« J'ai écrit Polisse pour Joey Starr »

Entretien avec Maïwenn, la réalisatrice de Polisse

Rencontre | Par Nathan Reneaud | Le 18 octobre 2011 à 10h27

Dans Polisse, Maïwenn dépeint le quotidien de la Brigade de Protection des Mineurs. Un univers peu familier, jamais vu au cinéma et, selon la réalisatrice, le parent pauvre de la police : « On donne plus de moyens aux brigades qui attirent les médias ».

Maïwenn dit avoir été marquée par un documentaire sur la BPM mais, en réalité, tout est parti d'une histoire d'amour. La sienne, d'abord, avec Joey Starr puis celle qu'elle voulait raconter entre un policier et une jeune fille issue d'un milieu populaire, qu'elle a déjà vu en fait dans Police de Maurice Pialat. C'est le titre qu'elle voulait pour son troisième long métrage. Dans Polisse, finalement mal orthographié comme un mot d'enfant qui apprend à écrire (superbe idée vu le sujet), il reste un peu de Pardonnez-moi et du Bal des actrices : la culpabilité des aînés, la troupe, la mise en abyme. Imparfait dans sa reconstitution du monde policier, Polisse émeut quand il s'attache aux tracas personnels et sentimentaux hors commissariat. Preuve que la romance a été la véritable inspiration de Maïwenn. Si une série télé sur la BPM devait voir le jour, elle en déjà réalisé le pilote. Discussion avec la jeune femme qui a reçu le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes.

Comment la Brigade des Mineurs vous a-t-elle accueillie lors de votre préparation ?

Il faut savoir que la BPM est divisée en deux groupes. Il y a l'opérationnel et l'intra-familial. D'emblée, j'ai su que je serais plus intéressée par le deuxième groupe, puisque je pouvais y voir les policiers intervenir au sein des familles. Certains étaient contents de m'avoir avec eux, ou juste curieux de savoir ce que j'allais faire de toute la matière qui s'offrait à moi. D'autres étaient réticents à l'idée d'accueillir une personne extérieure. Un regard étranger pendant les gardes à vue n'est pas anodin ; ça peut troubler les victimes ou le prévenu. Quand je sentais que je dérangeais, je partais.

Vous êtes resté combien de temps ?

Je ne peux pas le dire.

Toutes les histoires que vous racontez dans Polisse s'inspirent de faits réels ?

Oui. Certaines même racontent les faits tels qu'ils se sont passés. J'ai voulu montrer la routine de la BPM. A part l'histoire du prévenu venant d'un milieu privilégié (interprété par Louis Do de Lencquesaing, ndlr), qui est plutôt rare, toutes les autres reviennent assez quotidiennement.

Est-ce que vous vous êtes nourrie du cinéma pour préparer le film ?

Oui, énormément. J'ai voulu voir tout ce qui avait été fait sur la police jusqu'à présent. Aussi bien les documentaires que les fictions. Même les mauvais films, les séries télé. Après, je ne sais pas si ça m'a nourri. En tout cas, j'avais une énorme curiosité. Et puis c'est toujours intéressant de découvrir des films. Quand j'ai fait Le bal des actrices, ça m'intéressait de voir tout ce qui avait été fait sur les acteurs, les actrices, sur les films de tournage, sur le système de la mise en abyme. Pour la police, j'ai voulu faire la même chose. J'en tire certaines leçons mais pas énormément. Et puis quand un film est bon, on se laisse aller, sans penser à comment il a été fait. Des films comme La Nuit nous appartient de James Gray, Le Petit lieutenant (de Xavier Beauvois, ndlr) ou Police de Pialat, c'est vertigineux mais ce qui retient mon souffle ce sont surtout les documentaires. Surtout le travail de Virgil Vernier, le réalisateur de Commissariat.


Les flics, ils ont pas d'humanité extrait de Commissariat

Il y a quelque chose d'assez surprenant à voir Joey Starr en policier. Vous avez eu du mal à le convaincre ?

J'ai écrit le film pour lui. Non, je n'ai eu aucune difficulté à le convaincre. Il était très content.

Puisqu'on parle de Joey Starr, comment avez-vous tourné la scène où l'enfant est arraché à sa mère et pleure dans les bras de l'acteur ? Elle sonne incroyablement vrai. Le jeu du petit garçon est juste et intense, comme s'il avait déjà vécu cette situation. On a l'impression que tout ça s'est réellement passé et que vous étiez présente à ce moment-là.

J'ai eu un coup de chance. L'enfant que j'ai choisi était un bijou de vérité. Franchement, je n'ai pas fait grand-chose. Ce n'est pas de la fausse modestie de ma part. On a fait que deux prises pour cette scène : une très bonne, et une autre pour peaufiner, pour avoir d'autres axes. Dès qu'on lui disait « ça tourne », il se mettait dans son personnage. C'est un enfant qui ne parlait pas du tout, qui était très intimidé par le plateau, qui n'avait jamais tourné de sa vie. Là, il était avec sa vraie maman. Donc j'imagine que quand la scène se met en place, tout ça peut lui paraître vrai. Mais il n'a jamais été confronté au fait d'être séparé de sa maman. Sur le tournage, je cadrais bien les choses avec les enfants qui jouaient. Je leur disais bien avant « on fait du cinéma, c'est pour de faux. C'est du travail que tu fais. A la fin de ce travail, tu vas être payé. Moi, j'ai envie de te faire un cadeau. » Cet enfant ne l'a pas oublié. A la fin du tournage, il m'a demandé de lui offrir un hélicoptère télécommandé.

Vous-même vous avez été encadrée par des professionnels ?

Sur le tournage, une psychologue pour enfants et une représentante de la DASS me suivaient pas à pas pour être sûrs que je ne déviais pas de mon scénario, pour vérifier que les enfants disent bien le texte qui était écrit, au mot près. Le combat le plus intense et le plus dur a été d'obtenir l'autorisation de les faire tourner. La DASS m'a fait signer un papier qui m'engageait à ne tourner que ce qui était écrit. Les gens qui me connaissent le savent : même si je signe quelque chose, je suis toujours prête à tout pour le bien d'un film. Cette fois, j'ai eu envie de tenir mes engagements. J'ai dû modifier plusieurs fois le scénario. Je n'ai pas pu tourner certains dialogues. Mais, en fin de compte, la présence de la DASS a été bénéfique. J'ai suggéré au lieu de montrer. L'imaginaire est plus fort que la vision des choses. Je pensais quand même que la DASS avait tort de prendre les enfants pour plus bêtes qu'ils ne sont. On me disait : « Attention, jouer quelque chose de l'ordre de l'intime peut avoir un effet sur eux. Ils ne vont pas faire la différence entre la réalité et la fiction. » J'ai tourné étant enfant et je sais qu'on est assez intelligent à cet âge pour savoir quelle est la part du vrai et du faux. Le fait de parler d'attouchement pouvait avoir de graves répercussions sur leur vie future, plus que le fait de voir sa « mère » se faire décapiter dans un film d'horreur. C'était leur argument. Je n'étais pas d'accord mais je ne pouvais pas me permettre de prendre des risques.


Départ en mission extrait de Polisse

C'était important pour vous de jouer dans le film ?

Euh? non? pas vraiment.

Mais vous l'avez fait, vous auriez pu distribuer votre rôle à une autre actrice ?

Oui, mais j'aime bien faire l'actrice (rires). Je reconnais que j'ai mis la barre trop haut. C'était un peu trop. Mais j'avais envie de jouer ce rôle, ça faisait partie des ingrédients que je voulais dès le départ. Avant même de commencer le scénario, je voulais raconter une histoire d'amour entre un policier et une fille qui vit dans un milieu bourgeois mais qui a des origines populaires.

Polisse est un film dense, collectif, avec beaucoup de personnages. Vous entremêlez univers professionnel et drames personnels. On pourrait y voir le pilote d'une éventuelle série télé. Qu'en pensez-vous ?

Effectivement, le film est riche. Il y aurait matière à l'étirer, à s'occuper d'un personnage dans un épisode, puis d'un autre, etc. mais je n'en ai pas envie. Si ça se fait, ça ne viendra pas de moi. J'adorerais réaliser une série télé mais pas à partir de mon Polisse à moi. J'ai envie de changer.

[Spoiler] A un moment donné, l'un des personnages du film veut en finir et saute par la fenêtre. Personne ne voit venir ce geste, pas même le spectateur. Qu'est-ce qui vous a inspiré cette scène ?

Une autre histoire vraie que j'ai entendue et qui m'a bouleversée. Ce n'était pas une policière, mais quelqu'un qui travaillait à l'Association de Protection de l'Enfance. Elle était plongée dans le milieu que je décris dans le film. Moi-même, durant mon stage, j'ai ressenti la même chose. Quand je rentrais chez moi, je ne pouvais parler à personne, même pas au téléphone. Je ne voulais voir personne. Je me mettais devant la télé, je zappais, je regardais des choses qui ne me demandaient aucune réflexion, j'avais besoin de m'abrutir. Donc, je comprends qu'on pète un câble. Si on n'a pas une vie sentimentale stable, épanouissante, c'est très facile de plonger. Les pédophiles aussi m'ont ému. Je me souviens d'un qui a mis deux jours à cracher la vérité. J'étais là pendant les 24 heures de sa garde à vue. J'ai vu toutes les étapes par lesquels il est passé, en cellule, quand on le déshabille, etc. C'est bouleversant un pédophile qui réalise qu'il n'a pas vécu une histoire d'amour mais quelque chose qui est hors-la-loi. J'avais de la compassion.

Polisse était sélectionné cette année au Festival de Cannes et y a reçu le Prix du Jury. Qu'est-ce que ça change pour vous ?

Ce qui a changé c'est que le film a été vendu dans le monde entier. Ensuite, durant les premiers jours qui ont suivi, j'avais l'impression d'être en campagne électorale. On m'arrêtait dans la rue pour me serrer la main. Je ne pouvais pas faire deux pas sans qu'on me dise « bravo ». Ce qui a changé le plus, c'est ma confiance en moi. J'ai tendance à me trouver tout le temps nulle, à penser que je m'exprime mal, que travaille mal et pas assez. Je suis très dure avec les autres et avec moi-même. Mais maintenant quand je me dis ça, y a quelque chose dans ma tête qui me fait « Ding Ding ! Eh Oh ! Prix du Jury ! Robert de Niro ! » Et là, ça va mieux. Plus sérieusement, chaque film est différent. A chaque fois, on repart de zéro. Si je dois me remettre au travail demain, je me ferai les mêmes réflexions qu'avant.

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4 commentaires
  • Mari
    commentaire modéré like !
    18 octobre 2011 Voir la discussion...
  • zigzagtouch
    commentaire modéré Juste envie de rajouter que Raymond Depardon a fait un documentaire formidable sur la police : "Faits divers" (82)
    24 octobre 2011 Voir la discussion...
  • Mari
    commentaire modéré tlm a l'air de dire que la fin est à chier, qqn me raconte? spoiler needed!
    25 octobre 2011 Voir la discussion...
  • zigzagtouch
    commentaire modéré tout ce que je peux dire, c'est que la fin est à l'image du film,toujours en surchauffe et à la limite de la rupture; pour ceux qui n'ont pas accroché,elle est vraiment ridicule! spoiler wanted :)
    25 octobre 2011 Voir la discussion...
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