on a clooney le président !

Les Marches du pouvoir : l'humanité du politique

Dossier | Par Hendy Bicaise | Le 27 octobre 2011 à 13h10

Plutôt que de rester en surface et de filmer les politiciens comme de simples machines à engranger des votes, le cinéma s'attèle régulièrement à dévoiler la part d'humanité de ces illustres personnages : ce fut le cas récemment dans W. - L'improbable président, La Conquête ou cette semaine avec Les Marches du pouvoir.

Deux oeuvres majeures du cinéma d'anticipation, Metropolis (Fritz Lang, 1927) et Les Temps modernes (Charles Chaplin, 1936), avaient toutefois ouvert la voie pour la représentation de sociétés régies par des entités déshumanisées. Ces deux visions de démiurges intangibles n'en furent pas moins rapidement contredites par la conclusion du Magicien d'Oz (Victor Fleming, 1939) : Dorothy découvrait que le dictateur qui tyrannise le peuple d'Oz n'était finalement n'être rien d'autre qu'un petit homme derrière un rideau, faible et désespérément humain. Depuis, lorsqu'ils se lassent de mettre en scène les carrières chaotiques des stars de la chanson, des cinéastes de tous bords dessinent celles de figures politiques sous le double prisme vie publique / vie privée : l'image d'eux-mêmes qu'ils livrent aux caméras s'oppose à celle que leur renvoie leur miroir.


Discussions autour du vote extrait de Les Marches du Pouvoir

La destinée d'un leader

Une majorité de ces « biopic-politiques » tendent ainsi à humaniser leur protagoniste, et ce malgré la rudesse de la première impression : apparence rigide, langue de bois, voire corps entier composé de cette même matière lorsque leurs agissements semblent les rapprocher de pantins manipulés par des instances invisibles. Dans Les Marches du pouvoir, George Clooney ne se contente pas de rendre plus humain Mike Morris, le gouverneur en route pour la Maison Blanche qu'il interprète, il applique sa vision à l'ensemble d'un réseau de directeurs de campagne, d'assistants et de petites mains de la scène politique américaine. Et si cette présentation d'une humanité encore vibrante chez certains élus n'a rien de révolutionnaire, le récit de campagne orchestré par Clooney se réclame toutefois d'une branche plus singulière du cinéma politique hollywoodien. Son film repose sur l'idée que l'avenir d'une nation passe par la destinée de son leader, et que cette trajectoire fut choisie parmi une vaste étendue de possibles. Les Marches du pouvoir partage cette proposition avec deux oeuvres, aussi proches idéologiquement qu'elles s'avèrent éloignées formellement : W. d'Oliver Stone (2008) et L'Agence de George Nolfi (2011). Un mot, un geste, une décision qui diverge et, par effet de boule de neige, ce sont les vies de millions de citoyens qui s'en trouvèrent irrémédiablement bouleversées.


Fool me extrait de W. - L'improbable Président

Un élan d'affection

Chez Clooney, le chemin dans lequel s'engouffre un état et bientôt la nation entière, et avant cela l'affrontement de ces deux figures-clé, sont soumis au destin d'une poignée de personnages. Ici, les cinq figures fondamentales sont un chef d'état en puissance (George Clooney), son médiateur (Ryan Gosling), le démon jonché sur l'épaule droite de ce dernier (Paul Giamatti), l'ange sur son épaule gauche (Philip Seymour Hoffman) et un élément perturbateur (Evan Rachel Wood). Une nation de plus de 300 millions d'individus potentiellement sous la coupe d'un quintet dévastateur ; cinq doigts pour un poing, un poing pour une bataille, rappellerait le « boucher » de Gangs of New York. Le plus frappant étant alors que l'imbrication des événements menant in fine à la victoire d'un candidat ou de son opposant ne se cantonne pas seulement à des stratégies élaborées, des coups bas ou autres malversations. Les noeuds de l'intrigue s'entremêlent, pour l'essentiel, selon des attributs sentimentaux : amitié, loyauté, peur, orgueil. Un personnage semble un temps se dédouaner de ce grand déballage émotionnel, ne cherchant qu'à protéger ses intérêts et ceux du candidat de l'opposition dont il est le directeur de campagne, c'est ce « petit diable » de Tom Duffy, incarné par Giamatti. Une vision manichéenne que Clooney repousse en une fraction de seconde après qu'il ait dévoilé son plan machiavélique à l'un des membres du parti adverse : Duffy ne peut alors s'empêcher de s'excuser, d'admettre que blesser son ennemi le peine, puis il se retourne et un rictus tord son visage. A-t-on bien vu ? Serait-il vraiment sur le point de fondre en larmes ? Ce doute, succinct, demeure constitutif d'un récit entièrement dédié à la victoire des sentiments les plus irrépressibles. Le destin de Morris, autant que celui du protagoniste Stephen Meyers, basculeront d'ailleurs pour une même raison : un élan d'affection, unique et interdit, aux conséquences immesurables.

Un monde régi par les « si »

L'Agence, au même titre que Les Marches du pouvoir, repose sur ce postulat : et si toute une nation était régie par des « si » ? Le récit de science-fiction, adapté de Philip K. Dick, se fait néanmoins beaucoup plus illustratif pour convoler vers cette même suggestion. L'aspirant sénateur Norris, avec un « N », ne le sait pas encore mais il pourrait bien changer la face du monde. L'information lui est révélée par un personnage omniscient, chargé d'assurer le bon déroulement de son existence, de faire en sorte qu'aucun obstacle ne l'empêche d'accomplir sa « mission ». Une prophétie qui n'est pas sans rappeler celle que la nymphe confie à l'écrivain visionnaire de La Jeune fille de l'eau (M. Night Shyamalan, 2006) ou celle qui frappe Johnny Smith dans Dead Zone (David Cronenberg, 1983), alors conscient qu'il doit assassiner le futur Président des Etats-Unis pour éviter une troisième guerre mondiale. Dans L'Agence, le groupe d'individus éponyme qui intervient dans la vie de David Norris observe les différentes voies possible du futur chef d'état à l'aide d'un « plan », évoquant sensiblement une carte routière. En marge de cette figuration de la vie de l'homme et de ses multiples ramifications, Nolfi distille une autre grande parabole filée et filmée de son intrigue : le bus comme figure du destin. C'est dans un bus que David Norris aperçoit la femme qu'il aime et, par la même occasion, la chance d'une autre vie à mille lieues du bureau ovale. Plus tard, c'est à l'aide de ce même bus que le couple prendra la fuite pour échapper à l'Agence. En cela, le film de George Nolfi fait écho à la comédie romantique Comment savoir (2010) durant laquelle James L. Brooks utilise inlassablement ce moyen de transport pour traduire à l'image les décisions, opportunités et embranchements de la vie de son héros. Son personnage finira par exposer sa maxime existentielle à la femme qu'il aime : « nous sommes tous à quelques petits ajustements près de pouvoir mener la vie que l'on souhaite ». Une réplique particulièrement appropriée aux destins des figures centrales des Marches du pouvoir, de L'Agence et tout autant à George W. Bush sous l'oeil d'Oliver Stone.


The plan is wrong extrait de L'Agence

Faire les mauvais choix

Le cinéaste a fondé l'essentiel du récit de W. sur cette prééminence de l'interrogation rétrospective : « Et si George Bush avait su garder son premier emploi ? », « et s'il avait privilégié une carrière sportive ? », « et s'il s'était étouffé avec ce petit bout de bretzel ? ». Plutôt que de se contenter d'énumérer les autres pistes possibles, disséminées ci et là via les différentes strates chronologiques d'un biopic narrativement éclaté, Stone a eu l'idée judicieuse de rappeler à ses spectateurs qu'il était un formidable metteur en scène. Ainsi, cette idée de trajectoires éparses pour lignes de vies parallèles, il la retranscrit à l'image à travers une foule de symboles. La scène la plus éloquente reste celle où Bush et les têtes pensantes de son parti discutent stratégie militaire à travers champs. A l'écran : une ligne droite et une autre qui la coupe, pour un tout autre chemin possible à emprunter. Oliver Stone filme la délégation égarée, ils reviennent sur leurs pas et Bush constate : « on a loupé le chemin de traverse ». Contrairement à son destin, dans lequel il ne su jamais prendre cette sortie et choisir les sports à la politique, le Président et les siens peuvent rebrousser chemin. Une autre illustration marquante des doutes inhérents au personnage tient en une poignée de scènes, toutes situées dans un même stade de base-ball : à deux reprises, on y voit le futur président y déambuler, puis le film se referme sur une dernière apparition de Bush, alors enfin en poste, sur le point de réceptionner une balle. Elle ne redescendra jamais, il ne l'attrapera plus jamais au vol : Bush a loupé sa chance, d'une autre vie pour lui et d'une toute autre existence pour quelques uns de ses compatriotes. La tristesse dans son regard, lors de cette saynète terminale, rend le personnage profondément attachant. Le parti-pris fut reproché à Stone. A ses yeux, l'homme politique n'est bien qu'un homme, fragile et malléable, qui a seulement choisi la mauvaise direction.


Sûrs de gagner ? extrait de Les Marches du Pouvoir

La place d'un leader

Une autre scène met d'ailleurs parfaitement en images l'indécision caractérisant le personnage. Dans son bureau, George W. Bush reçoit un homme d'affaires et s'assoit successivement dans trois fauteuils. En substance, la brève scène cristallise le problème perpétuel du protagoniste : comment trouver sa place ? Il est, d'ailleurs, amusant de retrouver un passage parfaitement analogue dans Le Soleil (Alexandre Sokourov, 2005). En 1945, l'empereur japonais Hiro-Hito est sur le point de perdre la guerre et, conséquemment, de perdre son rang de divinité pour devenir un simple mortel. Après s'être entretenu avec le Général MacArthur il retrouve son palais, profondément déboussolé. Il reçoit alors la visite d'un biologiste dans son bureau et, non sans un certain comique burlesque, les deux hommes ne savent où s'asseoir et manquent même de se poser l'un sur les genoux de l'autre. Sous l'apparente légèreté comique de la scène, l'errance de l'empereur alors en perdition ne peut que bouleverser. Conscient qu'il ne sera bientôt plus empereur et pas plus un demi-dieu, Hiro-Hito semble avoir en horreur le fauteuil qui symbolisait jusqu'alors ce double privilège. A défaut d'y siéger à nouveau, l'homme n'a plus aucune idée de quelle peut bien être sa place dans la pièce et, par extension, sa place dans le monde. Petit à petit, durant la seconde part du film, Hiro-Hito s'humanise : il se déshabille sans l'aide de son majordome, il tourne une poignée lui-même et ouvre une porte pour la première fois de sa vie, etc. Le plus surprenant demeure de comprendre au fil de ses actions que la perte de ses privilèges compte moins pour lui que le plaisir de sentir qu'il s'apprête à faire corps avec son peuple, qu'il va enfin se fondre dans la masse de ses compatriotes, qu'il aime de toute son âme.

L'influence des biopics politiques

Le plus grand risque avec cette approche du film politique visant à faire primer l'Homme sur le meneur d'hommes reste de flirter avec le cinéma de propagande. La Conquête (2011) a parfois été considéré comme l'oeuvre d'un sympathisant lors de sa sortie, du fait qu'il semblait dresser un portrait flatteur du Président encore en exercice. Pourtant, objectivement, la vision indéniablement humaine de Nicolas Sarkozy proposée par Xavier Durringer et son scénariste Patrick Rotman n'en demeure pas moins à double-tranchant : dévoiler un candidat fragile et troublé par ses propres sentiments assure les spectateurs qu'il a un coeur, mais ceci induit tout autant que sa présidence risque d'être parasitée par ces mêmes tourments intérieurs. Sorti trop tôt pour supposer une quelconque incidence sur les présidentielles de 2012, La Conquête ne saurait alors répéter le doute émanant de l'influence des Guignols de l'info à l'approche des élections de 1995. Beaucoup estiment encore à ce jour que la marionnette de Jacques Chirac, perçu par son biais comme drôle et bon vivant, a joué un rôle considérable dans sa première victoire. Bienfait ou danger, cette possibilité de voir le cinéma comme un accélérateur de consciences est bien réel. Aujourd'hui se préparent peut-être des biopics sur Obama, Berlusconi, Poutine ou Kim Jong-il, et nul ne saurait jauger l'étendue de leur influence sur leurs futurs spectateurs. Peut-être vaut-il mieux alors parcourir l'Histoire à rebours comme le font les auteurs américains avec l'emblème Nixon : perçu tel un souvenir embué dans l'atypique Secret Honor (long-métrage en huis-clos et temps réel de Robert Altman, 1984), redéfini dans un univers pleinement uchronique avec Watchmen (Zack Snyder, 2009) ou encore réincarné en Président du Monde en l'an 3000 dans la série animée Futurama de Matt Groening.


Qui m'a foutu cette chaise? extrait de La Conquête

Que le cinéma le plus politique serve à aiguiller nos idées et aiguiser nos acquis n'est probablement pas un mal pour autant. La pire hypothèse étant que les électeurs se moquent un jour de l'identité de leurs leaders, ne se lèvent plus pour se rendre aux urnes et appuient seulement sur un bouton de leur télécommande pour choisir le candidat qui leur assurerait un paquet de chips gratuit en l'échange de son élection. Ce jour-là, le Président ressemblera probablement à Dwayne Mountain Dew Camacho comme dans Idiocracy de Mike Judge (2006) et, à défaut d'apporter des soins pour tous et d'apaiser les conflits mondiaux, espérons qu'il parviendra lui aussi à nous faire rire.

Pour approfondir, nous nous sommes également intéressés à l'animalité de l'homme politique à propos de L'Exercice de l'Etat.

Images : © Columbia Pictures, © Océan Films

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