Fond vert

Les studios d'effets spéciaux ont-ils aujourd'hui les clés d'Hollywood ?

Dossier | Par Julie Michard | Le 1 août 2013 à 16h38

La déferlante de films à gros budgets de la période estivale donne lieu chaque année à une violente compétition. Le box-office international de ces dernières décennies le confirme, les effets spéciaux sont l'une des meilleures armes dans cette lutte pour le succès. Les VFX (Visual Effects) sont-ils pour autant indispensables au succès ? Les films réussissant à se glisser dans le hauteurs du box-office sans le renfort de nombreux trucages sont aujourd'hui de moins en moins nombreux. Mais les studios d'effets spéciaux ont-ils pour autant décroché une place hégémonique à Hollywood ?

Pacific Rim © Warner

L'été a apporté sa vague de chaleur et son habituel lot de blockbusters. Une énième bataille prend alors place pendant cette période estivale, et on regarde avec attention ces films à gros budget défiler devant nos yeux : on les compare, on les critique ou on les érige en chefs d'oeuvres du cinéma hollywoodien. La compétition est rude, mais les studios ont à leur disposition tous les moyens pour attirer le public dans les salles de cinéma. Dans ce cadre, les effets spéciaux sont devenus un vrai argument de vente. A défaut de vous assurer une oeuvre d'art, Hollywood vous promet du spectacle. Et quel spectacle ! Explosions en tout genre, créatures étranges et décors à couper le souffle viennent peupler les écrans de cinéma. Les effets spéciaux sont partout, et parfois même où on ne les attend pas. Car si ces effets étaient auparavant associés au cinéma de science-fiction, c'est aujourd'hui le tout Hollywood qui s'y met. Au point qu'ils envahissent le box office de ces dernières années.

La recette magique pour un bon blockbuster ?

Alors les studios de VFX sont-ils devenus les stars d'Hollywood ? Les meilleurs sont ils courtisés par les producteurs voulant s'assurer le succès en salle ? Si les effets spéciaux en eux-mêmes sont vieux comme le cinéma, les expériences visuelles qu'ils procurent aujourd'hui sont devenues essentielles pour les blockbusters. Comme le faisait remarquer Claude Brodesser-Akner à juste titre dans son article intitulé Pourquoi Hollywood ne veut plus s'offrir de stars et publié dans le premier numéro du Vanity Fair français : « Autrefois, les deux principaux critères pour choisir un film étaient 'what is it about' (ça parle de quoi ?) et 'who's in it' (qui est la vedette ?) ». Les têtes d'affiche ont de ce fait déserté les premiers rôles des blockbusters, et il n'est plus rare de les voir remplacer par des nobodies. Mais quand un budget avoisine 200 millions de dollars, comme pour Man of Steel, on ne peut se permettre d'embaucher un acteur avec un cachet de 40 millions, cette somme étant souvent consacrée aux dits effets spéciaux comme ce fut le cas pour L'Odyssée de Pi. Autant dire que la production n'aurait jamais embauché Suraj Sharma s'il avait demandé une telle somme. Les VFX ont désormais pris l'ascendant sur le casting, au point qu'on puisse se décider à aller voir tel film, non pas pour ses stars mais pour ses effets numériques.

Star Wars © LucasFilm

Pourrait-on aller jusqu'à prétendre que les scénarios pâtissent de l'abus d'effets spéciaux ? A l'ère des remakes, suites et adaptations, tout laisse penser que les VFX ont pris le pas sur les autres aspects des films.

Néanmoins, la médiocrité de certains blockbusters n'est pas une nouveauté. Pauline Kael, célèbre critique au New Yorker, abordait déjà ce sujet en juin 1980 en publiant un article intitulé Pourquoi les films sont-ils si mauvais ? et en déclarant : « La qualité n'a pas d'importance, seul compte le résultat (au box-office, ndlr) ». Si les blockbusters ne se sont jamais détachés par leur créativité artistique et ont toujours prônés la simplicité scénaristique, le manque d'originalité semble avoir atteint un niveau jamais égalé. On remet au goût du jour des scénarios, qui, à l'époque pouvaient en enthousiasmer plus d'un, afin de leur apposer notre avancée technologique. N'y en a t-il donc plus que pour les effets spéciaux ?

Simple gadget ?

