Sortir des cases

La nouvelle vague de la BD française, l’avenir de l’animation classique au cinéma ?

Dossier | Par AG | Le 17 juillet 2013 à 11h26

L'été est enfin arrivé et avec lui les films qui rythment nos vacances. Ainsi, le 17 juillet sort Aya de Yopougon, l'adaptation au cinéma de la bande dessinée de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie. Ces vignettes colorées appartiennent à ce que certains nomment « la Nouvelle Vague de la bande dessinée française ». À l'heure où Disney annonce la fin de l'animation classique par ses studios et où les adaptations indépendantes se multiplient, quel est véritablement l'avenir de l'animation classique au cinéma ?

Aya de Yopougon, bouger son tassaba pour se faire une place au soleil

À l'occasion de la sortie du film, nous avons eu la chance de rencontrer Clément Oubrerie (le dessinateur) et Aïssa Maïga (la voix d'Aya). Alors que l'on s'installe tranquillement dans les fauteuils confortables et dépareillés du Comptoir Général, la discussion commence par l'expression de ce désir simple et curieux d'une adaptation au cinéma. La BD, qui s'est vendue à 500 000 exemplaires, n'avait pas nécessairement besoin d'un nouveau support, alors pourquoi ?

« Il manque quand même des dimensions qu'on a du mal à retrouver dans la bande dessinée, en particulier la musique, le son, la manière de parler, la gestuelle. De plus, le cinéma est quand même un mode d'expression beaucoup plus riche et beaucoup plus complet, avec une immersion beaucoup plus forte que la bande dessinée. » nous explique Clément Oubrerie.


Je veux devenir médecin., extrait de Aya de Yopougon

Aya de Yopougon n'est pas un film d'africaniste, c'est un film sur la multiculture, la vie, les joies et les peines, c'est un film qui parle à tous. Ce point est particulièrement important pour nos deux interlocuteurs. Aïssa en parle d'ailleurs très bien :

« La première chose, c'est que je vais vers un projet. Je ne suis vraiment pas là pour soutenir des nationalités. Il faut que profondément le travail de l'auteur, du dessinateur en l'occurrence, du réalisateur ou de la réalisatrice, me parle. Tout simplement. On a, en tant qu'artistes, un langage commun, universel, transnational. Ensuite, si ce projet se trouve être un projet africain, pour moi ça ne peut qu'être un plus puisqu'effectivement, il y a un désert. Les productions africaines sont très rares (en tout cas en Afrique francophone), c'est très dur pour les cinéastes de monter leur film, ils doivent être à la fois metteur en scène, auteur, producteur, ils doivent tout faire et c'est tout de même très compliqué. Ce vide se ressent d'un point de vue de l'imaginaire qui n'est pas renouvelé et n'est pas en phase avec la manière très rapide dont les capitales africaines évoluent ».

Le dessin crée une distance, la voix off serait un regard caméra, le trait dépareillé est une adresse directe au public. Le spectateur prend une certaine distance avec la réalité tout en y étant sensible. Ce recul, propre aussi à l'humour africain qui transpire du film, n'impose rien de moralisateur, rien de pédagogique. Le traitement intelligent et astucieux des situations suffit à créer toute la subtilité du film (comme pour Persepolis, Poulet aux Prunes ou Le chat du Rabbin).

La démarche pour créer un film d'animation est à mille lieues de celle nécessaire à la création d'une BD. Comme l'explique Aïssa, « c'est une ruche, il y a à peu près une centaine de personnes : dessin, animation, colorisation, décor, personnages... Tout est extrêmement décomposé ». En 2007, Clément Oubrerie crée Autochenille Production avec Joann Sfar et Antoine Delesvaux (ils ont aussi produit Le chat du Rabbin). Il y a une véritable volonté de la part de ces nouveaux créatifs de s'exporter : « Les lecteurs d'Aya commencent à l'âge de 10-11 ans, alors pourquoi pas le film à cet âge-là ? On a rien transformé pour que ça s'adresse spécialement aux enfants, on connaît la difficulté de créer un film d'animation qui s'adresse aux adultes. C'était déjà le cas pour Persepolis et Le Chat du Rabbin. » argumente Clément Oubrerie. Ce phénomène assez récent, l'adaptation au cinéma de cette « Nouvelle Vague de la BD française », pose la question de cette culture de masse qui se drape d'originalité et crée un véritable engouement générationnel.

