The king of the dipshit

Sixteen Candles de John Hughes, Éloge d’une adolescence mal foutue

Dossier | Par Virginie A. | Le 21 février 2011 à 15h12

Initialement, ce lundi devait être consacré aux teen-nerds, et je pensais que rien ne pouvait mieux l'illustrer que la saga des Revenge of the Nerds, ou du moins son premier opus. Entre temps, outre le fait que je n'ai pas fini de voir le film, il m'a semblé que, finalement, le plus formidable nerd du cinéma des années 80, on le doit à John Hughes. On parle toujours de Molly Ringwald comme la muse de Hughes, mais c'est oublier un peu vite qu'en 2 ans, il a tourné 3 films avec Anthony Michael Hall, et que, d'une certaine manière, Sixteen Candles, Breakfast Club et Weird Science pourraient former une « trilogie geek ». Hughes avait rencontré Hall sur le tournage de National Lampoon's Vacation, il l'avait trouvé poilant ; il lui a offert trois films.

Sixteen Candles, sorti en 1984, est le premier film de Hughes. Mini-révolution copernicienne du teen-movie, force est de constater que le film a tout d'un éloge de la geekerie, de la difformité, et de l'exclusion. Au lieu de tourner en dérision l'adolescence, il la sublime. Il suffit de regarder le générique d'ouverture pour s'en convaincre quand, sur fond musical de Kagajoogoo, Hughes film en plan serré l'arrivée des adolescents au lycée, focalisant sa caméra sur les défauts moches, les fringues honteusement vilaines, les sourires bordés de bagues, les lunettes triple-foyer, les couples mal-assortis, etc.

Sixteen Candles raconte l'histoire de Sam (Molly Ringwald), une adolescente un peu invisible (mais vraiment invisible, pas « invisible comme Emma Stone qui est trop belle en vrai dans Easy A »). Toute sa famille, accaparée par le mariage de la frangine, oublie de lui souhaiter son anniversaire, et elle accumule les vexations au cours d'une journée qui semble interminable. Elle craque pour le garçon le plus populaire du lycée, Jake Ryan (Michael Schoeffling), qui ne la voit pas, nous dit-elle. A l'inverse, le seul qui fasse attention à elle est un gamin de première année, « Farmer Ted », le geek ultime (Anthony Michael Hall).

Bref, une histoire de lycée des plus banales. Le lendemain, pourtant, Jake a plaqué sa blonde bombastic, et attend Sam adossé à sa Porsche, tel un prince, des temps modernes, et le geek perd son pucelage dans les bras de la bombasse blonde, à l'arrière d'une Rolls.

En quelque sorte, Sixteen Candles est plus qu'une romance adolescente un peu mièvre. C'est la première vraie « revanche » pour les nerds. La rouquine effacée termine avec le demi-dieu grec, le puceau geek termine avec une gravure de mode, et nos perceptions de la beauté s'en trouvent chamboulées. D'ailleurs, exception faite de ces canons surréels qui servent de trophée aux deux personnages principaux, Sixteen Candles est peut-être un des derniers films à utiliser des acteurs de 16 ans pour jouer des personnages de 16 ans, avec les imperfections que cela implique.

Surtout, même si l'histoire est centrée sur le malheur de Sam dont on a oublié les 16 ans, Anthony Michael Hall est un show-stealer hallucinant.


La danse du Geek extrait de Seize bougies pour Sam

John Hughes et sa famille étant visiblement très attachés à la notion de copyright, il est malheureusement difficile de s'étendre sur les scènes les plus drôles. (Pourtant, il y en a beaucoup.)

Par ailleurs, Hall n'est pas tout seul. Comme il le fait remarquer à Sam, il est le « roi des glands » (« king of the dipshit »), toujours flanqué de deux sidekicks qui communiquent par radio et marchent dans la rue avec des lampes de spéléologue sur le front.


I can't believe I gave my panties to a geek extrait de Seize bougies pour Sam

Pour parachever ce décor désespérant, on notera la présence de Long Duk Dong, le foreign exchange student (Gedde Watanabe), un genre d'asiatique non-identifié (désigné comme un « Chinaman »), qui parle un broken English impossible et dont toutes les blagues sont ponctuées par un gong (je n'en parlerai pas plus longtemps parce que racism is not cool) et le micro-rôle, tenu par Joan Cusack, d'une pauvresse harnachée dans une armature métallique (que ceux qui n'ont jamais eu de camarade victime d'une triple scoliose se manifestent maintenant ou qu'ils se taisent à jamais).

(oh mais qui reconnaît-on parmi les geekos de Farmer Ted ? Eh mais oui, c'est John Cusack !!)

Longtemps, les teen-movies, dans la tradition des National Lampoon et autres comédies adolescentes bouffonnes, ont eu recours aux geeks, aux nerds, aux « dipshits » à des fins burlesques. Les geeks sont moches, ils sont puceaux, ils sont asociaux, ont des goûts de weirdos. Du coup, les voir être martyrisés par des gros costauds est plutôt drôle, tant ils sont désincarnés et mécaniques. Le geek, c'est un peu une sublime contradiction cinématographique : plus il est cinégénique, plus il est repoussant dans la vraie vie. D'une certaine manière, ils étaient l'incarnation suprême de l'adolescence, de cette adolescence à laquelle on voulait échapper à tout prix. Sixteen Candles n'est donc pas avare de cet humour burlesque, certes (mais qu'il est drôle, Anthony Michael Hall !). Pourtant, Hughes va plus loin dans ce film. Il souligne qu'être geek, c'est être une lèpre sociale ambulante. Partout où il va, le geek est rejeté et insulté. Être vu avec un geek, c'est renoncer à tous ses amis. Le Geek le dit d'ailleurs dans le film : il n'a jamais vu une fille faire un acte aussi désintéressé que prêter ses sous-vêtements pour aider un geek comme lui (« not many girls in contemporary American society today would give their underwear to help a geek like me. »).

N'oublions pas d'ailleurs que ces termes, bien qu'équivalents, ne sont pas totalement interchangeables : être « dork » n'est pas aussi grave qu'être « nerd » (Sam est une dork), qui n'est pas aussi grave qu'être « geek ». Il n'y a pas pire insulte que « geek » ; en général, dans ces films, les personnages sont crédités comme des « nerds » pour atténuer la charge négative de leur personnage. Et dans Sixteen Candles, Anthony Michael Hall est pourtant bien crédité comme « the Geek » (il n'a quasiment pas de nom, avant une résurgence politiquement correcte dans l'édition DVD, qui a transformé ce crédit en « Farmer Ted »).

A travers Anthony Michael Hall, pourtant, John Hughes parvient à donner de la superbe à la lie de l'adolescence. Dans une longue scène, dans le dernier tiers du film, le Geek parle en tête à tête avec Jake Ryan, ce type hors du monde ultra-populaire. Dans les décombres de la soirée qui vient de se finir, ils se font un martini stirred, not shaken, devisent des filles, de l'amour, du pouvoir. C'est une scène plutôt décalée et drôle, sans doute une des plus réussies du film. Surtout, c'est une scène où un puissant converse avec un minable d'égal à égal. La mise à niveau va encore plus loin lorsque Jake propose au Geek de le laisser reconduire chez elle sa copine ivre morte, la fameuse bombasse blonde. Au bord du coma éthylique, elle regarde le Geek et demande qui il est. Jake répond : « c'est moi. » Elle regarde ensuite Jake et lui demande qui il est. Jake répond : « je suis lui. » en montrant le Geek.

On a longtemps reproché à John Hughes d'avoir créé un stéréotype absurde et vide en la personne de Jake Ryan. Je ne compte plus les articles consacrés à Jake, depuis les blogs de trentenaires encore enamourées aux articles des plus sérieux sortis tout droit des pages du Washington Post. Jake est irréel : beau gosse, senior, musclé, riche, bien élevé, il ne cherche pas le sexe mais l'amour, même quand il rompt avec sa copine, c'est un gentleman. Le statut iconique de Jake Ryan tient aussi au fait que son acteur, Michael Schoeffling a par la suite disparu de la circulation (il est maintenant artisan-menuisier en Pennsylvanie), contribuant à figer le personnage dans un Neverland pour adolescents : il ne grandira jamais, ne sera jamais associé à des histoires sordides de DUIs ou de prostituées mineures, son image ne sera jamais ternie. Mais il est absurde, ce Jake : l'acteur a 25 ans, il conduit une Porsche, son père une Rolls, il est sympa et magnanime, il n'existe pas. Mais qu'un type atteignant ce degré de perfection soit capable de converser d'égal à égal avec un petit malingre de 14 ans qui a des bagues et n'a pas tout à fait mué, c'est quelque chose d'unique dans les représentations de l'adolescence de l'époque. A tel point que Jake Ryan est presque plus un trophée pour le Geek que pour Sam. Putain de vraie revanche du nerd.

En ce sens, Sixteen Candles crée quelque chose d'important : il donne une revanche à Sam, mais aussi au « Geek », et il montre ainsi que l'adolescence n'est pas forcément belle à voir, mais que c'est précisément pour cela qu'elle fait un bel objet cinématographique.

Je vous parlais de trilogie ? Dans Breakfast Club, Brian Johnson (le rôle de Hall) donne ses lettres de noblesse au nerd, d'une part, en donnant de l'épaisseur dramatique à un archétype cinématographique bouffon, d'autre part, en étant l'auteur de la lettre-manifeste de l'adolescence. Weird Science enfonce le clou, quand Hall coiffe au poteau Robert Downey Jr et surtout retourne son destin de victime en créant l'objet de sa rédemption. Nuff said.

Après, Hall a refusé de jouer dans d'autres films de John Hughes, de peur d'être typecasté. Il faut dire aussi qu'il a entre temps fait sa puberté, pris 30 cm et 30 kg de muscles (aux Oscars 2010, il faisait une tête de plus que Judd Nelson, son tortionnaire du Club), c'était moyennement raccord avec son aura de « king of the dipshit ». Pourtant le reste de sa carrière a été un échec, mis à part un succès d'estime, lorsqu'il a fait un téléfilm dans lequel il jouait? Bill Gates. Il a bien fait d'essayer d'éviter le typecasting.

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24 commentaires
  • funculturepop
    commentaire modéré Mythique, clairement non. Mais c'est bien possible que quand tu dis Anthony Michael Hall aujourd'hui, la plupart des gens à qui ça dira quelque chose te citeront Dead Zone plutôt que John Hughes. Ce qui est triste et ne m'enchante pas mais c'est comme ça (je crois) ;)
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • Babymelaw
    commentaire modéré Aaaaah c'était lui dans Dead Zone ? COLLISION PSYCHIQUE
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Je vois ce que tu veux dire (surtout après le commentaire de Babymelaw). Quand tu le vois aux Oscars, c'est un peu un choc. Du coup, peut-être que c'est méchant, ma conclusion: il *a* échappé au typecasting de geek, en fin de compte - mais c'est peut-être pas la meilleure chose qui lui soit arrivée...
    (rien à voir, mais l'échec cuisant de Johnny be Good dans lequel il devenait cul et chemise avec Robert Downey Jr montre qu'il aurait jamais dû essayer de jouer les jocks)
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • adenea
    commentaire modéré Corrige moi si je me trompe, mais en repensant au film, j'ai trouvé que toutes les scènes que j'avais personnellement trouvé les plus jouissives, étaient celles où le Geek outrepasse ces règles invisibles qui le tiennent normalement à l'écart des gens cool. i.e. quand il va draguer Sam lors du bal, lorsqu'il s'incruste à l'after, qu'il donne des conseils au beau gosse, etc. C'est génial parce qu'il réalise tous les tresspassing (allez je me mets au franglish aussi) que la partie Geek en nous a toujours voulu faire.
    C'est comme dans Ferries Bueller et consor. Ils osent dépasser, transgresser les limites de leur "caste" et de l'autorité.
    Et ces personnages y arrivent pour les mêmes raisons: 1/ ils sont (très) futés, 2/ ils n'ont pas peur de se prendre des vents, 3/ ils ne sont pas confrontés à de vilains nemesis qui les empêcheraient d'accomplir leur mission. Dans 16 candles, finalement, il n'y a pas de méchant ! On voit quelques gros balaises qui se balladent en salopettes ou qui font de la muscu, mais ils ne changent jamais le cours de l'histoire.
    Ce que je constate c'est que ce rôle de transgression, de dépassement actif des clivages est entièrement incarné par le geek, et de manière générale revient à des personnages masculins dans les films de Hughes (je crois). Sam finalement elle n'a aucun véritable obstacle à dépasser (le mec est déjà ferré), il n'y a guère que sa timidité qui se met en travers de sa route.
    C'est pour ça, I think, que le personnage du Geek est tellement plus intéressant et héroïque que celui de l'officiel personnage principal. Pas étonnant dans ces cas-là qu'ils aient oublié son anniversaire ;)
    Enfin moi j'dis ça...
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • funculturepop
    commentaire modéré Six saisons de Dead Zone quand même pour Anthony Michael Hall ;)
    21 février 2011 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Certes, mais est-ce aussi mythique que son rôle de Geek ou que Brian Johnson? (c'est une vraie question, au demeurant)
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • funculturepop
    commentaire modéré Mythique, clairement non. Mais c'est bien possible que quand tu dis Anthony Michael Hall aujourd'hui, la plupart des gens à qui ça dira quelque chose te citeront Dead Zone plutôt que John Hughes. Ce qui est triste et ne m'enchante pas mais c'est comme ça (je crois) ;)
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • Babymelaw
    commentaire modéré Aaaaah c'était lui dans Dead Zone ? COLLISION PSYCHIQUE
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Je vois ce que tu veux dire (surtout après le commentaire de Babymelaw). Quand tu le vois aux Oscars, c'est un peu un choc. Du coup, peut-être que c'est méchant, ma conclusion: il *a* échappé au typecasting de geek, en fin de compte - mais c'est peut-être pas la meilleure chose qui lui soit arrivée...
    (rien à voir, mais l'échec cuisant de Johnny be Good dans lequel il devenait cul et chemise avec Robert Downey Jr montre qu'il aurait jamais dû essayer de jouer les jocks)
    22 février 2011 Voir la discussion...
  • adenea
    commentaire modéré Corrige moi si je me trompe, mais en repensant au film, j'ai trouvé que toutes les scènes que j'avais personnellement trouvé les plus jouissives, étaient celles où le Geek outrepasse ces règles invisibles qui le tiennent normalement à l'écart des gens cool. i.e. quand il va draguer Sam lors du bal, lorsqu'il s'incruste à l'after, qu'il donne des conseils au beau gosse, etc. C'est génial parce qu'il réalise tous les tresspassing (allez je me mets au franglish aussi) que la partie Geek en nous a toujours voulu faire.
    C'est comme dans Ferries Bueller et consor. Ils osent dépasser, transgresser les limites de leur "caste" et de l'autorité.
    Et ces personnages y arrivent pour les mêmes raisons: 1/ ils sont (très) futés, 2/ ils n'ont pas peur de se prendre des vents, 3/ ils ne sont pas confrontés à de vilains nemesis qui les empêcheraient d'accomplir leur mission. Dans 16 candles, finalement, il n'y a pas de méchant ! On voit quelques gros balaises qui se balladent en salopettes ou qui font de la muscu, mais ils ne changent jamais le cours de l'histoire.
    Ce que je constate c'est que ce rôle de transgression, de dépassement actif des clivages est entièrement incarné par le geek, et de manière générale revient à des personnages masculins dans les films de Hughes (je crois). Sam finalement elle n'a aucun véritable obstacle à dépasser (le mec est déjà ferré), il n'y a guère que sa timidité qui se met en travers de sa route.
    C'est pour ça, I think, que le personnage du Geek est tellement plus intéressant et héroïque que celui de l'officiel personnage principal. Pas étonnant dans ces cas-là qu'ils aient oublié son anniversaire ;)
    Enfin moi j'dis ça...
    22 février 2011 Voir la discussion...
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