Jour de carnaval

Décès du cinéaste Alain Resnais

Actualité | Par Joseph Boinay | Le 2 mars 2014 à 18h23

Alain Resnais, réalisateur de L'Année dernière à Marienbad, Mon Oncle d'Amérique, Nuit et brouillard ou encore On connait la chanson est mort hier, samedi 1er mars 2014. Il avait 91 ans. Joseph Boinay, inconditionnel du cinéaste, a souhaité lui rendre, depuis Chalon-sur-Saône, un hommage ému.

À Chalon, c'est jour de Carnaval.

Je n'ai pas encore enfilé de costume, mais déjà, je ne suis plus moi-même. Alain Resnais est mort, je l'ai appris ce matin. Il ne s'est pas pendu, comme Ragueneau, un de mes oncles d'Amérique. Non, il est mort, de mort naturelle. Tous ces êtres qui se bousculent et les confettis qui tapissent le macadam ne sont qu'une seule et même chose. Ce sont les personnages d'Alain Resnais : Nous. Mes larmes se mêlent à la fanfare et Bashung résonne à mes oreilles :


Vertige de l'amour, extrait de On connaît la chanson

Comment rendre hommage à celui qui m'a accompagné toute la vie et m'a bouleversé plus qu'aucun autre ? Je ne devrais pas dire «je», mais c'est pourtant à ce «je» que Resnais a dédié ses explorations, le «je» de ces identités miroitantes, ces «je» solitaires, monades floconneuses qui se regroupent malgré elles, formant un épais manteau, tour à tour froid et enveloppant. Ces «je» soumis aux variations du temps et de la conscience. Ces «je» qui ne parviennent jamais vraiment à se trouver, sinon pour se perdre. On a dit Resnais trop cérébral, trop froid peut-être, comme s'il n'avait pas de coeur, comme s'il n'était de savants qui ne soient aussi poètes. Il nous a pourtant dit «Je t'aime» souvent, lui qui ne dissociait jamais la rigueur et la volupté. Il était le cinéaste de la curiosité. La curiosité, ce n'est pas la froideur intellectuelle dont on parle plus haut, ni le jeu, mais un peu des deux, chercher au fond de soi, trouver le vertige et décider qu'on peut s'en émouvoir. Alain Resnais, c'était le Gai Savoir. À une réalité fragmentée au gré des souvenirs, à l'exigence, à l'expérimentation, il confrontait toujours des coeurs, des âmes. Car c'est bien à l'exploration de l'âme qu'il s'est toujours attaché, avec malice, avec lucidité, avec élégance. Cinéaste du jeu, du double, de la perte : «Je est un autre», semblait nous dire Resnais. «Je» est capable du pire, Hiroshima, mon amour. Mais ce «Je» est toujours aussi une Providence. Et la vie, un roman.

En bas de ma rue, des masques gigantesques, monstrueux et bariolés, dodelinent et ricanent.

C'est jour de Carnaval.

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43 commentaires
  • lebateausobre
    commentaire modéré Être bouleversé c'est la moindre des choses. La mort d'un génie est la mort d'un espace-temps. A jamais vivant dans l'oeuvre, Dieu soit loué.
    Merci zephsk, j'ajoute que l'article est écrit avec majesté et ce style m'émeut autant que ce qu'il dit
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • Cladthom
    commentaire modéré Moi je sens juste un mec qui meurt comme tant d'autres et qu'on enterre simplement parce que c'est la vie.
    Je suis sûrement trop terre à terre.
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • lebateausobre
    commentaire modéré Je suis sûrement trop mystique : je crois au Salut. Resnais a sauvé donc sera sauvé.
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • Cladthom
    commentaire modéré On dirait un témoin de Jéhovah, tu m'inquiètes.
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • lebateausobre
    commentaire modéré C'est une manière de dire que l'oeuvre de Resnais témoigne, fermement, d'une quête d'oeuvre donc de révélation, par l'art, du mystère de l'individu. L'individu en quête, de quoi que ce soit, donc du Salut : on va vers l'espoir par le souvenir douloureux, vers l'amour par le drame de l'altérité. C'est ainsi que je conçois l'art en général et Resnais en est, pour ce que je connais de lui (assez peu, finalement), l'un des héros.
    Entendre mystique comme dans mystère : qu'y a-t-il dans ce Je qui nous dévore ? Dieu sûrement. Donc l'autre. Donc Je. Je suis sibyllin, j'ai bu.
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @jolafrite J'ai également vu ce misérable guide du bien-être Marabout qu'est Happy Show.
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • itachi
    commentaire modéré Belle plume, pour bel hommage, pour bel artiste...
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • jolafrite
    commentaire modéré @zephsk alors tu comprends la violence de passer quelques heures avec ce donneur de leçon en ce jour de deuil
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @jolafrite Oui, c'est insupportable.
    3 mars 2014 Voir la discussion...
  • LuxLucis
    commentaire modéré Beau geste !
    4 mars 2014 Voir la discussion...
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