient les scènes en question, voilà un extrait du Fantôme de l'Opéra... une vraie petite révolution pour son époque :


Le Bal extrait de Le Fantôme de l'Opéra

Une dizaine d'années plus tard, la phrase transitive des films mixtes est finie, et les spectateurs peuvent ravir leurs pupilles du début à la fin de la projection. L'industrie peut alors s'attaquer à un autre problème : l'amélioration de la qualité des couleurs. Sans rentrer dans les détails techniques, disons juste que le problème est résolu par une société qui a de l'avenir, puisqu'on voit encore aujourd'hui son nom s'afficher sur tous nos génériques : Technicolor. Avec les résultats obtenus sur les images de Becky Sharp, ils prennent définitivement la tête du marché

Le mur du son
Le passage du muet au sonore se fait très rapidement, dans la seconde moitié des années 20, via le vitaphone. Cette "technologie" peut faire rire aujourd'hui : pendant que l'image est enregistrée par une caméra, on enregistre le son à part grâce à une sorte de phonographe dont les disques correspondent à la durée d'une bobine de pellicule (11 minutes). La projection du film demande alors du projectionniste qu'il soit rapide et réactif, puisqu'il doit lancer la pellicule et le disque au même moment, faute de quoi le son et l'image se désynchronisent !

C'est en 1927 que se produit un réel tournant majeur de l'industrie, avec la projection de The Jazz Singer, produit par les frères Warner. Le film utilise principalement la synchronisation sonore pour des scènes musicales et, en réalité, ne contient que 2 minutes de dialogues. Tout de même, le succès est immédiat : une page vient de se tourner dans l'histoire du cinéma. En dépit de difficultés techniques considérables, tout le monde ou presque se met au sonore, et, en une dizaine d'années, le muet a presque complètement disparu.

Une scène mixte de The Jazz Singer, dans laquelle le réalisateur a habilement fluidifié la transition entre les deux formats. Le "stop !" du père met fin non seulement à la chanson d'Al Jolson, mais aussi à la parole en elle-même :


Retrouvailles tumultueuses extrait de Le Chanteur de jazz

Une évolution tout en nuances
La disparition du noir et blanc est un phénomène plus diffus et plus étiré dans le temps. Il est donc plus difficile à délimiter. Si des films comme Le Magicien d'Oz en 1939 prouvent que le public a déjà goûté au raffinement du Technicolor, il faut tout de même rappeler qu'en 1955, presque 50% des films tournés aux Etats-Unis le sont encore en noir et blanc.

Pour simplifier les choses, on peut dire que ce sont surtout les films évoquant une autre époque ou un univers empreint de magie (comme les films historique et les comédies musicales) qui ont d'abord adopté la couleur. A l'inverse, les films plus sérieux, et surtout les films noirs et les drames, ont conservé les nuances de gris qui font leur charme. C'est particulièrement flagrant dans la filmographie de Stanley Kubrick : il tourne Spartacus en couleur avant de tourner, deux ans plus tard, Lolita en noir et blanc.

La disparition de la grisaille graphique s'est donc faite sur une période de temps extrêmement longue, même si, début des années 70, son usage systématique arrive à son terme. Les films qui sont alors tournés en noir et blanc doivent être considérés comme des cas particuliers, bien qu'ils restent encore nombreux.

La persistance de l'esthétique rétro
Pour des grands réalisateurs comme Steven Spielberg (avec La Liste de Schindler), Martin Scorsese (avec Ragin Bull) ou Francis Ford Coppola (avec Tetro), ce choix est clairement artistique : l'absence de couleur donne une dimension intemporelle aux films. Pour Robert Rodriguez et son fameux Sin City, au contraire, l'usage de pointes de jaune, de rouge ou de bleu dans un univers sans autres couleurs est l'occasion de se démarquer par une avancée technologique.

En 1998, le film Pleasantville, dans la veine de Cool World et Qui Veut La Peau de Roger Rabbit ?, pratique une intéressante mise en abîme de son propre média en faisant se rencontrer personnages réels et personnages de fiction : un frère et une soeur entrent dans un téléviseur et apportent de la couleur dans le monde terne d'un feuilleton en noir et blanc.


Cacher extrait de Pleasantville

Le muet peine à se faire entendre
A l'inverse, les films contemporains faisant appel au muet son rares. L'exemple le plus célèbre est peut-être le Silent Movie de Mel Brooks (honteusement renommé "La dernière folie de Mel Brooks" pour sa sortie française), hommage humoristique à la comédie slapstick de Buster Keaton ou de Chaplin, qui ont dû jouer un rôle capital dans la construction de son propre style.

En règle général, c'est le cinéma indépendant qui tente le pari du muet. Aki Kaurismäki avec Juha en 1999, Renato Falcao avec A Festa de Margarette en 2003 ou Rolf de Heer avec Dr Plonk en 2007 ont tous apporté silencieusement leur pierre à l'édifice. En 2008, Michael Pleckaitis imitait Pleasantville en pratiquant une ingénieuse mise en abîme du format : son film, Silent, racontait l'histoire d'une jeune fille se découvrant une voix dans un monde sans sons. De quoi faire disserter plus d'un cinéphile?

The Artist s'inscrit clairement dans cette mouvance revival et vintage. Hazanavicius prétend que le projet lui trottait dans la tête depuis déjà une dizaine d'années et, cinéphile comme il est, on veut bien le croire sur parole. La présence de Jean Dujardin au casting peut sembler incongrue pour faire revivre la magie des années 20, mais souvenez-vous que les comédiens de l'époque, privés de parole, devaient faire passer l'émotion et l'expressivité par l'attitude, la gestuelle et les expressions faciales? Atouts qui se trouvent justement être des spécialités de Dujardin.

Pour la bande-annonce de The Artist, ça se passe ICI.

Sources : Wikipedia

À ne pas rater...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -