Les petits plats dans les grands

L'avènement de la grande cuisine au cinéma

Dossier | Par Thomas Jalili | Le 16 mars 2012 à 14h22

Deux films abordent en ce moment un sujet aussi appétissant que délicat : la grande cuisine. Lesquels ? C'est bien ? C'est bon ?

Mars 2012 : un grand, un très grand moment pour les gastronomes. Le nouveau Guide Michelin est sorti le 1er mars, M6 fait 17,9% de part d'audience avec son septième épisode de Top Chef, le 104 à Paris accueille le Festival du livre culinaire... Et deux films de cinéma rendent hommage, chacun à leur manière, à la grande cuisine.

Les sorties rapprochées d'Entre les Bras : La cuisine en héritage (14 mars), documentaire de Paul Lacoste, et de Comme un Chef (7 mars), comédie de Daniel Cohen avec Jean Reno et Michaël Youn nous donne l'occasion de parler du traitement réservé à la haute gastronomie au cinéma.

Un cadre

Deux restaurants, deux chefs, deux fois trois étoiles au Guide Michelin depuis 15 ans. L'un dans la réalité, l'autre dans la fiction, Michel Bras et Jean Reno sont respectivement aux commandes de deux des plus grands restaurants de la planète. Mais voilà, ils se font vieux et il faut qu'ils se trouvent un successeur. Seulement, la tâche n'est pas simple.

A la gauche du ring, Michel Bras, le « grand chef », comme l'appelle sa brigade, tient d'une main de fer l'hôtel restaurant du Suquet, sur le plateau de l'Aubrac en Aveyron. Certes, il fait travailler son fils Sébastien, « Séba » depuis qu'il a 16 ans, mais tout est sujet à dispute entre eux : le choix des herbes et des légumes au marché, le plus beau moment de la journée - lever ou coucher de soleil ? -, ou encore la manière dont il faut déguster un plat. Je vous l'accorde, c'est un peu au ras des pâquerettes mais c'est à ce moment-là que le film devient très émouvant. En fait, quelques scènes plus tard, le père avouera qu'il a peur pour son fils. Et oui, car la pression des trois étoiles au Guide Michelin est abyssale, seuls vingt-six restaurants ont reçu cette prestigieuse décoration sur les 175 000 entreprises de restauration que compte la France. Avant de passer définitivement la main à « Séba », la période de transition sera donc longue. Longue, elle commence à l'être déjà un peu puisque la transition a débuté en 2009.

De l'autre côté du ring, Jean Reno, alias Alexandre Lagarde, et son restaurant Cargo Lagarde. Il a une vie très confortable, roule en berline allemande, vit dans un superbe hôtel particulier, mais voilà, son patron propriétaire du restaurant, Stanislas Matter - rien à voir avec Arnaud lagardère, vous verrez - joué par le très bon Julien Boisselier, aimerait le limoger pour mettre à sa place un jeune chef maîtrisant la cuisine moléculaire. Et voilà que par un hasard que seule la fiction peut créer, il rencontre un jeune peintre amateur de grande cuisine. Il l'engage et en fait son second sur le champ. Situation impossible dans la réalité puisque devenir second d'un chef triplement étoilé prend en moyenne 10 ans. Arrive alors Stanislas Matter qui pose un ultimatum à Alexandre Lagarde. S'il perd sa troisième étoile, il sera licencié sur le champ. Et son patron utilisera tout son pouvoir politico-médiatique pour convaincre les inspecteurs du Guide de lui enlever sa troisième étoile. Lagarde est déboussolé et n?a plus d'idées. Il est obligé de s'en remettre à l'inexpérimenté Michaël Youn.

On a donc ici deux visions de la grande cuisine au cinéma. Et les listes La cuisine au cinéma, La cuisine, Association culinaire, ou encore notre MovieQuiz « De la cuisine » peuvent compléter le panorama.

Une succession

Dans l'excellent L'Aile ou la cuisse de Claude Zidi, cette comédie incontournable des années 70, Louis de Funès, un inspecteur du Guide que tous les chefs redoutent, passe la main à son fils joué par Coluche. Mais l'entreprise n'est pas simple car son fils n'est pas du tout prédestiné à cette carrière.


Leçon d'analyse culinaire, extrait de L'Aile ou la cuisse

Rien à voir donc avec les films Entre les Bras et Comme un Chef. Sébastien Bras a coupé des légumes servis dans le restaurant de son père à l'âge de 5 ans et, comme vous pourrez le voir dans la bande-annonce, Michaël Youn a réalisé son premier poulet basquaise à 4 ans.

Ils veulent tous les deux prouver, défier, challenger. On est un peu dans cette mode du « faut-il copier ou rejeter le modèle du père ? ». Le sujet touche d'ailleurs tous les secteurs : le vin (Tu seras mon fils), la mafia (Le Parrain), ou encore la Force (Star Wars 5 et 6).

Mais au final, tous ces films se terminent de la même manière. La nouvelle génération change les codes sans les révolutionner. Sébastien Bras le dit d'ailleurs très bien à deux reprises, l'une dans le film « J'ai pas envie de tout casser », l'autre dans le dossier de presse « Je ne serai pas un clone [NDLR : de son père] parce que j'ai ma propre expérience, mes propres émotions ». Et Michaël Youn d'ajouter lorsque Jean Reno veut assaisonner une côte de porc avec du romarin : « On ne met pas du romarin sur une côte de porc, vous n'en avez jamais mis, on n'en mettra pas ! ».

Finalement, la nouvelle génération ne choisit ni de copier ni de révolutionner, elle emprunte une troisième voie : la sienne.

Une création

En juillet 2011, le monde de la grande cuisine était sous le choc. Ferran Adrià, chef mythique du restaurant El Bulli en Espagne - sur lequel a d'ailleurs été réalisé un documentaire sorti sur nos écrans le 12 octobre 2011 - décide de fermer les portes de son établissement. Non pas parce que le restaurant ne marchait pas (les réservations étaient tirées au sort sur une liste de 2 millions de demandes par an) mais parce que le chef, pape de la cuisine moléculaire, considérait qu'il était temps de tourner la page de cette cuisine scientifique.

Il est donc très surprenant de voir que le film de Daniel Cohen montre la cuisine moléculaire comme le futur de la cuisine, car c'est absolument faux. Il reste bien sûr quelques irréductibles en France comme Thierry Marx, chef du Sur-Mesure à Paris et juré de l'émission Top Chef, mais la tendance est devenue relativement marginale.

Heureusement, la réalité est bien présente dans le documentaire de Paul Lacoste. Alors que Michaël Youn doit créer la carte du printemps, alliant cuisine moléculaire et cuisine de tradition, en 1h30 pour satisfaire les inspecteurs du Guide, Sébastien Bras prend un an pour réaliser une recette à l'image des goûters que sa grand-mère lui préparer quand il rentrait de l'école.

C'est à ce moment que le documentaire de Lacoste se détache réellement du film de Cohen et le laisse carrément au bord de la route.

Sans trop se mouiller, on peut donc dire que le documentaire Entre les Bras sort vainqueur par K.O de son duel avec Comme un Chef. Abusant de clichés ringardisés par les émissions comme Top Chef et Master Chef qui nourrissent chaque semaine l'imaginaire des spectateurs, le film de Daniel Cohen peine à transposer dans la fiction le plaisir et l'émotion que procure le documentaire de Paul Lacoste. À ce titre, le délicieux Ratatouille de Pixar était une réussite plus nette. Rappelons au passage que le film avait été supervisé par le chef parisien triplement étoilé Guy Savoy.


Cooking scene, extrait de Ratatouille

Un jour, peut-être, verra-t-on un film de fiction sur la cuisine réalisé par un chef trois étoile dingue de cinéma (mon rêve), en attendant nous continuerons à avoir faim... de cinéma !

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