Come play with us... Forever and ever

Le cinéma accro aux manettes

Sur le web | Par Joseph Boinay | Le 20 avril 2018 à 14h51

On n'avait pas vu tel engouement pour un film de Spielberg depuis Tintin, en 2011 : son dernier opus, Ready Player One, a enregistré un départ foudroyant dès sa première semaine. Si la fréquentation s’est tassée depuis, ce petit triomphe, qui brasse des décennies de pop culture dans une grande fresque virtuelle, interroge : pourquoi celui-ci, et pas un autre ? En allant chercher du côté des internets, on a trouvé quelques éléments de réponse éclairants sur liens indéfectibles entre industrie cinématographique, spectateurs et jeu vidéo.

Si l'on en doutait encore, le succès récent de Ready Player One et sa palanquée d’easter eggs achève de le démontrer : entre cinéma et jeu vidéo, c’est une grande histoire d’amour. On se cite, on se taquine et pour finir chacun arbore un mug griffé au nom de sa moitié. Ainsi le cinéma a déjà recraché tout le bestiaire vidéoludique, ou presque : des bornes d’arcade de Starfighter (1984) et Videokid (1989) aux environnements virtuels de Tron et Ready Player One, jusqu’à la réappropriation de jeux entiers (Tomb Raider, Silent Hill…), aucun pixel n’a été laissé de côté par les studios. Si l’intérêt de s’appuyer sur la littérature est bien compris (intrigues et personnages déjà écrits, environnements préexistants), il est plus malaisé de percevoir la nécessité de traduire des mondes aux logiques parfois extrêmement triviales (Angry Birds ou Super Mario, pour ne citer qu’eux) et dont l’intérêt réside quand même essentiellement dans l’interactivité, absente au cinéma. Si on ajoute encore un accueil souvent glacial (jusqu’aux joueurs eux-mêmes), le mystère s’épaissit davantage : pourquoi diable le cinéma remet-il toujours une pièce dans le game ? Logique commerciale ? Pas que. C’est ce qu’explique très bien Alexis Blanchet, maître de conférences à Paris 3, dans une causerie éclairante au Forum des images, à Paris. 

Remediation

Un premier phénomène, théorisé par deux chercheurs américains (Jay David Bolter et Rrichard Grusin) permet bien d’expliquer l’attrait des studios pour l’art du gaming et c’est, en anglais dans le texte, la remediation. Néologisme intraduisible, la remediation n’est pas qu’un équivalent du remède, mais le fait, pour un média, de se remodeler à l’aune d’un autre média. Autrement dit, pour ce mot-valise aux accents heideggériens, la capacité d’un média à se prémunir contre sa propre fin, soit en exagérant sa nature, soit en amalgamant un autre média qui pourrait lui être néfaste. Et ça n'a rien de nouveau : lorsque la télévision se démocratise dans les années 50, l'industrie cinématographique s’inquiète. Pourquoi, en effet, se rendre dans les salles quand les films se déplacent à domicile ? 

On invente alors le Cinerama, le CinémaScope et autre VistaVision ; on fait renaître le péplum un temps oublié, mais dorénavant dopé aux budgets pharaoniques et paré de décors dispendieux. C’est à cette époque que flamboient Cléopâtre (1963) de Mankievitz ou plus tard 2001 (1968) de Stanley Kubrick : il s'agit de légitimer le “ grand écran ” face à la petite lucarne, un peu à l’étroit dans son salon. Habituellement, la remediation consiste plutôt à vampiriser un média concurrent. La télévision par exemple s'est elle-même transfigurée, avec l’apparition du web, et c’est sans doute pourquoi est apparue la téléréalité : davantage qu’une recherche de “trash TV”, il s’agissait de répondre à l’immédiateté et la permanence d’internet. Mais quid du cinéma à l'épreuve de Tetris ?

Un peu d’histoire

Jusqu’à la création des malls (centres commerciaux) aux Etats-Unis, on va au cinéma comme on va au théâtre : presque autant pour le folklore de la sortie que pour les films eux-mêmes. Avec l’essor considérable de ces fameux malls, le cinéma vient progressivement se coincer entre une échoppe de chaussures et un diner : on fait son shopping et si par hasard une affiche nous attire l’œil, on entre dans les salles obscures, un sac de topinambours sous le bras. C’est une pratique plus opportuniste. Au mitan des années 70, les bornes d’arcade débarquent elles aussi dans les malls et, dans un environnement où le loisir est un bien de consommation comme un autre, la concurrence est inéluctable. D’autant qu’à l’époque, le spectateur qui remplit les salles en masse est un jeune garçon… qui s’adonne au tripotage de joysticks. C’est là que la remediation intervient : on commence par citer le jeu vidéo au cinéma (qui le lui rend bien) et cette thématique devient de plus en plus familière, jusqu’à modifier la narration elle-même.

Et maintenant ?

L’explosion du jeu vidéo en termes économiques n’est pas de nature à freiner cette tendance, bien au contraire : son revenu mondial est estimé à près de 100 milliards de dollars en 2017, soit plus du double du chiffre d'affaires de l'industrie cinématographique la même année. Par ailleurs, contrairement à ce que pourrait laisser penser les très piètres réceptions critiques, ces adaptations sont très rentables : les fans continuent de s’échouer massivement sur le miroir déformant du cinéma, l’espoir encore et toujours renouvelé. Il ne semble plus très loin, le temps où Candy Crush délaissera les petits écrans de vos smartphone pour finir sur les toiles de vos multiplex, avec Liam Neeson en guest. Tout n’est pourtant pas si noir. Sous le vernis purement mercantile et industriel, la remediation participe aussi de l’histoire de l’art. Ici, on filme des personnages circulant dans les couloirs d’une faculté en singeant un Doom-like pour figurer l’espace mental de futurs assassins (Elephant, Palme d'or en 2003), ailleurs on suit la fuite compliquée d'un personnage dans un couloir en coupe, à la manière des “beat them all (Old Boy), etc. : beaucoup d’exemples viennent encore illustrer cette réappropriation des codes vidéo-ludiques, de Cronenberg (eXistenZ) aux sœurs Wachowski (Matrix).

Peut-être toujours de façon un peu trop passive-agressive : associé à l’ambigüité de sa virtualité, à une forme de manque à l’être (et donc opposée aux vertus du réel) ou encore à des visons paranoïaques, le jeu vidéo est encore trop souvent maltraité au cinéma. Même Ready Player One, immense hommage à l’ensemble de la pop culture, se termine par une mise en garde vaguement hygiéniste. Drôle de message, quand on a soi-même fui dans les images toute sa vie. Est-ce à dire que le 7e art, qui n’aime rien d’autre que s’autocélébrer, se méfie encore de ce nouveau monde qui pourrait lui faire de l’ombre ?  Peut-être. En attendant, espérons qu’un jour, cessera ce double-jeu avec cet amant pourtant fidèle, jusqu’à la véritable étreinte.

Le Forum des images, institution culturelle parisienne qui entend faire "parler le cinéma" (à l'aide de projections thématiques et de conférences idoines), laisse à disposition des internautes toutes ses vidéos de cours et de masterclass sur cette page. Menacé par un affaiblissement de son budget, une façon de le soutenir passe peut-être aussi par la consomation sans modération de tout ce beau savoir, libre et pédagogique. 

À ne pas rater...
40 commentaires
  • Findugame
    commentaire modéré Môssieur @Zeyken a quelque chose à rajouter ? :p
    23 avril 2018 Voir la discussion...
  • Zeyken
    commentaire modéré @Findugame Ce fut mon intervention de la journée. Comme je lis du bla bla eh bien je réponds en bla bla ♥ ♥
    23 avril 2018 Voir la discussion...
  • iamjusteen
    commentaire modéré Bah moi j'ai baucoup aimé ce Spielberg ! (c'était mon commentaire constructifs bisous)
    23 avril 2018 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré @Zeyken ouais c'est une bonne strategie quand on capte que dalle et puis ça donne l'impression de participer
    23 avril 2018 Voir la discussion...
  • Zeyken
    commentaire modéré @Sleeper Je parle pas de l'article hein ! Mais ouais j'avoue c'est pour avoir une bonne note en participation orale :)
    23 avril 2018 Voir la discussion...
  • taunt76
    commentaire modéré A quand l'adaptation cinématographique de Binding of Isaac?
    25 avril 2018 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @taunt76 Jess Franco était sur le coup, mais il est mort
    25 avril 2018 Voir la discussion...
  • Findugame
    commentaire modéré Maintenant il faudra attendre la sortie de la série sur The Witcher, même si c'est un peu de la triche.
    26 avril 2018 Voir la discussion...
  • PatateMasquee
    commentaire modéré @taunt76 ça serait trash en vrai
    1 mai 2018 Voir la discussion...
  • Findugame
    commentaire modéré Je crois que ça donnerait rien de concluant...
    2 mai 2018 Voir la discussion...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -