Un wagon de retard

Super 8 : la mort des années 80 ?

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 3 août 2011 à 11h20

Nous le savons : un bon été s'apprécie aussi avec son lot de blockbusters et de grand spectacle. Face au poids lourd Super 8, que tout le monde attendait au tournant, la concurrence fait pâle figure. Un film d'aventure dans lequel de jeunes cinéastes en herbes vont se retrouver confrontés à l'impossible, un train qui déraille, l'armée qui essaie de contenir la crise, et surtout une étrange chose qui s'insinue dans la vie de la communauté sans qu'on sache ce qu'elle est ni ce qu'elle veut. Le film de J.J. Abrams, en hommage à sa propre enfance dans les années 80 et à ses cinéastes chéris, Steven Spielberg en tête, tient malheureusement plus de l'exercice laborieux que de la réinvention des codes du genre. La faute est-elle imputable au cinéaste, pétri de bonnes intentions, trop peut-être, ou à une recette qui ne fonctionne plus hors de son carcan temporel ?

Le jeune J.J. Abrams, ainsi que son ami Matt Reeves (le réalisateur de Cloverfield) vouent un culte dès leur prime enfance à Steven Spielberg. Ils travaillent très tôt sur des films en super 8, un format cinématographique très en vogue dans les années 70-80 chez les réalisateurs débutants car très peu coûteux, mais relativement médiocre. L'histoire de Super 8 en somme c'est un peu la leur, celle d'enfants obsédés par le cinéma, la science-fiction, un univers plus aventureux où ils pourraient exprimer toute leur fantaisie. Dans le film, un événement hors du commun va faire basculer la vie des protagonistes de la réalité vers le fantasme, là où celle de J.J. Abrams le fut d'une autre manière : en devenant cinéaste, fiction absolue et impérissable de sa jeunesse.

Les glorieux ascendants de cette petite bande sont donc nombreux : Steven Spielberg et E.T., comme nous le disions précédemment, et d'autres films où les enfants sont au centre des péripéties, comme L'Histoire sans fin de Wolfgang Petersen, Explorers, de Joe Dante, ou encore Les Goonies de Richard Donner. Le paradigme est repris dans Super 8 : une indéfectible bande de copains est mise à rude épreuve après l'occurrence d'un événement fantastique, la découverte d'un autre monde, la curiosité d'aller voir ce qui se cache derrière les rêves. Au coeur de ces films donc, une amitié sans borne qui alimente une bravoure, une envie de dépasser tous les dangers. Mais surtout une franche camaraderie propre à cet âge, où on se taquine autant qu'on se câline.


Choco fait le bouffi-bouffon extrait de Les Goonies

Ce spectateur grandissant dans les années 80 est aujourd'hui en âge d'être un cinéaste accompli et il ne renie pas cette filiation, au contraire, il l'embrasse et voudrait la sublimer. Il bricole donc un film hommage, deux en un comme il l'avoue lui-même, entre film intimiste (le décès d'un parent est le départ du récit) et un film de science-fiction haletant. Enfermé dans ses vices et ses habitudes, J.J. Abrams reconstitue donc avec minutie le cadre de son enfance, les années 80, une bourgade isolée, un univers d'adulte qui se confronte à un monde d'innocence. La transposition est parfaite, trop peut-être, car l'articulation qu'Abrams aimerait faire entre les deux pôles précédemment décrits ne prend jamais forme. Sûrement trop conscient de son statut de film-bilan, revenant sur un passé enchanté, Super 8 perd justement en naïveté et en simplicité. Tout doit s'y trouver, de l'amourette aux réconciliations entre générations, et tout s'y trouve donc. La déception se trouve justement dans cette accumulation de collectionneur un peu vaine, celle de vouloir répéter tout ce qui faisait la préciosité des films des années 80. Une récitation qui amène donc à beaucoup de raccourcis, à des choses réduites et seulement esquissées.

