« Je dis rouge, Julien dit bleu, on part sur du mauve. »

Interview de Pascal Sid et Julien Lacombe, réalisateurs de Derrière les murs

Rencontre | Par Marie Piot | Le 12 juillet 2011 à 15h18

En mixant film d'épouvante et 3D, Pascal Sid et Julien Lacombe osent indéniablement mettre du relief à un genre que le 7ème art français aborde avec parcimonie. Forts de leur indissoluble duo formé sur les bancs de la petite école, les deux réalisateurs cherchent par tous les moyens à nous effrayer avec Derrière les murs, drame fantastique dépeignant les vicissitudes d'une belle romancière des années 1920, incarnée par Lætitia Casta. Déprimée et malingre, la jeune femme se réfugie dans une grande maison de campagne, en quête d'une inspiration perdue. Retour en quelques questions sur la 3D, le film d'épouvante, la peur et la cinéphilie ordinaire en compagnie d'un tandem un brin insolent mais somme toute perspicace sur les problématiques de son temps.

Vous avez commencé votre carrière dans le court métrage (Le Peuple ancien, HK, Hours, El Derechazo, Le Sixième Homme). Vous voilà nageant dans le grand bain !

Julien : Au bout de 10, 15 années de travail, c'est une récompense pour nous, un accomplissement. Le court métrage n'est pas une fin en soi, si l'on considère vouloir gagner sa vie grâce à sa passion et faire de la réalisation son métier. Et puis, soyons honnêtes, le court-métrage est un excellent moyen d'expression narratif, mais en somme très restrictif. Sans compter que le format 90 minutes du long-métrage s'instaure aujourd'hui dénominateur commun de la fiction.

Pascal : On nous a souvent reproché de faire des courts-métrages au contenu source de frustration. Et tout cela à cause de la durée... Le court-métrage repose surtout sur un twist, une fin choc. Les personnages ne sont pas développés. Pour s'investir dans une histoire, avoir des temps morts, des temps forts, c'est plus intéressant d'avoir... du temps.

Julien : Oui, la fin du Sixième homme par exemple laisse un goût de trop peu, même à nous ; d'ailleurs, nous projetons sérieusement d'étoffer le scénario pour, qui sait, un long-métrage?


Le Sixième Homme par julien416

Vous vous connaissez depuis la maternelle, qu'est ce qui vous a poussés à ne plus vous lâcher ?

Pascal : Cela s'est fait assez naturellement. Au début, réaliser des courts-métrages nous amusait, Julien était derrière la caméra, parfois c'était moi. Solidaires dans l'effort, chacun donnait ses idées. Et puis, petit à petit, l'émulation s'est faite, on a commencé à prendre conscience que nos conceptions de la réalisation se rejoignaient. Finir sur du long-métrage découle d'une suite logique.

De quelle manière vous partagez-vous les tâches ?

Julien : Nous n'appliquons pas de méthode à proprement parler. Sans planifier nos faits et gestes, nous avons pris l'habitude de nous concerter sur tout. Réaliser en duo ou en solo ne change que peu la donne, étant donné qu'une grande partie du travail se fait en amont du tournage. Une fois mises en exergue sur les plateaux, les idées apparaissent claires et précises. Après, il est vrai que Pascal et moi connaissons les mêmes choses, nos actions sont pour ainsi dire complémentaires. L'humeur du moment joue aussi sur l'image que l'on se fait d'une scène. Si l'un conceptualise une séquence plus distinctement que l'autre, ce dernier s'efface momentanément. Jusqu'ici, ce synchronisme fonctionne à merveille.

Vous parlez de « cerveau commun » lorsqu'il est question de votre duo. N'y a-t-il jamais de dissensions entre les cortex ?

Pascal : Bien sûr que cela arrive et heureusement ! Un désaccord favorise la discussion, qui, en définitive, débouche sur un compromis. De longues années de pratiques nous ont d'ailleurs appris qu'a priori, le compromis marche mieux que ce qui étaient initialement prévu en lieu et place. Je dis rouge, Julien dit bleu, on part sur du mauve.

Connaissez-vous l'autre au point de savoir ce qui lui plaît ou non ?

Julien : Après 15 ans de collaboration, nos cultures s'additionnent et nos envies convergent. Le fantasme du film de divertissement intelligent à la manière des auteurs qui nous passionnaient étant jeunes, Spielberg, Ridley Scott, pour ne citer qu'eux, guide notre ligne de conduite. Si nos intérêts varient en fonction des sujets, le tout reste, au bout du compte, de mettre nos connaissances en commun au service du film et créer des références. Car sans forcément s'inspirer uniquement des films des autres, le réalisateur reste une belle éponge !

Derrière les murs est un film d'épouvante en 3D. D'où vous est venue cette idée ?

Pascal : Outre le fait que le concept de film d'épouvante nous passionne, le cinéma français semble avoir connu un nouvel engouement pour le genre fantastique en 2006. Ce nouvel attrait offrait des possibilités inédites à la nouvelle génération de réalisateurs, génération à laquelle nous appartenons. En outre, le film de genre permet d'explorer les recoins obscurs de la mise en scène. Nul besoin de dialogues pour faire peur !

Julien : L'idée de la 3D nous est apparue beaucoup plus tard, mais on a rapidement mis le doigt sur ce qui nous intéressait, à savoir le film d'épouvante en costume. D'éminents auteurs tels que Lovecraft et Maupassant sont nos premières sources d'inspiration. Plus un chouïa de Stephen King...

Vous vous doutiez que l'utilisation de la 3D impliquerait des contraintes techniques supplémentaires. Finalement, comment s'est déroulé le tournage?

Pascal : Les contraintes financières n'ont pas été lourdes à gérer grâce à la compréhension des prestataires techniques, conscients qu'un premier film s'avère souvent difficile à financer. Beaucoup d'efforts se sont fait sentir de tous les côtés puisque nous étions en quelque sorte les pères du film témoin, la 3D n'ayant jamais été instaurée dans le cadre d'une production française. Les contraintes concrètes venaient surtout du poids de la caméra.

Julien : Nous avions la possibilité d'utiliser des petites caméras 3D, mais cela allait à l'encontre de notre exigence principale : créer un film aussi beau en relief qu'en plat. On a donc utilisé des caméras à grand capteur, bonnes pour le "plat". Conséquence de quoi nous nous retrouvions avec un corps caméra de 50 kgs ! C'était inamovible, sans réelle spontanéité, nos réactions étaient préméditées...

Pascal : Pourtant, nous referions la même chose là, maintenant, si c'était à refaire. Techniquement, je pense que nous avons fait le bon choix. Après le manque de recul limite sans aucun doute notre perspective.

Avec le peu de recul que vous avez justement, considérez-vous le pari plutôt culotté ou casse-gueule ?

Pascal : les deux. Indéniablement culotté parce qu'il devait y avoir un premier film, et ce fut le nôtre. Nous n'avions pas d'enjeux particuliers, en tant que jeunes réalisateurs, et ne serons pas grillés ad vitam aeternam si les critiques se révèlent désastreuses. Pour autant, le pari reste casse-gueule à cause des récentes réactions anti-3D. Hollywood a converti à tout va la majorité de ses productions pour un résultat visuellement médiocre. Du coup, l'envie de voir des images en relief se fait moins ressentir.

Julien : M'est d'avis que le relief doit se considérer à la manière du 5.1 par rapport à la Stéréo. C'est mieux, dans l'hypothèse où les contraintes pratiques iraient en s'estompant, mais il semble illogique de se rétribuer davantage pour une composante supplémentaire qui n'est pas fondamentale. Payer pour Avatar à la rigueur, mais voir un film français à petit budget (Derrière les murs a coûté 2 millions d'euros à peine) et payer jusqu'à 12?50 la place de cinéma ? C'est compliqué.

Vous dites utiliser la 3D comme outil narratif dans Derrière les murs. Qu'est ce que cela apporte à l'intrigue selon vous ?

Pascal : Il n'était pas question pour nous de prendre la 3D pour une révolution ou une fin en soi. A notre petit niveau, on a cherché à utiliser la 3D comme un atout supplémentaire, un simple outil. Il ne s'agissait absolument pas d'en mettre plein la vue avec des jaillissements, qui, souvent, ont pour conséquence d'extraire le spectateur de l'intrigue.

