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Interview de Mia Hansen-Løve, la réalisatrice d'Un Amour de jeunesse

Rencontre | Par David Honnorat | Le 6 juillet 2011 à 12h46

À l'occasion de la sortie aujourd'hui (mercredi 6 juillet) de son troisième long-métrage (Un amour de jeunesse), nous avons rencontré la cinéaste Mia Hansen-Løve. S'étalant sur près de 10 ans, le film suit le destin de Camille, une jeune fille déchirée entre deux amours. Au cours de l'entretien, la réalisatrice décrit les ressorts subtils de sa mise en scène et évoque sa relation au cinéma.

L'un des enjeux importants du film était de faire état du temps qui passe. Est-ce que l'idée de faire vieillir les comédiens s'est posée ?

Il s'agit clairement d'un film sur le temps qui passe, mais je ne me suis pas imposée de règles à ce sujet lors de l'écriture du scénario. Je me suis plutôt laissée porter par mes intuitions, en accordant beaucoup d'attention à des petits moments anodins, et beaucoup moins à d'autres, je n'ai pas cherché à rendre compte de tout. Pour moi ce qui doit justifier qu'on monte telle ou telle scène c'est juste le fait qu'on ait envie de la filmer. J'ai juste écrit les scènes que j'avais envie de filmer, ensuite je les ai rassemblées et puis j'ai recherché une fluidité. Je ne me suis pas posée la question de manière théorique.

Du coup les transitions sont beaucoup plus douces et subtiles. On avance dans le temps au gré des changements de coiffures de Camille. On voit une date sur un carnet, un calendrier? cela implique une continuité assez forte et joue donc, pour le spectateur, en faveur de l'amour de jeunesse. C'est volontaire ?

Oui, je n'ai jamais cherché à restituer le passage du temps par la brutalité. Contrairement à mon premier film qui comporte une ellipse très franche, de pratiquement dix ans, qui était volontairement très brutale parce que ce qu'il y avait au milieu c'était une espèce de trou noir. Le sujet du film c'était l'absence de quelqu'un pendant des années, mais éventuellement l'absence à lui même. Or avec Un amour de jeunesse je voulais véritablement accompagner en permanence le personnage principal, qui se construit progressivement. Ça a aussi à voir avec l'image que j'ai du temps que je relie à celle du fleuve. C'est donc clairement la fluidité qui s'imposait, la continuité, la sensation que l'on est très peu de chose face au cours du temps, qui est présent dans le film en permanence.

Finalement visuellement l'une des transitions les plus fortes a lieu au début avec un iris qui se ferme et s'ouvre sur un chapeau. On comprend plus tard que ça permettait de charger symboliquement l'objet. Il y avait d'autres raisons de renforcer cette transition ?

C'était d'une part pour être effectivement très clair sur le chapeau, mais d'autre part, c'est brutal mais en même temps ça permet aussi de relier dans un même plan deux lieux très différents. L'hiver à Paris dans une boutique de fringues et un plan d'été en Ardèche six mois plus tard. Ça participe quand même aussi à une recherche de fluidité et puis il y a aussi une recherche ludique. C'était un peu un jeu pour moi d'inscrire le temps dans les scènes de manière toujours différente...

Il y a dans le film des oppositions assez fortes qui se jouent dans les décors : entre le dedans et le dehors, entre la ville et la campagne. Est-ce que votre mise en scène varie en fonction du lieu ? Et si oui comment ?

Forcément les méthodes varient, mais plus du fait de la nécessité de s'adapter au lieu que pour des raisons théoriques. Ce contraste est de toute manière présent dans tous mes films, et particulièrement dans celui-là. Je pense que ça tient du désir de rendre compte de la vie dans toute sa variété, car je n'aime pas le simplisme ou le manichéisme, ce qui me touche en tant que spectatrice ou cinéaste c'est avant tout de ressentir la réalité de la vie. Et pour ça il fallait que je réussisse à faire face aux contraintes de la ville ou de la campagne, que je puisse adapter ma mise en scène aux différentes conditions de tournage. C'est-à-dire que je tournais parfois caméra à l'épaule, d'autre fois sur pied, ou encore sans le son pour être plus discrète. Mon rapport au découpage ou à la mise en scène n'est donc pas idéologique, l'homogénéité doit venir d'autres choses que d'idées préconçues plaquées sur tout le film, elle doit se ressentir, être plus intérieure.

C'était déjà le cas dans vos précédents films, on ressent beaucoup d'inquiétude pour chacun de vos personnages. C'est souvent utile au récit, mais c'est pesant et ça contraste avec la légèreté de la mise en scène. On est toujours très conscients du destin. Conscients du fait qu'il peut frapper à tout moment. C'est quelque chose que vous ressentez aussi ? Qui vous inquiète ?

Ca me fait extrêmement plaisir que vous disiez ça car c'est un aspect qui est très peu présent dans le film mais qui est vraiment important à mes yeux. Le film ne verse jamais dans l'emphase quant à la difficulté de l'existence des personnages, mais néanmoins il y a toujours l'idée que la vie tient à un fil, est profondément fragile, et c'est ce à quoi je me suis raccrochée pour réaliser le film. J'avais écrit une scène qui développait d'ailleurs cet aspect de manière plus explicite, mais je n'ai pas pu la filmer car elle coûtait chère et était trop dangereuse. J'en ai quand même parlé aux acteurs, qui à mon avis ont réussi à intégrer l'idée, et à la faire ressortir par ailleurs. Je crois pas mal à ça. La direction d'acteurs ça consiste souvent à couper des répliques qu'on a écrites mais qu'on ne regrette pas parce que je suis convaincue que le simple fait qu'ils les aient dites, qu'ils les aient pensées, fait qu'elles restent présentes dans leurs silences.

À propos du destin, Le père de mes enfants se terminait sur Que sera sera. C'était une manière d'exorciser ?

Exactement. Je pense de toute manière que ce rapport à la vie est présent dans tous mes films, car ça tient à ce que je suis, à ma personnalité. De toute manière je pense que mon cinéma ne sera jamais dogmatique.

À quel moment de développement du film est arrivée la musique d'Un amour de jeunesse ?

Au fur et à mesure, elle s'agrège au film progressivement. A mes yeux il n'y a pas de "phase musique", c'est un élément parmi d'autres, qui survient en début d'écriture, pendant le tournage ou lors du montage. L'important pour moi est que la musique entretienne un rapport organique avec les images, que ce soit une évidence. En tout cas ce rapport à la musique est pour moi indissociable du fait de ne pas travailler avec un compositeur, car j'aime détourner, recycler, greffer des morceaux à mon film, pour justement produire un nouvel objet. La rencontre entre mon film et une chanson qui vient d'ailleurs est donc fondamentale, car la musique à mon sens sert à élargir, à élever, et ne doit pas uniquement commenter mes images.

Les séquences musicales sont assez particulières par rapport à ce qu'on a l'habitude de voir. Notamment il y a des dialogues assez légers qui ne sont pas étouffés par le mixage. Vous cherchiez quelque chose de particulier ?

Le mixage a énormément compté dans ce film et à mes yeux c'est une phase essentielle, lors de laquelle je fais toujours appel à la même personne, depuis mon premier film. C'est une collaboration vraiment forte, à laquelle s'ajoute également le monteur son. En fait ce qui s'est passé sur ce film, de manière encore plus radicale que pour mes précédents, ça a été de commencer par faire une première version de mixage assez classique c'est à dire voix très forte, musique très forte, mais sans vraiment y croire. Et puis on a constaté que le film ne tenait pas comme ça. Alors on a tout redescendu et en particulier sur la musique on a fait le choix de retirer toutes les reverbs, de ne pas l'amplifier, pour éviter l'emphase qui n'est pas du tout en accord avec le ton du film. Le résultat final est donc plus intime, on entend mieux les dialogues, et la musique est véritablement incluse dans le monde des personnages, elle ne l'écrase pas. Je pense que c'est quelque chose de beaucoup plus émouvant, je ressens mieux les scènes de cette manière.

Globalement le film passe par des registres de mise en scène très divers. Outre ces scènes musicales, on trouve des séquences très écrites, voire didactique, comme la leçon sur la lueur ou d'autres plus imagées et légères, notamment toute la séquence de fin avec le chapeau. Y a-t-il des règles qui unissent votre cinéma, des choses auxquelles vous faites attention de ne jamais déroger ?

