Trois films sinon rien

Le Seigneur des Anneaux version Weinstein : retour sur une relation houleuse

Dossier | Par Alexandre Hervaud | Le 29 août 2012 à 11h10
Tags : air cinéma

Cet été, Vodkaster vous propose de découvrir Air Cinema : une série de programmes courts et décalés donnant une folle seconde vie aux films cultes et à leurs inoubliables VF. Un rendez-vous incontournable pour tous ceux qui aiment les films et les moustaches. Cette semaine : Le seigneur des anneaux.


Le Seigneur des Anneaux par Air Cinéma par AirCinema

La nouvelle est connue depuis la fin du mois de juillet : le Hobbit, nouvelle percée de Peter Jackson dans l'univers heroic fantasy de J.R.R Tolkien, sera une trilogie. La chose a surpris compte tenu de la taille de l'ouvrage de référence, Bilbo le Hobbit, et avait inspiré la méfiance de certains observateurs comme les trublions de BadAss Digest qui avaient annoncé : « c'est officiel : un livre pour enfant de 300 pages devient une trilogie ». Le Seigneur des Anneaux en compte au total plus du triple...

Paradoxalement, c'est le sort inverse qui avait menacé la première trilogie lors de sa pré-production à la fin des années 90 : certains l'ont depuis oublié, mais le public a évité de justesse l'ignominie suprême, à savoir la sortie d'un seul et unique film concentrant tant bien que mal les trois volumes écrits par Tolkien à grand renfort de coupes foireuses. L'origine d'une telle menace est encore visible au générique de la trilogie lorsque apparaissent à l'image les noms du terrible duo de frangins producteurs, Bob et Harvey Weinstein :

Générique du Seigneur des anneaux

Inutile de ressasser ad nauseam ce que tout cinéphile moyen connaît de la réputation des frères Weinstein, producteurs entre autres de Tarantino et Rodriguez mais également d'une brouette de machines à Oscars. Leur dernier en date, The Artist, leur donne dans la presse mainstream l'image de pygmalions cinéphiles, étendards du cinéma indépendant. Il n'en est en réalité rien ou si peu, ces deux filous ayant un caractère et une vision de l'art plus que contestables. Il faut absolument lire à leur sujet le fascinant pavé de Peter Biskind sorti en 2004, Sexe, Mensonge et Hollywood (traduction française putassière de l'original Down and Dirty Pictures: Miramax, Sundance, and the Rise of Independent Film). Les méthodes des deux frangins y sont disséquées sans fioriture et laissent un goût amer au lecteur ingénu pensant qu'une société derrière Pulp Fiction ne saurait malmener à ce point les artistes.

Shakespeare in Love en Terre du Milieu

Mais revenons à la houleuse relation entre Peter Jackson et les Weinstein, que le metteur en scène néo-zélandais avait bien décrit en 2005 à la sortie de son beau King Kong. La collaboration, jugée « tendue, horrible », a basculé en 1997 quand les frangins, alors à la tête de Miramax, studio soit-disant indépendant mais en réalité propriété de Disney, annoncent à Jackson qu'il doit adapter la saga de Tolkien en un seul film de deux heures. En cas de refus, un scénariste remplaçant est déjà dans les rangs pour reprendre le projet dont la mise en scène sera alors confiée au fadasse John Madden (Shakespeare in Love). Cette nouvelle arrive après un travail de près de 18 mois sur le script avec sa femme, Fran Walsh.

Dépité, Jackson cherche sans trop y croire un studio plus bienveillant sur la chose. Grâce à un making of préliminaire montrant quelques idées de scènes, New Line décide de porter le projet sous la forme d'une trilogie, et les intraitables frères Weinstein concèdent les droits moyennant un large pourcentage sur les recettes (la manoeuvre leur rapportera des millions) et un crédit de producteurs délégués même si l'on imagine pas un seul instant qu'ils aient posé les pieds sur le tournage en terre kiwi. Pour témoigner, ému, de la violence des échanges avec le duo de producteurs, Jackson a depuis confessé avoir bu son premier verre de scotch à l'issue de l'ultime réunion catastrophique avec les lascars, dévasté par leur approche de grippe-sous, absolument pas intéressés par l'univers de Tolkien.

Pour peu que l'on soit amateur d'uchronies terrifiantes, on peut se faire du mal en imaginant un unique film Seigneur des Anneaux produit par les Weinstein réalisé par un Peter Jackson qui aurait abdiqué : sans doute aurions-nous subi un condensé cheap mixant deux voire trois personnages en un seul, coupant des scènes insécables (comme la bataille du Gouffre de Helm) pour gagner du temps et de l'argent, le tout se terminant in fine dans d'éventuelles suites encore pire balancées en direct-to-video - une triste habitude chez les Weinstein, connus pour saloper leurs franchises, cf les Hellraiser qui n'ont plus grand chose à voir avec le classique de Clive Barker.

Peter Jackson sur le tournage du Seigneur des anneaux

La lettre de la discorde

On s'arrêtera là dans l'énumération morbide, mais on peut malgré tout s'amuser - façon de parler- à imaginer une énième fourberie d'Harvey Weinstein à la lecture d'une lettre envoyée par ses soins en 1988 à un réalisateur dont il distribuait le documentaire. Cette missive improbable, exhumée en 2010 par le site Letters of Note et récemment tweetée par Christophe Courtois, est un modèle de bassesse dans laquelle le mogul invective son réalisateur pas assez doué pour la promotion à son goût, un certain Errol Morris. Cynique à souhait, Weinstein n'y va pas par quatre chemin et ose écrire : « si tu continues d'être ennuyant [en interview promo], j'engagerai un acteur à New-York qui fera semblant d'être toi ». On vous invite à lire l'originale avant de découvrir « notre » version de la chose qu'aurait pu envoyer Weinstein à Peter Jackson en 2011 à la sortie de « son » Seigneur des Anneaux :

MIRAMAX FILMS
08 décembre 2001
Peter Jackson
c/o Wingnut Film
15208 Miramar, Wellington.
New Zealand

Cher Peter,

J'ai vu ton interview sur CNN et tu étais chiant. Tu ne m'aurais pas convaincu d'aller voir le Seigneur des Anneaux même en me payant pour le faire.
Il est temps pour toi de la jouer performer et de comprendre les medias.

Répétons ensemble :
Q : De quoi parle ce film ?
R : C'est une aventure hors du commun. Les scènes d'action sont plus épiques que Matrix, c'est un trip féerique haletant, un Harry Potter plus ambitieux

Parle avec des phrases courtes, ne la joue par barbu barbant pour gros geeks. Cause du film et de son impact émotionnel sur le public. Si tu as des suggestions, je suis partant (mais évite).
Fais court et vendeur, c'est la seule façon pour que ça marche pour ton film et ta carrière. Et ne tiens pas compte des critiques de fans du bouquins sur le Net, c'est pas ces branleurs qui feront le succès du film !

Cordialement,
Harvey Weinstein.

Puisse le chemin du réalisateur de Bad Taste et Créatures Célestes ne jamais recroiser le chemin du producteur de Gangs of New York, Clerks 2 et Les Frères Grimm. Et eu égard à ces derniers exemples, on peut bien entendu souhaiter la même chose à Martin Scorsese, Kevin Smith et Terry Gilliam.

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3 commentaires
  • gaugamelle
    commentaire modéré Un film ? Dans les bonus de "La Communauté..." Jackson dit que Miramax voulait deux films. Bref, en tout cas heureusement pour tout le monde que New Line a pris les devants...
    29 août 2012 Voir la discussion...
  • AlexHervaud
    commentaire modéré @gaugamelle au début, en effet, Miramax souhaitait 2 films, un moindre mal. Mais quand Disney, la maison mère, n'a pas suivi niveau budget, les Weinstein se sont résolus à condenser le truc en un seul métrage.
    29 août 2012 Voir la discussion...
  • gaugamelle
    commentaire modéré Ça n'était pas dit, au temps pour moi alors. ;)
    29 août 2012 Voir la discussion...
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