Julien : La 3D n'est pas une révolution mais une évolution légère de l'image. Quel que soit le genre abordé, elle permet au spectateur de s'immerger par delà le propos, le rendant un peu plus actif et présent dans le décor que lorsqu'il visionne un film conventionnel. Et puis, l'idée de dépasser le caractère photographique du 7ème art nous a plu.
Malheureusement, les distributeurs demandent au spectateur de payer plus cher un cinéma qui ne se révolutionne pas. Les annonceurs promettent monts et merveilles au coeur d'une salle obscure, mais nous sommes souvent déçus...

Pascal : Somme toute, payer plus cher, avoir un inconfort causé par les lunettes (parfois lourdes) pour une image, qui bien souvent, perd de sa luminosité, ne rend pas service au cinéma. Si le public acceptait ces contraintes il y a 10 ans dans un parc d'attraction durant 15 minutes d'une immersion totale et extraordinaire, il s'en accommode beaucoup moins devant un film d'ambiance d'1h30. Au final, cela dessert plus le film qu'autre chose.

Cela vous amuse de faire peur aux gens ?

Pascal : Cela nous a amusé dans le cadre de l'exercice que constitue Derrière les murs. Raconter une histoire effrayante sans la rendre dégoutante et travailler sur l'ambiance, de telle sorte à rendre l'audience mal à l'aise? La sensation de peur devant un film est un sentiment incroyable. Créer la peur est un pouvoir énorme pour le cinéaste qui le possède.

Julien : Le 7ème art offre de l'émotion en bouteille. Le thriller surnaturel crée le malaise, l'angoisse, nous donne parfois envie de couper simplement la diffusion, de ne plus regarder ! C'est amusant. Je suis moi même très réactif à ce genre d'émotions. J'aime la peur, tiens !

Pascal : A l'ESRA, nous avions tourné un court métrage d'épouvante en noir et blanc, persuadés qu'il ne valait rien. Quel ne fut notre surprise lorsqu'on a vu notre classe et notre prof sursauter. Le court-métrage nous semblait tellement nul ! La manière dont le corps réagit est fascinante.

On ressent nettement les références au cinéma fantastique, espagnol, japonais. Suzanne (Lætitia Casta) n'est pas sans rappeler Grace, l'héroïne du film Les Autres d'Alejandro Amenabar... une référence volontaire ?

Julien : Nous ne voulions pas copier Les Autres, mais sans se mentir, il était une source d'inspiration dès le début. Cependant, mis à part le parti pris d'une femme dans une grande maison vide, les deux films n'ont pas grand chose en commun.

Pascal : Dans la toute première version de notre scénario, Suzanne était un homme ! La facilité avec laquelle nous nous représentions une femme apeurée dans sa propre demeure nous a fait modifier le sexe du personnage principal. Dans l'imaginaire collectif, un homme aura plus tendance à aller au devant des problèmes.

Pourquoi, à votre avis, le personnage de l'enfant est souvent un vecteur d'épouvante ? Une personnification de la culpabilité d'une mère négligente ?

Julien : L'enfant flippant est un vecteur très contemporain de la peur et se réfère directement au cinéma des années 70. Le cinéma japonais s'est emparé de cette frayeur, inspirant par la suite les films espagnols, créant pour nous de solides socles de construction. On reste dans la personnification de la peur, engendrée par le traumatisme du deuil de la mère qui fonctionne extrêmement bien en terme pictural auprès du public.

Pascal : Un enfant symbolise la pureté, la naïveté. Dès lors qu'il prend des allures un tant soit peu menaçantes, cela devient effrayant. Le simple fait que les enfants soient présents dans une scène suffit. Imaginer deux petites gamines au pied de son lit le visage dans l'obscurité fait clairement flipper, non ? L'humain se sent vulnérable dans son lit, comme dans son bain d'ailleurs. Si la scène de la douche de Psychose terrorise autant le spectateur, c'est parce qu'une situation aussi banale qu'une douche au cinéma met en image la fragilité de l'homme. Ce n'est peut-être pas très original, mais ça marche.

Julien : Voilà un canevas ultra primaire finalement. L'homme à l'état bestial devait sûrement, dans ses moments de toilette ou de sommeil, éviter d'être à la merci des prédateurs. Qui sait, peut-être avons nous gardé cette peur enfouie en nous?

Pascal : C'est intéressant, je n'y avais pas du tout pensé.

Julien : On nous paie pour réfléchir?

Pascal : T'es payé toi ?

