On lave le linge sale en public

Filmer ses proches suffit-il à faire un film ?

Dossier | Par Arthur VIGIER | Le 24 février 2016 à 17h25

Les documentaires sur la famille et sur l’intime, les homes movies et autres autofictions sont à la mode ces dernier temps. Après Pauline s’arrache d’Emilie Brisavoine et Happily Ever After de Tatjana Bozic, c’est au tour de Samuel Collardey de mettre en scène une famille, celle des Leborne, dans Tempête, actuellement en salles. Ce long-métrage aux allures de drame social dévoile le quotidien difficile d’un marin pécheur, Dominique Leborne (récompensé à la dernière Mostra de Venise par un prix d'interprétation dans la sélection Orizzonti) qui doit jongler entre sa vie de famille et son travail. A l’écran, on y croit dur comme fer. Et pour cause. Père, fils, fille : chaque Leborne joue son propre rôle. Mettre en scène sa famille, ses proches, sa propre vie et les aléas qui vont avec, est une initiative audacieuse qui a donné naissance à des œuvres remarquables (Tarnation et Walk Away Renee de Jonathan Caouette, par exemple). Mais que peut faire un réalisateur pour intéresser les spectateurs à ses histoires de familles ?

Dans Pauline s’arrache, Emilie Brisavoine dévoile le quotidien de son atypique famille (père travesti, mère ancienne reine de la nuit), en pointant sa caméra sur sa demi-sœur, Pauline. Dans Happily Ever After, Tatjana Bozic se transforme en pendant féminin de Bill Murray dans Broken Flowers. En pleine crise conjugale, elle part à la recherche de ses ex. Dans Tempête, Samuel Collardey filme le quotidien compliqué de Dominique Leborne et de ses deux enfants. Il s'immisce parmi les membres de cette famille à la fois singulière et proche de nous, qui n’étaient au départ que des « amis d’amis ». Il les invite à jouer leurs propres rôles et à rejouer devant sa caméra des événement qu'ils ont vraiment vécus. Ces trois films appartiennent à un cinéma de l’intime, de l’intérieur. Il s’agit de se filmer soi-même, de filmer ses proches ou un quotidien privé.

Le choix des personnages

Pour espérer donner du peps à son film, il est impératif d'avoir un bon sujet. Et pour ça, rien de telle qu'une famille qui en « envoie ».  Si vos proches ont une forte personnalité, c'est parfait. Il faut des personnages dynamiques et s’ils sont « forts en gueule », c’est encore mieux ! Jonathan Caouette l’avait bien compris. Dans Tarnation, il mettait en scène sa propre famille, disloquée et haute en couleurs. Dans Walk Away Renée, il se focalisait sur sa mère, dont les troubles mentaux garantissaient un minimum de péripéties. Samuel Theis, lui, a également mis en scène sa propre mère dans l'excellent Party Girl.

Samuel Collardey, Tatjana Bozic et Emilie Brisavoine ont bien saisi le concept. De la personnalité, Dominique Leborne, le héros de Tempête, en a à revendre. Avec sa dégaine de baroudeur, son caractère d’écorché vif et son sens de l’humour à toute épreuve, il est d'emblée un personnage rêvé de cinéma. Un personnage singulier mais qui ignore l'être (lui-même était étonné que Collardey s'intéresse à lui) et auquel on s'attache dès les premières scènes. La fraicheur de ce bon vivant bourru fait un bien fou. Un trait de personnalité dont ont hérité Mattéo et Maylis, ses enfants et partenaires à l'écran. La réunion des trois fait souvent des étincelles et c'est tant mieux pour la caméra de Samuel Collardey. Ses personnages s'engueulent, parlent fort et ont des choses à dire. Tatjana Bozic, elle aussi, est une femme haute en couleur. A l’image de son film Happily Ever After, elle dégage une énergie débordante qui peut finir par agacer, mais au moins, on ne s'ennuie jamais. En sa compagnie, la route semble moins longue. 

Pauline dépasse les bornes

Les personnalités de ces « acteurs du réel » apporte leur matière aux films, mais est-ce que cela suffit ? Pas sûr. Pauline s’arrache dresse le portrait d’une ado dans toute sa splendeur. Elle sort, a un petit copain, s'engueule avec ses parents, rechigne à faire ses devoirs... Mais chez Pauline, la cyclothymie propre à l'adolescence est à son paroxysme. On navigue constamment entre rires et larmes, cris et douceur. Pauline est une jeune fille « attachiante », mignonne parfois, tête à claques souvent. Elle énerve, elle émeut, elle ne laisse pas indifférent. Certes, elle fait le show, embrase la caméra de sa demi-soeur par sa grâce juvénile, qui n'est pas sans rappeler celle de Sandrine Bonnaire dans A nos amours. Sa personnalité et son naturel en font un personnage de cinéma consistant, mais lassant. Pauline fatigue. Et quand on se demande ce que le film peut avoir d'intéressant à nous raconter, on se rend compte qu'il n'y a pas grand-chose. Pauline s'arrache presse comme un citron sa jeune protagoniste pour combler un manque d'argument dramatique. Pour nous spectateurs, n'appartenant pas à la famille de Pauline, l'intérêt peine à durer.

Une alternative artistique

Artistiquement, les « films familiaux » ont souvent le mérite de proposer des alternatives formelles au cinéma dominant et à ses codes rigides. Comme ces oeuvres sont à l'image de leurs héros, elles se doivent d'être atypiques. En 2004, pour réaliser Tarnation, Jonathan Caouette montait toutes sortes d'images tournées par ses soins depuis son enfance. Plastiquement, le résultat était étonnant. Comme Caouette, Emilie Brizavoine et Tatjana Pozic sont soucieuses de l'esthétique de leurs créations. La mise en scène de la première a quelque chose de punk : peu de moyens, des couleurs sombres, des décors dépouillés, un rythme enlevé. Ce parti-pris s'accorde parfaitement au caractère rebelle de l'héroine. Le tout est soutenu par une narration digne d'un conte de fées, qui introduit explicitement les personnages comme des archétypes du conte. « Je cherchais une structure narrative qui me permette d'ordonner un récit iniatique » explique la réalisatrice, qui avoue avoir relu pour cela Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim. Happily Ever After rappelle quant à lui les projets de Caouette. Tatjana Pozic s'est amusée à rassembler des archives de sa vie et des images d'aujourd'hui, du super 8, du numérique, etc. Son amalgame forme un documentaire pop, coloré, mouvementé, à l'esthétique alléchante. Pour Pauline s'arrache comme pour Happily Ever After, plus qu'au contenu, c'est à la mise en scène qu'il faut s'intéresser. Dans les « films familiaux », ce n'est pas toujours la substance dramatique qui compte, dont l'authenticité ne garantie pas d'être plus forte que la fiction, mais l'expérimentation visuelle.

Innover ou exprimer

Chez Samuel Collardey, le dispositif est tout autre. Pas d'esthétisation. Tempête est un long-métrage standard, sans fioriture, dont la grande particularité est donner à ses acteurs leurs propres rôles, afin de leur faire rejouer devant la caméra des situations proches de celles qu'ils ont vraiment vécues. La narration est fluide, mais c'est le calme plat du côté de la technique. Si Collardey n'a visiblement pas cherché à flatter l'oeil plus que de raison, c'est probablement parce qu'il se concentrait sur tout ce qu'il avait à raconter ; assurément plus de choses que ses deux consoeurs. A l'inverse de Pauline et Tatjana, Dominique Leborne ne se la coule pas douce. Il se débat entre son activité de marin-pêcheur et ses enfants, livrés à eux-mêmes, en manque d'attention. Une vraie tragédie cornélienne. La matière est donc là. Chez Pozic et Brisavoine, il y en a moins, il leur faut donc combler ce manque en cherchant à innover esthétiquement. Tempête, lui, privilégie le récit. A vous de voir quelle approche est la plus judicieuse.

 
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1 commentaire
  • Teddy_Devisme
    commentaire modéré Dire que TEMPÊTE n'a rien d'esthétique, c'est une grave erreur. L'opposition entre l'espace maritime et la terre est clairement une opposition formelle, tout autant importante que celle dans le fond. C'est une esthétique à la fois de l'espoir (dans le fantasme de la mer et de la maison qu'il repeint avec son fils) et de fatalité (la caméra qui embrasse les corps telle une amie dont la présence est permanente malgré son impuissance). C'est parfois froid, parfois chaleureux, et toujours brumeux.
    24 février 2016 Voir la discussion...
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