Le voyeur arrosé

La Cabane dans les bois : horreur et voyeurisme

Dossier | Par Magali Debuis | Le 2 mai 2012 à 18h36

Cette semaine nous réserve une petite surprise horrifique. La Cabane dans les bois, écrit et réalisé par Drew Goddard, nous propose un film d'horreur classique et original à la fois, qui se réapproprie les codes du genre avec intelligence et humour. La question de la motivation du spectateur de films d'horreur est posée, notamment grâce à l'utilisation de caméras de surveillance qui provoquent autre chose que le simple sursaut. L'occasion de s'arrêter sur le rôle de la caméra comme élément de mise en scène dans les films d'horreur.

Attention, si vous voulez vous réserver l'entière surprise de la découverte du film, sans aucune piste ou information sur son contenu, venez relire cet article après la projection. Nous y révélons en effet quelques clés sur son déroulement, mais pas plus que ce que laissait déjà entrevoir la bande-annonce.

De la peur au rire

La Cabane dans les bois ressemble à un slasher de très bonne facture, avec ses cinq personnages typiques du genre : le frimeur musclé (Chris Hemsworth), la blonde qui l'accompagne (Anna Hutchison), l'héroïne plus réservée (Kristen Connolly), l'intello beau gosse (Jesse Williams) et le fumeur de joints / clown de service (Fran Kranz). Il partent pour le week-end dans une cabane au milieu des bois, une idée que nous savons stupide et qui excite par avance nos penchants sadiques et voyeurs. Après tout, nous venons voir ce film pour ça ! Et justement, nous ne sommes pas les seuls. La cabane est truffée de caméras et plusieurs personnes (dont Richard Jenkins et Bradley Withford) épient le groupe. Pour la référence, l'un d'entre eux s'appelle d'ailleurs Truman... Ils observent tous les faits et gestes des jeunes gens sur des écrans de vidéosurveillance. Sans en dire plus pour ne pas risquer de (trop ?) spoiler, c'est le mélange des genres qui s'avère intéressant : on passe sans cesse d'un univers à l'autre, de la cabane grinçante où se déroulent des atrocités aux bureaux froids et bleutés dans lesquels on rigole des meurtres qui se déroulent sous nos yeux. On passe ainsi de la peur au rire, et d'un slasher classique à un slasher qui se moque de son genre et de son statut.

Voir c'est croire

Le réalisateur novice Drew Goddard, connu pour ses scénarios des séries Buffy contre les vampires, Lost ou du film Cloverfield, utilise la caméra de surveillance non pas comme source d'images mais pour s'interroger, et ainsi créer la surprise avec un film d'horreur décidémment bien malin. Dans La Cabane dans les bois, la vidéosurveillance sert moins à faire peur qu'à mettre le public face à lui-même : on se reconnaît dans les réactions des fonctionnaires devant leurs écrans. Mais la force de la vidéosurveillance, qui a été largement exploitée ailleurs, c'est qu'elle ne peut pas mentir puisque son principe est de tout filmer en temps réel, sans mise en scène. C'est ce principe qui est exploité dans Paranormal Actvity 2 et que l'on retrouve dans toutes les émissions type La soirée de l'étrange et autres grandes soirées TF1. Ce principe de vérité des images est exploité différemment dans The Silent House (La Casa Muda). Filmé en caméra subjective, le film est présenté comme étant un plan-séquence afin d'immerger le public dans l'action et le temps réel. Le spectateur se laisse manipuler volontairement et accepte volontiers de croire à la mise en scène et à la pseudo-absence de montage. Toute la vague de films tournés en caméra subjective relève également de cette volonté de réalisme, depuis Le Projet Blair Witch en 1999 à Cloverfield et Rec en 2008 qui jouent sur ce côté reportage, caméra au poing, proche de la téléréalité.


