Politique des acteurs

Quand les stars de cinéma donnent dans le film alimentaire...

Dossier | Par Hugues Derolez, David Honnorat | Le 17 février 2011 à 12h27
Tags : rétro, acteur

Le concept du « film alimentaire », bien qu'ayant donné naissance à un sympathique t-shirt, semble faire l'objet d'un certain tabou sur Internet. Tentez donc de googler la chose, vous ne trouverez rien d'autre que de quoi couvrir votre gigot. Pourtant, au fil des sorties ciné, l'ampleur du phénomène semble évidente. Les plus grandes stars de cinéma n'hésitent pas à tourner dans des navets foutus d'avance, quitte à ne plus trop assumer leur choix à la sortie du film. Alors, est-ce pour mettre du beurre dans les épinards (histoire de filer la métaphore gastronomique), ou simplement pour souffler après un rôle éprouvant ?

Cette semaine, on retrouve la belle et énergique Natalie Portman, toujours à l'affiche du perturbant Black Swan, dans Sex Friends, une comédie faussement frivole, mais franchement ratée. Qu'on aime ou qu'on déteste Black Swan, on conviendra que son rôle (avec lequel elle est d'ailleurs la grande favorite aux Oscars) y était plus ambitieux et exigeant que dans Sex Friends.

La pratique semble de plus en plus courante chez les acteurs et actrices hollywoodienne, mais n'est-ce pas là la recette du succès ? On se souvient, l'année dernière, de Sandra Bullock qui obtenait, à quelques jours d'intervalle, l'Oscar de la meilleure actrice pour pour The Blind Side et le Razzie Award, la récompense honorant la pire prestation de l'année, pour All About Steve. Si là encore on pourra débattre de la qualité respective des deux films, le schéma semble être le même : en variant ainsi les genres, l'actrice démontre son éclectisme, prend le temps de se remettre de ses rôles les plus éreintants, et empoche pas mal d'argent au passage (on ne va pas le reprocher à Natalie, elle aura bientôt une bouche de plus à nourrir).


Elle m'a retrouvé ! extrait de All About Steve

Si le passage par des films alimentaires est donc compréhensible du point de vue des acteurs, il l'est d'autant plus du point de vue des producteurs. Imaginons Sex Friends porté par Denise Richards et Ben Affleck, deux acteurs encore assez jeunes mais un peu sur le retour, et le film n'attire plus. C'est aussi parce que le seul nom des stars suffit à déplacer les foules que les autres aspects du film (scénario, mise en scène) sont souvent négligés. D'autant que le cachet des acteurs a en général englouti l'essentiel du budget.

En abusant des films cheap, les stars risquent toutefois de dévaluer leurs noms... d'où l'alternance. Natalie Portman a d'ailleurs l'habitude d'enchainer des projets aux dimensions très différentes. En 2005, elle apparaissait au festival de Cannes au générique du troisième épisode de Star Wars mais également de Free Zone, d'Amos Gitaï. Elle revenait, dans cette fable initiatique, sur ses origines Israéliennes et les tensions qui habitent la région :


Les larmes de Natalie extrait de Free zone

Reste donc le point de vue du spectateur. Peut-on rêver d'une star à la carrière irréprochable ? Le nom d'un grand acteur peut-il être la promesse d'un grand film ? Les choix de carrière trop souvent motivés par l'argent tendent à dire le contraire. Il y a ceux qui enchaînent avec une régularité déconcertante films d'auteurs, projets audacieux, et blockbusters ou comédies : on pense avant tout à Matt Damon avec Gerry, de Gus Van Sant, et La Mémoire dans la peau sortis la même année. Mais également Joaquin Phoenix avec Gladiator et The Yards, second film de James Gray en 2000.

Certains acteurs que nous n'aurions, au début de leur carrière, jamais qualifié de prestigieux finissent avec le temps par se racheter une conduite et jouer dans des films qui bousculent l'actualité du cinéma. Stephen Dorff en était l'exemple dernièrement dans Somewhere de Sofia Coppola.

En fait, même les plus grand acteurs de la génération précédente ont eu leur carrière entachée d'un ou deux films alimentaires étonnants. Marlon Brando, summum de la classe et de la rigueur, aura donc pourtant incarné le père d'origine extraterrestre de Clark Kent dans le premier Superman, deux ans avant Apocalypse Now. Sans s'amuser à débattre de la qualité caractérisée ou non de Superman nous reconnaîtrons qu'il faut une bonne dose de courage pour oser incarner un extra-terrestre mystique vêtu d'une longue toge brillante, et surtout de le faire bien. Un peu plus jeunes Robert De Niro et Al Pacino terminent leur carrière avec des films parfois peu convaincants si on les compare à leurs glorieux faits d'armes passés.

Quand on s'intéresse aux débuts des studios hollywoodiens ou à leur âge d'or dans la première moitié du vingtième siècle, on remarque bien sûr la même omnipotence de l'acteur qui sait tout faire, qui apparaît partout, qui n'a aucune limite dans son jeu. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? Le concept même de film alimentaire est né de la dichotomie entre films d'auteurs et films grands publics (sans compter l'émergence récente d'un entre-deux avec les films indés à la Little Miss Sunshine) de plus en plus visible dans le cinéma américain.

Le spectateur appréciera de pouvoir retrouver ses idoles dans des rôles variés et originaux et l'acteur se retrouvera de moins en moins cloisonné à un genre cinématographique particulier (en France la mécanique est en marche mais, comme toujours, un peu plus lentement). Là où le bât blesse c'est que les interprètes vont devoir enchaîner frénétiquement les projets, avec fidélité et rigueur, et garder une santé de fer. Ceux qui ne savent pas tout faire seront mis au placard et quelques acteurs de premier plan feront main basse sur tous les rôles d'importance du cinéma américain. Mais n'est-ce pas comme cela qu'on peut reconnaître un grand acteur ; en le découvrant capable d'incarner mille rôles, même dans des films médiocres, et d'en tirer pourtant toujours une prestation impeccable ? Dernier exemple probant en date le mirifique Johnny Depp, qui a côtoyé dans sa fougueuse jeunesse Terry Gilliam ou Emir Kusturica, et qui depuis quelques années enchaîne les films peu inspirés de Tim Burton ou les épisodes de la très longue saga Pirates des Caraïbes. Dans The Tourist il est encore une fois exemplaire bien que le film n'ait, pour sa part, conquis ni la critique, ni le public :


Discussion dans le train extrait de The Tourist

On laissera la conclusion à Robert de Niro (prochain Président du Jury à Cannes) qui recevait lors des derniers Golden Globes, un prix pour l'ensemble de sa carrière. Remarquant que certains de ses films, moins mémorables, avaient été oubliés dans sa vidéo hommage, il déclarait (voir la vidéo) : « These movies, all of them, are like my children. [...] At a certain point you just have to let both of them go and hope for the best. It's up to the audiences to decide of it's entertainment, the critics to decide if it's goods, and ultimately posterity to decide if it's art, » (trad. « Ces films, tous, sont comme mes enfants. [...] À un moment donné, il faut les laisser se débrouiller et espérer le meilleur. C'est au public de décider si c'est divertissant, aux critiques de décider si c'est bon, et à la fin, à la postérité de décider si c'est de l'art, ».

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