Cecil B. DeMille onze

Les 10 commandements de Venise 2011

Festival / Récompenses | Par Chris Beney, Hendy Bicaise | Le 9 septembre 2011 à 19h04

Au temps des dinosaures, alors que les films étaient encore projetés sur les parois des cavernes, Léon Gaumont déclara un jour que le cinéma deviendrait à la fois l'école et le journal de demain. Nous avons décidé de suivre le précepte du fondateur du studio à la marguerite et de nous interroger sur les enseignements à tirer des différents films présentés cette année à Venise. Des leçons de vie pour les festivaliers ? Plus que ça : de véritables commandements, évidemment au nombre de dix.

1er commandement : Tu n'engendreras point.
Ce que disent les films : Les enfants, c'est le début des emmerdes. Les parents de Carnage se retrouvent à s'écharper parce que le fils des uns a cassé la bouche du fils des autres. Ceux du Petit Poucet regrettent leur vie, celle d'avant la contraception, avec toutes ses bouches à nourrir qui les empêche de manger à leur faim.

Et à Venise, comment ça se passe ? On vous rappelle qu'on dort dans des lits superposés. Aucun problème de ce côté là. Tout du moins pas avant neuf mois.

2ème commandement : Tu ne mangeras point de viande. Surtout pas du lapin.
Ce que disent les films : En se comportant comme un carnivore, l'homme se rapproche de la bête et court en plus le risque d'être lui-même dévoré ou de disparaître. On pense fort au SRAS en découvrant dès le début de Contagion que le foyer de l'épidémie se trouve à Hong-Kong, aux fièvres porcines, bovines, sans se méfier d'un danger encore plus grand : le lapin. Les Monthy Pythons nous l'ont pourtant suffisamment dit dans Sacré Graal.


Le lapin de Troie extrait de Monty Python, sacré Graal

Le Petit Poucet, décidément riche en enseignements, nous apprend en effet que l'on est toujours le lapin d'un autre, et qu'en faisant cuire Bugs Bunny, on risque soi-même de finir à la marmite. Tormented de Takashi Shimizu fait encore plus fort, avec son lièvre géant qui harcèle un enfant, tout ça parce que le gamin a achevé un lapin agonisant, en lui écrasant bien la tête avec une pierre. C'est rancunier ces bêtes là.

Et à Venise, comment ça se passe ? Etre végétarien sur le Lido, c'est prendre le risque de faire une crise cardiaque. Pourquoi ? Parce que l'une des rares plats sans viande est la patatosa, la pizza aux frites. Cette aberration gastronomique, interdite dans plus de cinquante pays de par le monde (et même pas des pays communistes), passe directement de l'oesophage aux artères coronaires, entraînant une mort fulgurante mais gourmande.

3ème commandement : Tu ne prêteras point ton ordinateur à Michael Fassbender.
Ce que disent les films : Dans Shame, l'acteur interprète, Michael Fassbender, un sex-addict qui stocke du porno dans ses placards, mais aussi dans tous ses ordinateurs. Y compris dans celui de son travail.

Et à Venise, comment ça se passe ? Michael ne veut pas fréquenter la salle de presse, depuis qu'il sait que le Festival s'est arrogé le droit de garder traces de toutes les recherches effectuées sur Internet. Il a bien tenté de barbotter nos machines, mais on nous la fait pas à nous.

4ème commandement : Tu ne verras point de films en relief.
Ce que disent les films : C'est pendant la projection d'un film en relief que le jeune héros de Tormented fait la rencontre du lapin qui va le... tourmenter (oui, tout est dans le titre). Une peluche sort de l'écran pour se retrouver dans les bras de l'enfant et ne plus le lâcher. Et quel est-il ce film en relief dans le film en relief ? Shock Labyrinth de Shimizu, justement présenté à Venise l'année dernière. Flippante mise en abîme.

Et à Venise, comment ça se passe ? Venise est le seul des festivals majeurs à réserver un prix aux films en 3D-relief, attribuable à une oeuvre sortie en Italie dans l'année, et un programme spécial, mais deux problèmes se posent. Le premier, c'est la présence répétée du groupe Zapruder, un collectif italien spécialisé dans la stéréoscopie, qui a une fâcheuse tendance à nous pourrir les yeux. Le deuxième, c'est la gestion approximative de la projection, comme ce fut le cas de Tormented de Shimizu, qu'il fallut regarder pendant une demi-heure en tenant nos lunettes à l'envers (la faute à une inversion de la polarité de l'image), avant que le film ne s'interrompe et ne recommence, depuis le début, sur injonction du producteur, outré par ce sabotage. C'est du moins ce que nous avons cru entendre, parce qu'on n'y voyait plus rien.

5ème commandement : Tu ne toucheras personne. Tu ne parleras à personne.
Ce que disent les films : Contagion a trouvé le virus ultime, un implacable destructeur, volatile, qui se propage par simple contact. Le seul moyen de s'en préserver : tenir son prochain à distance.

Et à Venise, comment ça se passe ? Ne parler à personne, cela peut être facile. L'essentiel des journalistes et du public est italien, et l'essentiel des italiens présents parlent anglais comme une vache espagnole. Comme nous. Manque de pot, deux vaches espagnoles, ça ne se comprend pas. Pour le contact par contre, c'est plus difficile. Nous sommes au royaume de la poussette, du petit coup de coude et de la pression physique dans les files d'attente. Si le virus de Steven Soderbergh était là, tout le monde serait mort dès la projection du film d'ouverture.