Des bêbêtes dans le métro, extrait de Cloverfield

« J'aime regarder »

Le deuxième scénariste de La Cabane dans les bois, Joss Whedon, à qui l'on doit Avengers et les séries Buffy ou Dollhouse, explique son point de vue : « Cette question me fascine. Pourquoi aime-t-on autant les films d'horreur ? Quelle satisfaction en tire-t-on ? Je crois que quelque part au plus profond de nous existe une part sombre et primitive qui a envie de sacrifier ces gens sur l'écran. » C'est dit. Le public de films d'horreur a un côté voyeur et un brin maso. Il se déplace pour sa dose obligée de nanas trucidées en petites tenues et pour l'inventivité des meurtres exposés à l'écran. Pourquoi, dans Fenêtre sur Cour, Jeff reste t-il l'oeil scotché à l'objectif de son appareil photo alors qu'il prend le risque de se faire repérer par un assassin ? Parce que le voyeurisme prend le dessus sur la prudence et la pudeur. Le public des films d'horreur a toujours été considéré comme un peu louche. N'oublions pas qu'à une lointaine époque, les films d'horreur et les films X étaient projetés dans les mêmes salles de cinéma. Il en était de même dans Body Double de Brian De Palma, inspiré de Fenêtre sur Cour. L'anti-héros James Scully, qui prononce cette fameuse phrase « I like to watch », représente le voyeur par excellence. Il observe sa voisine tous les soirs avec une longue vue et quelqu'un va utiliser cette faiblesse pour se servir de lui. Celui qui voit ce qu'il n'aurait pas dû voir finit toujours par en payer les conséquences.

Réalité déformée

Mais le plus emblématique des docu-fictions qui utilise la caméra subjective reste Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, près de 20 ans avant Blair Witch. Les pitchs se ressemblent énormément : dans Cannibal Holocaust, quatre cinéastes partent filmer des tribus cannibales, puis ne donnent plus de nouvelles. Une équipe de secours retrouvera leurs images et comprendra ce qu'ils sont devenus. Les effets spéciaux impressionnants et l'allure de snuff movie ont contribué au succès du film, à cette étrange impression de réalisme donnée par l'histoire. Ici le scénario apporte une plus-value. Sur les images retrouvées par l'équipe de secours nous voyons les journalistes provoquer eux-mêmes ce qu'ils filment par la suite. Ils se comportent en occidentaux tous puissants, armés de leur caméra comme si elle leur conférait tous les droits. L'intérêt du film est là, dans la manière où les personnages se sentent autorisés à tout pour avoir les images qu'ils veulent, y compris à déformer les faits. La réalité peut donc largement être modifiée à partir du moment où on la regarde à travers l'objectif d'une caméra. La qualité de Cannibal Holocaust a été de travailler sur l'essence même du documentaire, sur cette réalité déformée par la présence d'une caméra.


Dèpecage d'une tortue, extrait de Cannibal Holocaust

Jusqu'où le public est-il prêt à se laisser convaincre par les images qu'on lui propose ? Jusqu'à quel point le spectateur peut-il rester passif et jouir de sa position de voyeur ? Le débat pourrait facilement s'étendre à de plus petits écrans que l'écran de cinéma. Quoi qu'il en soit, la réussite de Joss Whedon et Drew Goddard avec La Cabane dans les bois réside dans le fait qu'ils livrent un film à la forme nette, impeccable, laissant de côté toutes ces manières de filmer louvoyantes ou parfois surexcitées qui épuisent le spectateur. L'image n'est pas utilisée ici comme un effet de plus, mais comme un élément de réflexion, preuve d'un réel intérêt de la part des deux compères pour le genre auquel ils s'attaquent. Mais sois rassuré, toi le fan de slashers drôles et sanglants à la Evil Dead. Whedon et Goddard aiment trop leurs classiques pour ne pas réaliser un film d'horreur qui répond à tes attentes. Tu ne seras pas déçu.

Images : © Metropolitan FilmExport, © Columbia Pictures

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3 commentaires
  • douggy77
    commentaire modéré Mon docu-fiction préféré reste incontestablement "C'est arrivé près de chez vous".
    3 mai 2012 Voir la discussion...
  • Magnight
    commentaire modéré La Cabane dans les bois est pas mal dans le genre télé-réalité-fiction ^^
    3 mai 2012 Voir la discussion...
  • leane54
    commentaire modéré Tout film d'horreur est bon à prendre, nouvel ajout dans ma wishlist !
    25 juillet 2019 Voir la discussion...
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