« J'ai toujours douté de la réalité »

Twixt : Rencontre avec Francis Ford Coppola

Rencontre | Par David Honnorat | Le 4 avril 2012 à 15h32

A l'occasion de la sortie de Twixt (en salle le 11 avril), j'ai eu l'honneur de rencontrer le cinéaste Francis Ford Coppola. Voici le récit d'un peu moins d'une heure passée avec cet homme honnête et passionnant.

Francis Ford Coppola a 72 ans. Si la vision de Twixt nous avait laissé l'impression réjouissante d'avoir affaire à un film de jeune homme, c'est bien un vieux sage qui s'est présenté à nous pour répondre, pendant un peu moins d'une heure, à de multiples questions sur son film et le reste de sa carrière. Il faut voir ce géant du cinéma avouer non sans malice : « J'ai toujours eu le sentiment de décliner. »

Traînant derrière lui une filmographie ahurissante, le cinéaste fait preuve, au sujet de son oeuvre, d'une étonnante lucidité : « Je vis ma carrière à l'envers : je réalise aujourd'hui les films que j'aurais dû faire à 20 ans. » Conscient de ses succès, comme de ses échecs, financiers ou critiques, Coppola s'évertue à tracer une voie unique dans le paysage cinématographique mondial. Pas facile pour autant de se réinventer quand on est l'auteur de films aussi cultes que Le Parrain ou Apocalypse Now. Et Coppola le sait : « Je suis en compétition avec mes propres films de jeunesse. C'est impossible de gagner. La seule solution c'est de redevenir étudiant en cinema. Une petite mort pour un nouvel essor, une renaissance peut-être ? »

Des contraintes financières et personnelles

Twixt, comme ses deux précédents longs métrages, incarne à merveille ce travail de renaissance. Depuis L'Homme sans âge en effet, le cinéaste s'est imposé trois règles : histoire originale, budget minimum et résonance personnelle.

En explorant ainsi les limites de son cinéma et en se forçant à se réinventer, le réalisateur semble être arrivé à ses fins : « Je ne me force pas à faire des choses différentes. Ma stratégie, c'est juste de renaître au cinéma de façon différente. Et comme j'ai la chance d'être mon propre mécène, ça me permet de tenter des trucs. » Si Twixt éblouit, c'est d'abord par sa liberté. Ses budgets limités le lui imposent, on peut dire qu'en terme de mise en scène Coppola voyage désormais léger : « J'ai renoncé aux mouvements de caméra, je préfère les plans fixes. Les films d'aujourd'hui me donnent le mal de mer. ». Son film est également habité par la recherche d'un certaine plasticité. Au centre de la petite ville qui sert de cadre au récit, un beffroi à 7 cadrans indique autant d'heures différentes. Pour lui : « Le temps et l'argent sont des données subjectives. Cinq minutes, cela peut être très long si on attend quelque chose ou très court si on va mourir. »

Si l'argent est une donnée relative, il est clair qu'il a également un impact direct sur les choix fondamentaux dans la préparation d'un film. À propos du casting de Val Kilmer il avoue en toute honnêteté : « Quand on fait des films avec le budget des miens, il faut trouver des acteurs de talent qui sont dans la dèche. Mais il y en a toujours. D'ailleurs ce n'est pas qu'une question de cachet, c'est surtout la question du temps qu'ils sont capables de vous accorder. Un acteur en vue pourrait accepter de tourner avec moi à ce prix là mais il n'aurait pas le temps de le faire comme je veux »

Dans une excellente scène de comédie, le personnage de Val Kilmer travaille la première phrase de son nouveau roman en tentant de s'éloigner des clichés qu'il manipule habituellement, mais rien à faire, le « lac embrumé » lui colle à la peau. Les préceptes qu'il s'est lui-même imposé semble avoir permis à Coppola de raviver sa créativité : « Peut-être que je suis prêt à rejouer dans la cour des grands maintenant ? Je ne sais pas. »

Un nouveau grand film ample et ambitieux ? On en rêve ! « Je voudrais faire un dernier grand film d'amour qui bouleverse les gens à la façon d'un roman comme Manon Lescaut. » Mais il ne faut pas pour autant mésestimer ce que fait Coppola depuis 10 ans. Comme Tetro, Twixt a l'éclat d'un grand film qu'il serait malvenu de qualifier de mineur. Il nous le disait plus haut, le temps est une donnée relative. D'ailleurs : « Il y a 30 ans je me sentais beaucoup plus fragile qu'aujourd'hui. Pourtant les gens trouvent mes films de l'époque très bien. Peut-être qu'ils aimeront ceux que je fais aujourd'hui dans vingt ans ? »

Rêves et regrets

Avec Twixt, Coppola s'attaque également à un sujet particulièrement tragique et intime ? la mort de son fils à 22 ans dans un accident de bateau. À ce propos, il confiait dans le dossier de presse : « Le thème sous-jacent de Twixt est la perte. Je me suis rendu compte à quel point je me sentais responsable de la mort de mon fils. » Pour évoquer cette dimension personnelle et l'auteurisme revendiqué de ses films, il aura une métaphore viticole : « Un film, c'est comme un vin, ce qui compte c'est le terroir. Il faut qu'on sente d'où il vient, qui l'a fait. » Il ajoute : « Mes films sont de plus en plus autobiographiques parce que c'est moi qui les écrit. La bonne nouvelle, c'est que je me fais vieux et que je n'en ferai sans doute pas encore des tas d'autres. »

Mais l'influence de ses expériences personnelles réelles n'est pas absolue. L'idée de Twixt lui est d'ailleurs venue d'un rêve, fait à Istanbul après avoir un peu abusé de l'alcool local. De la réalité en fait, il se méfie : « J'ai toujours douté de la réalité. Je suis sûr que si on parvenait à percer le secret de l'univers, la vérité qui apparaîtrait serait loin de ce qu'elle a l'air d'être. » Pour cet éternel rêveur : « Le temps et la réalité sont des illusions. Les seuls refuges sont l'amour et l'art. »

Si l'on peut sans problème se réfugier dans les films du maître, on sait que pour lui c'est surtout l'acte de création qui importe. Toujours curieux, il le dit avec enthousiasme : « L'expérience du cinema est un acte libérateur. » Sa passion est toujours vivace et c'est avec gourmandise qu'il évoque le potentiel offert aujourd'hui par la technologie. Interrogé sur ses tentatives de montage live de son film lors du Comic Con de San Diego, il explique : « Grâce au numérique, je pourrais faire un montage live d'Apocalypse Now avec un orchestre de percussions en accompagnement sonore. » Explorer, c'est aussi ce qu'il fait en tournant deux scènes de son film en 3D. Trouvant les lunettes gênantes, il considère que la 3D ne doit être utilisée que lorsqu'elle se justifie vraiment. Il ajoute : « Réduire l'avenir du cinéma à la 3D , c'est ridicule. Le cinéma en relief existait déjà quand j'étais gamin. Personne ne sait ce que les nouvelles technologies permettront de faire. Le cinéma n'a pas fini de se renouveler. »

Malgré son optimisme, Francis Ford Coppola terminera sur ces regrets : « J'ai deux regrets : ne pas avoir tourné Coup de Coeur en direct avec plusieurs caméras comme j'avais prévu de le faire et n'avoir pas réussi à transformer l'industrie pour que ce soit plus facile aujourd'hui de faire des films que cela ne l'était à notre époque. En fait, c'est plus difficile pour les jeunes qui débutent aujourd'hui. C'est le grand échec de notre génération. »

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