Julien : (rires)

Le personnage principal interprété par Lætitia Casta tente par tous les moyens de cacher son profond désarroi. Le visage de Suzanne reste fermé durant la quasi totalité du film. Et pourtant, Casta réussit à transmettre une certaine émotion. Quels conseils lui avez-vous donné, si conseils il y a eu ?

Julien : Justement, la froideur du personnage est totalement apportée par Lætitia. De prime abord, nous nous figurions une Suzanne bien plus solaire, moins dépressive. Dès son arrivée, Lætitia a opté pour un discours plus psychanalytique, élargissant ainsi notre horizon.

Pascal : Nous lui avons donné quelques tuyaux certes, mais peu. Car finalement, comme tout comédien, elle a sa propre lecture du personnage. Lætitia s'est inventée un cheminement, des émotions, a beaucoup travaillé et nous a proposé de nouvelles données qui nous ont séduits, mises en exergue grâce à un recul que nous n'avions pas lors de l'écriture.

Vodkaster s'institue réseau social du cinéma et, de fait, offre un nouvel espace de parole aux cinéphiles. Le concept principal : écrire la critique d'un film qu'on a vu en 140 caractères. Que pensez-vous de cette cinéphilie décomplexée??

Julien : Vaste sujet. La cinéphilie traditionnelle a disparu au profit d'une cinéphilie globalisante, composée de plein de gens qui s'expriment à travers des blogs qui, souvent, prennent des allures de grands sites alors qu'ils n'en sont pas. L'expression d'un avis critique en 140 caractère, c'est à la fois synthétique et en même temps piégeur. Peut-on vraiment résumer un film en 140 caractères ?

Pourtant, dans les faits, le public a toujours eu l'ascendant sur la critique. Les salles se remplissent plus grâce au bouche à oreille qu'à une bonne critique de professionnel du cinéma?

Julien : Complètement. Internet semble être un open space pour le spectateur. Mais le format de la micro-critique force à synthétiser à l'extrême et engage à chercher le bon ou même le beau mot, incisif et formel. On ne peut pas forcément être mesuré. Il est plus difficile d'exposer les nuances d'un film. Certes, l'exercice verbal et intellectuel est hyper-séduisant pour le moi-auteur. Après, en tant que réalisateur, il m'est d'avis qu'on ne peut résumer les bons et les mauvais points d'un film de 90 minutes en deux lignes ! Le raccourci me dérange un peu.

Pascal : le mec qui n'aime pas le film dira "Derrière les murs, c'est nul, la 3D sert à rien". J'aurais plus tendance à écouter une personne qui argumente qu'une centaine d'utilisateurs associant des mots péremptoires. La critique publique reste quand même un moyen d'expression hyper positif, qui te permet de te faire instantanément une idée sur un film. Certes c'est séduisant, mais il faudrait idéalement que cela renvoie à quelque chose de plus profond.

Alors Internet, glouton géant ou instigateur d'un nouvel engouement pour le cinéma ?

Pascal : Qui peut nier l'extraordinaire outil que constitue Internet ? Ce que l'on apprenait en école avant se sait désormais dès lors qu'on a la volonté d'apprendre. En un clic, on accède à une manne gigantesque de connaissance, en considérant qu'il reste primordial de savoir faire le tri.

Julien : J'en parlais justement avec Roger Dumas. Il me racontait qu'il y a 20, 30 ans, il allait en bibliothèque pour ses recherches, appelait les librairies de l'hexagone pour se procurer des documents. Et de conclure en riant : « à 80 ans, je n'ai plus à me déplacer, juste à me connecter de chez moi, la belle affaire ! ».

Pascal : Il faut accepter le revers de la médaille, voir l'industrie du cinéma pillé de temps à autres par un public qui choisit la facilité en téléchargeant. Heureusement, les films très piratés sont les films très demandés. Ces derniers font des cartons en salles sans que le piratage ne nuise à la bonne santé de la superproduction.

Un film à conseiller à quelqu'un qui ne connait strictement rien du cinéma fantastique ?

Julien : Shining

Pascal : Parce qu'il faut en choisir un autre, Poltergeist. Mais sinon Shining bien entendu.

Une dernière pour la route. Pouvez-vous nous parler d'une scène qui vous fait aimer le cinéma ?

Pascal : La découverte de la salle de la maquette dans Indiana Jones et les aventuriers de l'arche perdu. Le DVD est encore dans mon lecteur.

Julien : J'allais le dire !

Pascal : Trop tard, t'es cuit.

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