22, v’là les flics !

Le cinéma français peut-il aimer la police ?

Festival / Récompenses | Par Hugues Derolez | Le 16 mai 2011 à 11h00

Dans le cinéma d'action américain, on vénère les flics en tous genres, qu'ils soient brutes épaisses aux coeurs tendres, modèles de bravoure, ou encore lieutenants francs du collier. Leur courage, leur ténacité triomphent des menaces les plus dangereuses pour la société. Et même lorsqu'ils sont dépeints comme véreux, asociaux, antipathiques, comme dans Bad Lieutenant par exemple, leur magnétisme continue de fasciner. A quoi ressemble la police du cinéma français ? A toute autre chose.

Ce que le cinéma français aime à retenir de ses forces de l'ordre tient sur un fil tendu entre absurdité et lâcheté. Comédie ou drame, film s'intéressant de près à la police ou seulement par endroits, ses membres sont furieusement caricaturés, ce qui semble toujours faire glousser de plaisir les cinéastes. Procéduriers et tenaces, se voit soulignée leur incompétence, parfois plus large, imputable au système lui-même et à sa direction. C'est tout le sujet de Très bien merci, d'Emmanuelle Cuau, où Gilbert Melki se fait arrêter après avoir assisté à un contrôle d'identité de jeunes gens quelque peu récalcitrants. Il s'entête, refuse de circuler, et finit en garde à vue. Refusant de courber l'échine, il va peu à peu sombrer dans la spirale interminable d'une société qui ne sait se débarrasser de ses parias. Chômage, internement, il ne sera plus jamais vraiment le même. Tout cela à partir d'un détail, d'une altercation anecdotique mais représentative d'un problème d'orgueil qui semble ronger notre société. La police, nous dit le cinéma, se croit toujours dans son bon tort, quitte à commettre des actes illogiques.

Ce n'est pas pour rien que les images qui nous reviennent naturellement, à l'évocation de films sur la police en France, sont souvent celles des Ripoux. Flics gauches au bon coeur, ils profitent du système tout en incarnant des figures attachantes. Reste qu'ils ne sont pas des modèles d'héroïsme ou de dévouement :


Comment dégainer plus rapidement ? extrait de Les Ripoux

Heureusement, quelques rares films essaient de redorer le blason des policiers, de donner à voir un aspect de leur travail plus précautionneux et ouvert à l'empathie. L'influence de la profession sur la vie intime mise en exergue, se découvrent des hommes tiraillés dans un quotidien durant lequel leur statut social ne les quitte jamais vraiment.

Le Petit lieutenant, du désormais célèbre Xavier Beauvois, fait partie de cette catégorie de films courageux mais humbles, qui établissent le portrait d'une police opiniâtre et parfois victorieuse. Le petit lieutenant en question c'est Jalil Lesper, fraîchement débarqué dans la PJ de Paris. Par son parcours, celui d'un gamin impressionné par les films américains et qui rêve de jouer au héros, le personnage mis en avant par Beauvois, se caractérise par sa ténacité qui le démarque des pions d'ores-et-déjà broyés par le système. Sa supérieure, incarnée par Nathalie Baye, mère fantomatique et alcoolique qui a vu son enfant disparaître, en est l'emblème. Femme forte, indépendante, irréprochable dans son métier, mélancolique le reste du temps, elle est ce que la police peut tristement engendrer de meilleur : un produit parfait, qui ne sait plus comment ne pas être policier.

Police, de Maurice Pialat, s'attaque à la même description clinique d'un milieu finalement fort méconnu. Gérard Depardieu y apparaît bourru, irascible mais sensible dans un rôle de flic qui lui vaut le prix d'interprétation masculine au festival de Venise. Autre grand souvenir français, celui de Tchao Pantin et du tonitruant Coluche, ancien-flic reconverti pompiste, animé par une rage vengeresse. Le travail de policier dépasse alors le statut, le simple métier : flic on l'est depuis toujours, c'est un engagement, un scrupule pour son entourage. Et on le reste jusqu'à la fin.


Petit déjeuner extrait de Tchao Pantin

L'une des réussites et surprises, il faut bien l'avouer, françaises de cette Sélection cannoise 2011 est sans conteste Polisse, de Maïwenn Le Besco, dont c'est la troisième réalisation. Un film au casting musclé, comme on n'en avait plus vu depuis le film de copains Les Petits mouchoirs ; jugez plutôt : Karin Viard, Joey Starr, Maïwenn bien sûr, mais aussi Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle et même Anthony Delon ! Nous y retrouvons l'une des équipes de la Brigade de Protection des Mineurs dans leur combat quotidien pour ceux qui ne peuvent pas se défendre. Les attouchements sur enfants y sont verbalisés, disséqués, parfois crûment mais c'est sûrement ce qui permet d'évacuer tout malaise, toute incompréhension entre le propos du film et son spectateur.

Nous retiendrons, de cette imposante galerie de personnages, peut-être trop imposante d'ailleurs, une incroyable vitalité, un verbe haut, une spontanéité qui adoucit tout doucement les maux dont sont victimes les enfants dans cette oeuvre. En voyant l'évolution, la déconne ou l'autocritique de ce microcosme, nous retenons les trajectoires de quelques personnages plus ou moins finement décrits, parfois trop caricaturaux. Force est de constater cependant un acharnement au travail, matin midi et soir, une envie de bien faire qui pousse, malheureusement de temps en temps à des incidents. Néanmoins une telle représentation de la police dans le climat social actuel fait figure de geste intrépide et singulier.


Départ en mission extrait de Polisse

Pas encore aussi présents sur nos écrans que les films consacrés aux prêtres ou autres membres de l'église, les films décrivant le milieu policier interviennent au mieux deux ou trois fois par décennie avec une documentation rigoureuse croissante et souvent beaucoup d'astuce. Mais là aussi c'est par les mêmes atouts qu'un tel film pourra viser juste ou passer complètement à côté de son sujet : une véritable envie de personnages, une écriture souple, pas trop appuyée, et surtout l'évitement de tout misérabilisme et démagogie. Pour cela, la télévision suffit déjà amplement.

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3 commentaires
  • zephsk
    commentaire modéré Je sais qu'on ne peut jamais être totalement exhaustif dans ce genre d’exercice, mais je pense qu'il y a eu une certaine histoire d'amour des français pour leurs flics, dans les années 70/80 notamment. Je pense à Melville (le Cercle Rouge, un Flic), Jean Bouise dans Dupont Lajoie, Chabrol (Lavardin/Poiret) etc, etc... Mais je reconnais que ce sont des personnages plus complexes que simplement "bon" et/ou "efficaces".
    19 octobre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Il y a aussi le genre de personnage joué par Melki dans "Après la vie" de Belvaux (même s'il est belge).
    19 octobre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Oui oui oui, ça mériterait un autre article qui s'attarde sur les dernières incarnations marquantes des quoi, dix dernières années ?
    Mais ce serait effectivement intéressant.
    19 octobre 2011 Voir la discussion...
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