confessions d'un filmeur

Alain Cavalier : le désir, et après ?

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 30 avril 2012 à 18h05

Du 26 avril au 9 mai, Alain Cavalier, fringant octogénaire, vient passer ses soirées à La Cinémathèque. Il assiste aux projections, regarde ses films à côté de vous, et en débat ensuite avec ce verbe qui lui est caractéristique. Quatre jours après le début de ce cycle aussi singulier que le cinéaste lui-même, retour sur quelques déclarations et quelques images - des pistes glanées au fil des films et des mots de Cavalier - et sur son attirance pour le corps, le désir qui fait battre le coeur, et sa façon de continuellement le renégocier.

Les corps sculptés

En cinquante ans de carrière, Alain Cavalier s'est frotté à la grande famille du cinéma français, à ses diverses tendances, avant de tracer sa propre voie. Dans la première phase de sa carrière, qui va du Combat dans l'île à La Chamade, en passant par L'Insoumis, le cinéaste filme les acteurs bankables de son époque : Jean-Louis Trintignant, Romy Schneider, Catherine Deneuve ou encore Alain Delon. Des films emplis de rituels cinématographiques, de cérémonials pesants - argent, décors, musique et lyrisme - qui « mutilent une partie de l'expression » de Cavalier. Ce qui l'intéresse alors, il l'avoue lui-même, c'est ces corps filmiques, parfaitement sculptés pour la caméra, celui de Delon, de Deneuve, qu'il essaie de travailler par leurs déplacements, leurs positions dans l'espace. S'il travaille avec Françoise Sagan sur La Chamade, évoque la guerre d'Algérie et se frotte alors à la censure, Cavalier tisse ses fils narratifs comme autant de prétextes pour entreprendre une relation entre lui, celui qu'il qualifie de « filmeur », et son sujet. Il déclare : « Les cinéastes tiennent des maisons closes très sophistiquées et proposent aux spectateurs qui s'y introduisent des êtres divins. »

On retient pourtant, de son premier film à aujourd'hui, la même idée du désir. Quand il filme une femme, sujet de cinéma par excellence pour Cavalier, il apprend à la connaître, à la dompter par l'intermédiaire de la caméra, qui condense alors son propre désir, lui donne un objectif. L'un des dénominateurs communs que Cavalier semble alors partager avec le cinéma de la Nouvelle Vague c'est la figure du trio amoureux : une femme tiraillée entre deux hommes, deux amours, l'envie de nouveauté et le confort du passé. Le désir, l'appétit sexuel, apparaissent alors, s'offrent d'une femme à un homme, et les lient. C'est ce qu'il reste au lendemain du désir qui intéresse Alain Cavalier.


Chips Mélodie, extrait de La Chamade

L'amour en détails

Le sexe est un point de départ. Quand on l'interroge sur les conseils qu'il promulguerait à de jeunes cinéastes, ce n'est pas pour rien que Cavalier répond « filmez ce que vous connaissez, filmez votre copine en train de dormir ». Alors qu'il filme la gracieuse Catherine Deneuve, actrice ultime qu'il compare à Néfertiti, maquillée et pomponnée, Cavalier a une révélation : il comprend qu'il est en train de dire au revoir à une certain préconception du cinéma, à la lourdeur d'un dispositif qui ne lui convient plus. Il rit et, pour ne pas gâcher la prise, étouffe son rire en mordant la veste de son assistant. Il disparaît des plateaux et s'enfonce dans une longue dépression après le décès de sa femme, Irène Tunc. C'est quatre étudiants de la Femis et amis de Cavalier qui lui font reprendre goût au cinéma, et donc à la vie, en lui proposant de filmer avec eux Le Plein de super, un road movie qu'ils tournent en quelques semaines, tous entassés dans la même bagnole.

Cavalier revient alors au cinéma. En 1978, il signe deux films essentiels dans sa filmographie, Martin et Léa et Ce répondeur ne prend pas de messages. Martin et Léa est le parangon, la plus belle expression de ses préoccupations d'alors. Il filme un jeune couple qu'il connaît, un vrai couple, depuis tristement disparu ; une blessure qui fait encore saigner le coeur d'Alain Cavalier. Après avoir fait l'amour, Martin et Léa vont se séparer, pour ensuite apprendre à se connaître, passer du temps ensemble, négocier avec leur désir, leurs envies, durant de longs mois de passion aussi heureux que difficiles. Quand une certaine forme de conclusion pointe dans leur histoire d'amour, que les désirs des deux amants se sont superposés, la caméra s'éteint, laissant le réel reprendre ses droits.

Cavalier s'astreint alors à dérouler le cours du désir, de la vie, pour narrer l'amour par le prisme qui lui semble le plus adéquat : celui du détail. Dans La Rencontre, loin de la noirceur de Ce répondeur ne prend pas de messages, Cavalier filme des bouts de lui, des bouts de Françoise, sa compagne, les cadeaux qu'ils s'offrent, les décors dans lesquels ils évoluent, racontant leur vie, leurs efforts, et cet amour qui petit à petit apparaît. Impudeur de l'image qui finira là aussi par laisser sa place quand la romance devient plus forte que tout.


Escargot et odeur exquise, extrait de La Rencontre

Le il devient je

L'autobiographie prend ainsi une place prépondérante dans les nouvelles expérimentations formelles d'Alain Cavalier. Il filme et vit de la même façon, « il n'y a pas de différence » pour lui. Tout son travail se concentre dans cette longue trajectoire, du « il » qui devient « je ». Il ouvre la voie, grâce notamment à la découverte de la vidéo, d'un dispositif qui lui permet de filmer seul, à une nouvelle génération de filmeurs, de films de famille, de Dominique Cabrera à Jonathan Caouette, et à l'ère de la subjectivité régnant sur Youtube. Dans Vies, il élabore des portraits de ses amis au travail, sculpteur, boucher, chirurgien oculaire ; dans Le Filmeur il livre une dizaine d'années d'intimité numérique au public, ses angoisses, ses joies, espérant que le spectateur y trouvera plus qu'un portrait, mais l'évocation d'une vie qu'il a pu lui même partager.

Depuis 2000, la transmutation de son cinéma continue au contact de nouveaux objets, de nouvelles réflexions : sur l'image elle-même, le jeu, le jeu politique (comme dans Pater), le vieillissement bien sûr, les souvenirs qu'on emprisonne dans l'image, à tout jamais. Dans Irène, il fait plus que cela : alors qu'il retrouve le carnet de sa défunte femme, le cinéaste se la remémore, nous parle de la peine qu'il ressent encore aujourd'hui, mais surtout de cette femme, dans ses détails et ses contours. En filmant l'objet passé il tente alors de la ramener, un bref instant, à la vie.


Le carnet, extrait de Irène

Ici, je n'évoquerai pas Un étrange voyage, ou encore Libera me. Simplement parce que je ne les connais pas. Beaucoup d'autres choses auraient pu être dites sur Alain Cavalier. Nous sommes au cinquième jour du cycle qui lui est consacré, à mi-parcours, et il me reste beaucoup de ses films à découvrir. Ouvrant les séances par de romanesques introductions, et y mettant fin par un débat, Alain Cavalier tient également un journal filmé dont il met un segment en ligne chaque jour sur le site de La Cinémathèque. Une démarche à part, un lieu offert à un cinéaste pour qu'il en soit le gardien durant dix jours ; une initiative qu'on aimerait voir se reproduire régulièrement. Profitez donc de cette occasion unique de découvrir ses films en salle, et d'aller en discuter avec cet être charmant qu'est Alain Cavalier.

Le programme des futures séances de la Cinémathèque consacrées à Alain Cavalier

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