6ème commandement : Tu n'enverras point ta compagne consulter Michael Fassbender en cas de maladie.
Ce que disent les films : Dans A Dangerous Method, l'acteur interprète Jung, psychanalyste tellement dévoué à sa pratique qu'il couche avec l'une de ses patientes. Sexy, mais pas très déontologique.

Et à Venise, comme ça se passe ? Certaines officines louches du Lido semblent tenues par des pharmaciens improvisés, avec leur sirop pour la toux et leurs caisses de Red Bull. Si les cabinets de médecin fonctionnent de la même manière, alors rien n'empêche Michael d'ouvrir un lieu de consultation au black. Le risque est donc réel.

7ème commandement : Tu ne t'attendras pas à assister à une projection sans problème technique.
Ce que disent les films : Rien. Le son étant la première et principale victime, ils se taisent.

Et à Venise, comme ça se passe ? C'est horripilant quand ça engendre de longues coupures, qui vous sortent du film, mais ça fait partie du folklore. Une Mostra qui roulerait sur du velours, ce serait comme un Festival de Cannes sans Lars Von Trier : fade.

8ème commandement : Tu n'arriveras point en retard aux projections.
Ce que disent les films : Ils veulent pulser d'entrée. Le plan-séquence sur lequel s'ouvre Carnage met superbement en valeur le micro-événement au coeur de l'histoire. Les premières minutes de Contagion suivent de manière précise et rythmée la propagation d'une menace pourtant invisible à l'oeil nu. L'ouverture de Dark Horse joue sur le contraste croustillant entre les invités déchaînés d'un mariage, dansant comme des pros, et les gueules d'enterrement de Selma Blair et de son prétendant.

Et à Venise, comment ça se passe ? Ce n'est pas le plus difficile à faire. Compte-tenu du nombre de problèmes techniques qui émaillent certaines projections, celles qui suivent commencent parfois en retard.

9ème commandement : Tu éviteras d'être le héros d'un film de Todd Solondz. Ou d'un film d'Eran Kolirin. Ou d'un film chinois. En fait, tu éviteras de vivre dans un film tout court.
Ce que disent les films : La vie, ça craint. Dans Dark Horse, de Todd Solondz, un nerd bien gras vivant encore chez ses parents (et quels parents : Mia Farrow en housewife d'un autre temps et Christopher Walken que l'on dirait tout moumouté) s'attache à une jeune femme triste comme un jour de pluie. Le protagoniste de The Exchange d'Eran Kolirin, n'est pas mieux loti. Il lui suffit de rentrer chez lui un peu plus tôt que d'habitude pour se rendre compte de la vacuité de son existence. Nous, il nous a suffit de 10 minutes pour nous rendre compte de celle du film. Dommage qu'il en restait encore 80 à subir... Du côté de la Chine, la vie n'est pas plus rose. On y chope des maladies mortelles (Contagion) et on y trime dans des mines à faire passer celles de Germinal pour la parc Vulcania de Valérie Giscard-D'Estaing. Quant à être un chinois à l'étranger, c'est pire : l'héroïne de Love and Bruises de Lou Ye s'en rend bien compte, elle qui découvre l'amour à la française prise contre le grillage d'un pont surplombant les voies de la Gare du Nord (ou de l'Est, dans les deux cas, c'est glauque).

Et à Venise, comment ça se passe ? Difficilement. Ici plus de lundi, de mardi, ni même de dimanche, mais des jours désignés par leur programme de projections (le jour du Friedkin, celui du Ferrara, etc.). S'impliquer dans un festival de cinéma n'aide pas à garder contact avec la réalité. Il suffit de croiser un acteur pour commencer à se demander si on n'est pas dans une fiction.

10ème commandement : Tu ne vivras pas à New York. Ni à Paris. Ni dans aucune autre grande ville. Ou alors tu ne sortiras pas de chez toi. Et non, tu n'iras pas vivre chez Michael Fassbender !
Ce que disent les films : Les grandes cités sont devenues de véritables Sodome. Les murs du New York de Steve McQueen dans Shame suintent le stupre et la luxure, alors que ses fenêtres offrent souvent une vue imprenable sur une partie de jambes en l'air. Dans 4:44, la mégalopole américaine sert de tête de pont à Abel Ferrara pour décrire sa fin du monde. Paris n'a rien à lui envier. Devant la caméra de Lou Ye, c'est une ville grise et triste, dans laquelle il ne fait pas bon être une femme ou un étranger.

Et à Venise, comme ça se passe ? Ici, il suffit aux spectateurs du tapis rouge d'arriver en début d'après-midi pour s'assurer une bonne place, alors que ceux des marches cannois cadenassent leurs escabots aux barrières. C'est dire si c'est la campagne.

Pour suivre toute la Mostra de Venise 2011
Chris & Hendy, nos envoyés spéciaux à Venise 2011

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1 commentaire
  • Brazilover
    commentaire modéré Mort de rire aux références à Michael Fassbender tout au long de cet article délirant.
    11 septembre 2011 Voir la discussion...
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