Bill Mechanic, anciennement patron de la Fox, a jeté un froid en s'adressant au gratin des studios d'effets spéciaux lors d'une conférence. « Je leur ai demandé pourquoi cette période, qui est la plus excitante en terme d'avancées technologiques, est aussi celle d'une faillite créative. Les mondes que l'on invente, aujourd'hui, dans des films comme Green Lantern n'ont aucune singularité, aucun intérêt ». Une déclaration qui trouve encore aujourd'hui une certaine résonance puisque Kathlyn Kennedy a déclaré lors de la dernière convention Star Wars : « ILM est une super société qui peut tout créer. Mais sans acteurs ni histoire, ça ne sert à rien ». La productrice a également ajouté que les décors réels seraient privilégiés au fond vert pour le prochain épisode de Star Wars. Le risque est donc d'utiliser les effets spéciaux à tort et à travers. Il semble que les avancées technologiques aient pur rendre certains trop enthousiastes, comme Michael Bay dont le nombre d'explosions (de plus en plus générées numériquement) a augmenté de façon considérable au fil de sa filmographie.

© Frankenspace.com

Pourtant, si certains films ne font pas un usage à bon escient des effets spéciaux, certains n'auraient jamais pu s'en passer. James Cameron aura dû attendre que l'industrie du septième art connaisse une avancée technologique suffisante pour pouvoir réaliser Avatar. Alors qu'il fallait faire sans il y a quelques années, les effets spéciaux font aujourd'hui partie intégrante du processus de réalisation d'un film, et assiègent ainsi les studios comme une composante essentielle de la production cinématographique actuelle. Ils peuvent prendre un aspect pratique, permettant ainsi de réduire considérablement les coûts de tournage. Gatsby le Magnifique n'aurait jamais pu voir le jour si la production avait dû recréer les décors du film dans leur totalité.

Mais les effets spéciaux ne représentent pas seulement un aspect économique ; ils permettent également aux réalisateurs de repousser les limites de son imagination. Les studios apportent de nouveaux outils, et permettent ainsi à des films comme Gravity d'être réalisés. Quand les effets spéciaux sont utilisés à bon escient, ils ne dominent pas un film mais servent son histoire. S'ils ne rendent donc pas un film meilleur, ils y contribuent tout de même.

Un succès en demi-teinte

Pourtant, tout n'est pas rose au pays magique d'Hollywood. Les studios d'effets spéciaux ont peut-être trouvé leur place au soleil, mais les sociétés de production restent ceux qui détiennent les clés d'Hollywood. La dernière cérémonie des Oscars a permis ce petit rappel à l'ordre. Lorsque Bill Westenhofer monte sur scène pour récupérer son prix de Meilleurs effets spéciaux pour L'Odyssée de Pi il commence à remercier ses confrères du studio Rhythm & Hues avant d'être brutalement interrompu. Ce dernier a pu cependant finir son discours en coulisses, et déclarer aux journalistes : « Ce que j'essayais de dire, c'est qu'il est ironique que les films à effets spéciaux dominent autant le box-office alors que les compagnies qui les créent luttent pour survivre ! ».

Car douze jours avant la cérémonie, soit le 13 février 2013, le studio d'effets spéciaux Rhythm & Hues a dû licencier 240 de ses 700 employés. Alors quand Ang Lee oublie de saluer les «digital artists» dans son discours de remerciement pour l'Oscar du meilleur réalisateur, de l'huile est jeté sur un feu déjà bien attisé. Pourtant, Rhythm & Hues n'est que la partie cachée de l'iceberg. Un internaute a ainsi récemment comptabilisé les réductions de postes et les fermetures de studios. Ces sociétés n'ont pourtant pas fermé par manque de travail, la plupart ayant été rattachés à de gros projets. Digital Domain a travaillé sur L'Etrange histoire de Benjamin Button, avant de déposer le bilan et d'être rachetée par deux investisseurs. Deux studios d'Hugo Cabret ont également connu des difficultés. L'entreprise allemande Pixomondo (qui a travaillé récemment sur Only Lovers Left Alive de Jarmusch) a fermé ses bureaux à Londres et Détroit. Quant à Matte World Digital, la société a mis la clé sous la porte en août 2012. Les deux studios d'effets spéciaux d'Iron Man 2 ont connu le même sort : The Orphanage a fermé, tandis que Fuel VFX se faisait racheter. La liste ne s'arrête pourtant pas là : CafeFX qui est derrière de nombreux projets comme Le Labyrinthe de Pan ou Alice au pays des Merveilles, Asylum Visual Effects, Illusion Effects, MeteorStudios, etc.