Super 8 souffre également de la concurrence d'un autre film testament des années 80 : Panic sur Florida Beach (Matinee en version originale) de Joe Dante. Un jeune garçon obsédé par le cinéma de monstres y rencontre son producteur fétiche, brillamment interprété par John Goodman, alors que la crise des missiles de Cuba fait rage. Joe Dante y fait preuve de plus de tact, glorifiant le cinéma qu'on apprend à faire chez soi, pour se divertir, et qu'on partage telle une offrande dans un temple moderne : la salle de cinéma. On y bricole de nouvelles trouvailles, on s'y love pour se rapprocher de ceux qu'on aime, mais surtout on y a peur. Et quand la lumière se rallume, tout semble aller pour le mieux.


Origine du cinéma extrait de Panic sur Florida Beach

La rencontre semble donc inévitable : l'enfance est transcendée, dans le cinéma des années 80, par le surnaturel. On y fuit littéralement ses tracas en allant dans un autre monde, parfois extraordinaire, parfois dangereux, pour y grandir et y apprendre ; afin de finalement revenir vers les siens et de devenir un adulte accompli. La curiosité de l'enfance pousse à s'aventurer dans des contrées inexplorées et c'est ce que ce type de cinéma avait compris à la perfection. Aujourd'hui, une telle quête serait-elle envisageable, dans un monde où les univers créés de toutes pièces sont déjà contrôlés, globalisés, et accessibles de chez soi sans le moindre effort ? Ce n'est sûrement pas pour rien que J.J. Abrams décide de situer l'action de son film dans cette époque charnière.

Ce serait alors parce que le monde a changé que nous ne pouvons plus apprécier Super 8 ? Non, l'horreur dont parlait John Goodman dans Matinee est toujours présente. Le monde continue d'avoir peur, transi, perclus par son mal potentiel, tout comme Super 8 qui préfère rester dans un statisme confortable plutôt que de prendre racine dans son époque. Le cinéma sait mettre en forme cette horreur, mais surtout il sait aussi y mettre fin. Super 8 le sait, et respecte son cahier des charges admirablement. Comme une photo d'époque mais qui ne serait même pas sali par le temps.


L'accident de train extrait de Super 8

Qui sont donc les actuels continuateurs de l'oeuvre de Steven Spielberg, ceux qui ont eu assez d'audace pour s'affranchir des conventions de leurs aînés pour revitaliser le cinéma d'aventure ? Rares sont ceux qui arrivent à sublimer l'image de l'enfance au cinéma, voire tout simplement à écrire des personnages jeunes mais convaincants et réalistes. Un nom vient pourtant immédiatement en tête : celui du cinéaste Guillermo Del Toro. Parfois trop démonstratif, il reste néanmoins le plus à même pour dépeindre les troubles de l'enfance, de mettre en parallèle les angoisses qui apparaissent au moment de grandir, la disparition des rêves et l'apparition des fantasmes, avec une dimension proprement fantastique et inquiétante.

Dans Hellboy nous assistons à l'avènement d'un enfant qui devient adulte, seul car monstrueux, tentant de trouver l'amour et d'apprivoiser son corps. Accessoirement, il se bat contre des nazis et les forces occultes. Comme un adolescent éploré qui se rêverait une vie isolée et fantasmagorique. L'Echine du diable, et son petit frère Le Labyrinthe de Pan, retravaillent l'histoire de l'Espagne durant les années 40, ou comment les enfants peuvent espérer grandir dans un contexte de mort et de terreur. La fiction et la rêverie deviennent alors plus qu'une passion, comme c'était le cas dans les années 80, mais une échappatoire, une nécessité.


Charmant bonhomme extrait de Le Labyrinthe de Pan

L'effort était louable mais il faut reconnaître que J.J. Abrams, qui n'est pourtant pas le dernier pour remettre en cause les poncifs cinématographiques et télévisuels, fait ici figure d'enfant bien sage. S'il faut faire revivre un certain cinéma des années 80, fatigué comme l'est le public actuel par les happy ends et le premier degré désarmant, il n'y a probablement qu'une bonne façon de le faire : en lui trouvant une utilisation, une adaptation aux contingences des années 2000. Dans le cas contraire, il ne reste plus qu'à déclarer mort le cinéma d'aventure de ces années bénies et, comme le fait J.J. Abrams, à l'empailler pour faire beau dans son salon.

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