Il y a beaucoup de films très bavards, dans lesquels le silence me manque, et d'autres fois le silence est si pesant, si insistant, qu'il en devient artificiel et ne retranscrit pas la réalité de la vie. Pour entendre le silence j'ai besoin de la parole et réciproquement. Je recherche donc un équilibre, qui permet de donner du relief au film. Plus généralement j'essaye d'être sensible à beaucoup de choses, aux gestes, à la manière de marcher, de bouger, d'être ouverte à toutes ces manifestations, aux sons de la vie. Et en même temps je crois beaucoup à ce que disait Rohmer, selon lequel un personnage n'existe qu'à partir du moment où il parle. Le silence et la parole se complètent donc totalement.

Camille a choisi l'architecture parce qu'elle a « toujours ressenti l'influence des lieux et le besoin d'avoir prise sur eux » elle dit aussi que c'est « un langage que j'ai l'impression de comprendre mieux que le reste ». Vous avez un rapport similaire au cinéma ?

C'est vrai que je n'ai pas eu beaucoup de difficultés à écrire cette scène, parce que ce sont les mots que j'utiliserais si je devais parler du cinéma. À mon avis le cinéma et l'architecture se recoupent vraiment, ils partagent le même rapport à l'espace par exemple. Le fait de ressentir les lieux est aussi très lié, encore une fois, au silence, qui permet de s'intégrer au décor. Le fait de traverser les espaces, de marcher, revient d'ailleurs dans beaucoup de mes films, et c'est ce qui me fait avancer lors de la phase d'écriture.

Le cinéma a pour moi été une forme d'émancipation, d'épanouissement, car lorsque j'étais adolescente j'avais le problème de ne pas arriver à m'enraciner, m'ancrer dans le monde. Ce sera toujours mon seul moyen possible d'expression, puisque c'est un art qui en même temps ramène au monde, qui se heurte au réel en permanence. On ne peut pas vivre uniquement dans l'abstraction, j'avais tendance plus jeune à beaucoup fuir le réel. Là aussi il y a un lien à creuser avec l'architecture, qui joue sur les deux tableaux, l'abstrait et le concret, et les réconcilie.

Un dialogue du film fait référence à un cinéma français bavard. On sent beaucoup d'ironie et de lucidité dans cette scène. Vous avez peur que vos films soient réduits à un cliché du cinéma français ?

Je n'ai pas peur non, je n'ai pas de problème avec mes films et je les assume complètement. Au fond je me fiche de ce que les gens peuvent en dire ou des clichés qui peuvent émerger, mais je trouvais malicieux de détourner les reproches que l'on pouvait faire au film pour me les approprier. Ce sont des choses que j'ai tellement entendues que je ne voyais pas de raison de les censurer.

Comment vous situez-vous dans le cinéma français ? Sur ce film on pense forcément à Rohmer dont on a d'ailleurs déjà parlé?

Peut-être mais tous les cinéastes sont seuls au fond. On peut essayer de les comparer ou de les rassembler mais chacun travaille dans son coin, de manière personnelle. Cela dit il y a énormément de cinéastes français que j'aime, comme Truffaut, Rohmer, Doillon, Demy, Desplechin dans une certaine mesure, mais aussi Téchiné ou Garrel, mais je ne peux pas dire que je suis leur héritière, je ne suis pas sûre qu'ils me reconnaissent... Et puis je ne pense pas à ces cinéastes lors du processus créatif, je peux le faire lorsque le film est terminé mais jamais avant.

 

Film après film, l'oeuvre de Mia Hansen-Løve suit tranquillement son cours et l'impose comme cinéaste de la nuance. Dans le sillon de ces metteurs en scène dont on osera dire pour elle qu'est la digne héritière, elle oeuvre pour un cinéma juste, beau et singulièrement modeste. C'est aussi ce que suggère la fin du film. Alors qu'ironiquement il n'était pas rare de voir les meilleurs films de la Nouvelle Vague s'achever par un plan sur la mer, la jeune réalisatrice se contente de clore le sien sur une rivière.

Et sur cette chanson... (The Water - Johnny Flynn et Laura Marling) :

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