La Nouvelle Vague de la bande dessinée française

L'histoire de la bande dessinée trouve ses origines au XIXème siècle. Si cette dernière a déjà eu plusieurs existences, elle connaît aujourd'hui en France une véritable renaissance. De Lewis Trondheim à Nicolas de Crécy, Joann Sfar, Fabrice Néaud, David B. en passant par Marjane Satrapi ou même Dupuy & Berberian, la liste devient de plus en plus longue. Bien du temps a passé depuis Hergé et son reporter belge. Les années 70 furent la décennie glorieuse de la BD en France, les lecteurs s'étant entichés de héros comme Corto Maltese, Tintin, Astérix ou les Schtroumpfs, dont l'exportation fut fulgurante (et c'est encore le cas aujourd'hui). Après la mode du roman graphique, la BD revient sur le devant de la scène dans les années 90, et c'est à cette génération qu'appartiennent les fameux protagonistes de la Nouvelle Vague BD.

Une mini-révolution s'opère et les règles changent grâce à la création de L'Association. Cette dernière favorisera (à ses dépends) la création de pôles de création pour des bandes dessinées plus indépendantes au sein même des plus grosses maisons d'édition. Le mouvement alternatif indie est en marche et continue sa progression encore aujourd'hui. Cette volonté de créer différemment permet à des films comme Aya de Yopougon d'exister (publiée par Gallimard mais éditée par la Collection Bayou dirigée par Joann Sfar). Peu à peu, à cette Nouvelle BD des années 90 se greffe (avec difficulté jusqu'à une stabilitsation en 2005) la « Nouvelle Nouvelle BD » de la génération internet : Boulet, Pénélope Jolicoeur (Joséphine a été adapté au cinéma cette année), Maliki, Miss Gally et bien d'autres.

La mort de l'animation classique par Disney, des portes ouvertes pour les indépendants

En avril 2013, Disney annonçait l'abandon (momentané ?) de l'animation traditionnelle par ses studios. Ce coup de tonnerre que l'on sentait arriver depuis longtemps, a une énorme signification pour l'animation indépendante. En effet, face à l'impérialisme des studios et l'universalisation de la culture, des projets plus petits et plus indépendants peuvent sortir la tête de l'eau :

« Si Disney annonce la fin de l'animation classique ça donne plus de place à un film comme Aya. Il faut proposer des alternatives à la mondialisation et à l'uniformisation de la culture en général et des dessins animés en particulier. Ce qui se passe aux USA est un peu inquiétant dans le sens où il s'agit de plus que d'une affaire de business ou de rentabilité. Les sommes en jeu sont énormes, ainsi que les gains et les pertes. Nous, évidemment, on ne peut absolument pas entrer en compétition avec des budgets de ce niveau-là. Par contre, on peut proposer quelque chose d'alternatif qui soit plus poétique, plus personnel et qui, du coup, va certainement plaire à moins de monde que le dernier Pixar ou le dernier Disney. Ce sont des histoires de proportions, je ne pense pas que l'on fasse 250 000 de dollars avec Aya. Mais je pense que le film s'exportera très bien. D'ailleurs, je pense que c'est déjà le cas, il a déjà trouvé beaucoup de débouchés sur les marchés internationaux avant sa sortie et je souhaite qu'il ait un beau succès à l'étranger. Mais ce ne sont pas du tout les mêmes ordres de grandeur. Ce que je constate avec la 3D, que j'aime beaucoup en soit, c'est que le rendu est totalement uniformisé, très réaliste, très beau, très poussé, mais quand même très standardisé. Pour notre part, nous n'avons pas pour vocation de faire un parc d'attraction, nous avons pour vocation de faire un film qui nous plaise avec les moyens que l'on a. » déclare Clément Oubrerie.

©2012-2013 Alicechan

Alors, un film comme Aya de Yopougon a-t-il sa place aux Etats-Unis comme le soutient Aïssa Maïga ? On le sait, la culture indépendante finit fatalement par être aspirée par la culture mainstream. Certains voient cela comme une véritable tragédie. Pourtant, n'est-ce pas une solution pour faire entendre cette voix alternative ? Le rejet d'une certaine caste pour des sites comme Pitchfork en musique, qui pour eux prônent l'indie culture en la vendant au méchant mainstream, est un exemple significatif du tiraillement aujourd'hui créé dans les strates culturelles. Il en va de même pour la BD et le cinéma.

Universalisation, mainstream et fin du monde culturel

Qu'est-ce que le mainstream ? « Le mot, difficile à traduire, signifie littéralement "dominant" ou "grand public", et s'emploie généralement pour un média, un programme de télévision ou un produit culturel qui vise une large audience. Le mainstream, c'est l'inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches ; c'est pour beaucoup le contraire de l'art. Par extension, le mot concerne aussi une idée, un mouvement ou un parti politique (le courant dominant), qui entend séduire tout le monde (...) La définition européenne de la culture historique et patrimoniale, élitiste souvent, anti-mainstream aussi, n'est plus forcément en phase avec le temps de la mondialisation et le temps numérique. ». Frédéric Martel, Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde

Il faut prendre cette définition dans un contexte d'une guerre des parts de marché et non pas sur un postulat qui voudrait que la sous-culture ne soit pas dans une démarche de visibilité (et donc, de séduction du public). La sous-culture n'appartient généralement pas au même catalogue de valeurs et d'ambitions, tout simplement. Cependant, ce que révèlent ce constat et cette définition est alarmant, la culture de marché étouffe les plus petits de sa poigne massive. Bien que l'espoir soit mince, et l'exportation de films aussi poétiques et originaux que Aya de Yopougon, Le Chat du Rabbin ou Persepolis soit toujours moindre que celle de films appartenant aux studios Sony ou Dreamworks (qui verront peut-être en cette défaite de Disney une opportunité pour prendre le relai), ils permettent de craqueler le modèle de part et d'autre.

L'universalisation n'est pas une fin en soi du moment qu'elle se trouve quelques adversaires. La création, c'est la naissance de projets imaginés dans des cerveaux particuliers, un désir d'émulation, c'est aussi l'imagination et le dialogue des cultures. La création, c'est la diversité.

La BD au cinéma

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9 commentaires
  • Santal
    commentaire modéré Merci de nous pondre autant d'articles intéressants !
    D'apres moi l'animation trditionnelle a de beaux jours devant elle, surtout que ce n'est pas un secteur surexploité ...
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • melandir
    commentaire modéré A propos, est-ce que Le Chat du Rabbin s'était bien exporté à l'international ?
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • ElmerHunter
    commentaire modéré Bravo à @Naginie et @gustaveshaimi pour vos excellents dossiers !
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • ElmerHunter
    commentaire modéré @melandir Le Chat du Rabbin a réalisé un peu moins de 4M$ de recettes internationales, ce qui est pas génial mais loin d'être honteux pour un auteur et une BD très peu connus à l'étranger.
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • Kikuchiyo
    commentaire modéré @ElmerHunter Merci ;)
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • ilmra
    commentaire modéré D'accord avec les autres sur l'excellence de tes dossiers.
    J'y vais ce soir voir Aya.
    Oui, ce qu'il nous faut, et encore plus quand il s'agit d'animation, c'est de la poésie... de la poésie et de la nuance, du beau...
    Et pour cela, la mainstream "culture" peut aller se rhabiller ! Et pour cela, la nouvelle vague de BD française ( ou pas française, je pense à Chico & Rita ) a de l'avenir...
    Les parents ou grands-parents de ces petits que l'on éveille ( pas tous hélas ) préfèrent proposer du beau et du poétique ( genre Ernest et Célestine ) et ne sont pas pour cette uniformisation ou ce placage au sol "culturel" mainstream.
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • ilmra
    commentaire modéré @ElmerHunter
    Oui, déjà bien, d'autant que l'histoire, pour être savourée, suppose un brin de connaissances sur l'histoire du Maghreb et les enjeux méditerranéens ( que tous les pays n'ont pas )et quelques ref BD.
    Mais c'est super qu'il existe des films et des dessins animés qui ne se prétendent pas "universels" et accessibles à tous... qui gardent une couleur locale et obligent ceux qui s'y intéressent à regarder par le petit trou de la lorgnette.
    Sinon, on ne voit plus que "l'archipel mondial", et le reste est noyé !
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • ElmerHunter
    commentaire modéré @ilmra Bien d'accord avec toi, et après vérification j'ai pu voir que la nouvelle BD française s'exporte bien aux USA, où il y a un vrai public exigeant et curieux qui a une forte culture du "graphic novel" qui va plus loin que les amateurs de comics.
    Ce qui fait la force de l'animation traditionnelle française et aussi européenne c'est une vraie tradition du dessin, du trait singulier qui amène une poésie sans pareil, qui trouve son origine notamment dans la BD.
    Ce qui n'empêche pas les français d'être aussi excellents en 3D, nombreux sont les techniciens qui travaillent pour les grosses productions US, et les ingénieurs français excellent également dans la recherche et le développement de logiciels pointus pour le cinéma d'animation par ordinateur.
    Dommage que la production française se donne rarement les moyens d'exploiter ces talents, mais on ne peut avoir la même force de frappe que les studios Pixar ou Dreamworks.
    17 juillet 2013 Voir la discussion...
  • huitetdemi
    commentaire modéré Un mois plus tard, je tombe sur ta belle bafouille @Naginie.
    Juste deux ou trois petits détails. Je n'ai jamais entendu parler du vocable "nouvelle vague" ; alternative (avant-garde, parfois) : oui, mais "nouvelle vague" ?
    C'est mon "dada", mais le terme "BD" transpire tout ce que je n'aime pas dans la bande dessinée : l'inculture, le voyeurisme et le fan-clubisme…
    Mis à part mes enculages de cicindèles, l'article est vraiment pas mal.
    18 août 2013 Voir la discussion...
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