sur la route

La Dernière piste : le cinéma d'abnégation

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 24 juin 2011 à 16h26
Tags : western

Le nouveau film de Kelly Reichardt, La Dernière piste, retrace le parcours semé d'embûches d'un convoi d'hommes et de femmes prêts à tout pour découvrir une terre de quiétude et d'abondance. Film de bravoure, ambiance de western, La Dernière piste nous ramène à une mouvance du cinéma américain dont nous n'avions plus pris de nouvelles depuis plusieurs décennies : un cinéma de voyage, initiatique, où la croyance en un lendemain meilleur motive le courage de dépasser les épreuves les plus éprouvantes. Un cinéma d'abnégation.

L'Amérique pionnière et conquérante inspira les thématiques et les réflexions du cinéma américain des premiers temps. La barbarie dépeinte dans le western ne fut que rarement contrebalancée par un dessein plus vaste et plus optimiste ; celui d'une épopée d'un peuple croyant en son avenir, traversant le désert, espérant découvrir les richesses que cache l'Amérique vierge du XIXème siècle.

Une longue marche, des vivres réduites, le soleil harassant... Autant de détails que n'arrivent pas à endurer le moral d'une petite communauté pieuse et soudée. John Ford s'intéressait déjà particulièrement au parcours d'un convoi de mormons, dans Le Convoi des braves, et à l'insouciance de ces pionniers qui espèrent trouver une terre d'accueil, et par là même les denrées les plus rares. S'il est question d'un combat acharné pour survivre, c'est le doux idéal d'une vie d'opulence qui fait avancer le convoi. Comme toute communauté, le convoi a besoin d'un berger, d'un guide. Une place privilégiée, convoitée par les bandits de grands chemins et les pires crapules.

Le moral de l'équipée restait néanmoins profondément illuminé, presque mystique. Ensemble, pensaient-ils, rien ne pouvaient leur arriver.


En route pour un nouveau monde extrait de Le Convoi des braves

Dans La Dernière piste, le convoi est réduit à son strict minimum : trois familles et leur guide, Meek, qui donne son nom au titre original du film (Meek's cutoff, soit la limite de Meek, beaucoup plus évocateur). Les femmes, dont l'éblouissante Michelle Williams, sont là pour se taire, les hommes pour négocier avec Meek, tenter de faire au plus vite, et avant tout trouver un point d'eau. Le film navigue entre ces besoins fondamentaux, nourriture, un peu de sommeil, besoin d'avancer, sans jamais s'appesantir sur la misère de ses protagonistes.

Il n'y a plus la même énergie, le même emballement, entre Le Convoi des braves et ce que dépeint La Dernière piste. Tel un Gerry communautaire, on y traîne sa carcasse, traversant un désert hostile, et la caméra ne s'y méprend jamais : le désert n'est pas objet de contemplation, de fascination, mais juste une somme d'épreuves à dépasser. C'est la substance même du film, son adversité, qui met à l'épreuve le moral du groupe. La violence est tapie dans l'ombre, en venir aux mains est l'ultime recours. La véritable torture sera psychologique, et prendra même la forme d'un renoncement, d'un acte de foi immense : continuer à avancer contre les éléments, malgré l'espoir qui s'amenuise.

Sans bruit et sans fureur, le convoi avance.


Dans le désert extrait de La Dernière Piste

En retravaillant la thématique de l'exil, du voyage, le film de Kelly Reichardt s'écarte pourtant de son chemin balisé pour concentrer ses efforts sur les turpitudes et les lenteurs, la vigueur spirituelle qui relie les hommes et les femmes. La Dernière piste est un vrai film croyant, obnubilé par une destination dont il ne connaît l'exacte proximité. La rencontre avec une autre civilisation, un indien aux intentions voilées, pousse encore plus loin le principe du film : pour toucher au but il faudra faire confiance à l'autre, à l'inconnu, et espérer qu'il mènera la troupe à bon port. Malgré son minimalisme et son apparente pudeur, La Dernière piste revient alors à la fondation même de l'État américain. Et propose une autre voie, la possibilité d'une confiance entre deux peuples que tout oppose.

Dans une époque où le cynisme empoisonne les coeurs des personnages de fiction, et où le western semble un genre qu'on ne peut observer que de loin (voir le récent True Grit, sorte d'hommage glouton effrayé à l'idée de se prendre trop au sérieux), La Dernière piste fait ainsi figure de film unique et précieux. Son maître-mot, le dévouement, l'abnégation, une éternelle fuite vers l'avant, autorisant les rêves les plus doux dans le contexte le plus dur. Malgré les aléas du voyage, et l'esprit retors des profiteurs, Michelle Williams prendra à bras le corps la destinée du convoi, s'inquiétant des faibles sans jamais juger les mauvais, et dépoussière ainsi un vieux rêve américain. Celui d'un territoire où tout le monde a sa chance.

Argument massue, La Dernière piste n'a en fait que très peu à voir avec le western, outre son cadre historique et géographique. Il s'inscrit dans une tradition encore plus rare et revigorante, celle d'un cinéma qui présente une foi indéfectible en ses personnages et en leurs idéaux. D'une bienveillance singulière, d'une aura solennelle, La Dernière piste ouvre un chemin vers un cinéma américain que nous pensions depuis longtemps déserté.

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