Montage créé en soutien à Rhythm & Hues © FXRant

Pourquoi tant de fermetures de compagnies en pleine activité ? En premier lieu, les entreprises d'effets spéciaux doivent faire face à une rude concurrence. Seuls quelques poids lourds parviennent à s'imposer sur le secteur, et les sociétés de production possédant désormais leurs propres départements d'effets spéciaux. Mais la concurrence devient de plus en plus difficile, notamment lorsqu'elle vient des quatre coins de la planète. Mondialisation oblige, il revient souvent moins cher pour la production d'engager des spécialistes des effets spéciaux en dehors des Etats-Unis. De nombreux pays proposent par ailleurs des subventions et allégements fiscaux sur l'activité cinématographique. Ainsi, Montréal est en passe de devenir la capitale des effets spéciaux. Le studio Hybride, implanté dans la ville québécoise, peut ainsi se vanter d'avoir contribué à des films comme Avatar, Sin City et 300. On apprenait également en début d'année que la société Framestore avait décidé de s'y installer. Son PDG, William Sargent, indiquait que cette décision avait été motivée par l'existence « des généreux crédits d'impôts ».

Si cela peut représenter un avantage pour certaines entreprises, elle l'est beaucoup moins pour celle qui sont basées aux Etats-Unis. Il n'est donc pas étonnant que 500 employés du secteur aient décidé de défiler aux abords du Dolby Theatre lors de la dernière cérémonie des Oscars, en scandant « I want a piece of the Pi too » (littéralement, «je veux aussi ma part du gâteau», jeu de mot en référence à L'Odyssée de Pi). Si les sociétés veulent donc du travail, ils leur faut diminuer leurs cachets, au risque de ne plus rentrer dans leurs frais. Peter Jackson a ainsi déclaré à Entertainment Weekly que « la compétition entre les studios d'effets spéciaux, que les sociétés de production utilisent délibérément à leur avantage, obligent ces entreprises à opérer sur de faibles marges. Et quand on parle de 'marges', cela ne signifie pas l'achat d'une Porsche à la fin du film ; il s'agit de pouvoir faire des économies pour les périodes creuses ».

Total Recall (2012) © Sony

Les marges diminuent, et cela même si la part des effets spéciaux peut monter jusqu'à la moitié du budget pour certains films comme L'Odyssée de Pi. Gregory Duncan, qui travaille actuellement sur Thor : Le Monde des Ténèbres, précise ainsi qu'il faut parfois que les studios consacrent « deux ans de recherche et développement, avec des coûts initiaux de plusieurs millions de dollars par mois. L'entreprise peut finir avec 3-5% du budget, si elle a de la chance ». Alors lorsque Ang Lee a déclaré au Hollywood Reporter qu'il voudrait « que les effets spéciaux coûtent moins chers », la pilule a été d'autant plus dure à avaler.

Cependant, les sociétés de production hollywoodienne semblent d'accord pour penser que cette part de marché est encore trop élevée, puisqu'ils se décident à réduire les budgets tout en multipliant les succès avec des films à effets spéciaux. Ils n'hésitent donc pas à délocaliser ce pan de la production là où la main d'oeuvre est bon marché. Car si Rhythm & Hues a fait faillite, il convient cependant de noter qu'elle cherchait à embaucher récemment pas moins de 200 personnes pour ses bureaux à Taïwan.

Que penser alors de l'avenir des effets spéciaux ? Prédire le futur du septième art est un exercice sur lequel beaucoup se sont brûlés les ailes, mais l'industrie des effets spéciaux n'a pas dit son dernier mot. A en juger par la liste de blockbusters qui s'alignent pour l'année 2015, les VFX ont encore de beaux jours devant eux. Steven Spielberg et Georges Lucas ont ainsi prédit l'implosion de l'industrie cinématographique, en déclarant que seuls des films à gros budgets seront diffusés sur les écrans de cinéma. Devenus indispensables, les effets spéciaux restent pour autant clairement au service des superproductions hollywoodiennes.

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4 commentaires
  • youliseas
    commentaire modéré Ang Lee, le Kechiche américain ? :/
    3 août 2013 Voir la discussion...
  • juliemichard
    commentaire modéré @youliseas Haha, j'aime beaucoup cette comparaison ;-)
    5 août 2013 Voir la discussion...
  • Brazilover
    commentaire modéré Oui, Ang Lee n'a pas l'air très reconnaissant envers ses techniciens, alors que son film est superbe grâce à eux. Ce très bon article montre qu'Hollywood est vraiment un univers pourri et sans espoir pour les "petits" acteurs de la communauté du cinéma.
    7 août 2013 Voir la discussion...
  • juliemichard
    commentaire modéré @brazilover116 Autant, pour le discours de remerciement, je pouvais comprendre. Submergé d'émotions, il a très bien pu oublié de les remercier. Mais quand il déclare un peu plus tard que «les effets spéciaux devraient coûter moins chers», soit il est très maladroit, soit il n'a aucun respect pour leur travail.
    7 août 2013 Voir la discussion...
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