un muet bien moderne

The Artist : le muet n'a pas pris une ride

Dossier | Par Isabelle Monteil | Le 12 octobre 2011 à 17h19

The Artist c'est le pari fou de Michel Hazanavicius de refaire en 2011 un film muet, et le challenge semble largement gagné. Le film opère un beau retour dans le passé et se contemple à la fois comme un objet de curiosité et comme un film à part entière dont on suit l'intrigue avec intérêt. Mêlant hommage et modernité, The Artist est définitivement de son siècle : le XXIème.

Un pari osé

The Artist nous raconte l'histoire de George Valentin (Jean Dujardin) une star du cinéma muet qui enchaîne les têtes d'affiche. Lorsque le cinéma devient parlant, il refuse de suivre le changement et va très vite sombrer dans l'oubli contrairement à Peppy Miller (Bérénice Béjo) une figurante qui accède au statut de star. L'orgueil de ce dernier va briser sa vie et aussi l'histoire d'amour naissante entre les deux acteurs. Le scénario traite ainsi des problèmes et enjeux de cette époque de transition du muet au parlant et rend hommage à l'Histoire du Cinéma. Car l'arrivée du parlant rend l'affaire bien plus complexe pour les acteurs qui se doivent désormais d'allier la parole au geste et beaucoup mirent fin à leur carrière à ce moment là.

Mais le tour de force de The Artist réside aussi dans la concordance entre le scénario (raconter le muet) et le film (faire du muet). En effet, en plus de nous parler du cinéma des années 20, Hazanavicius en emprunte également la forme pour recréer entièrement un film de l'époque. Une prouesse qui demande de désapprendre les codes mis en place par le parlant, puis la couleur, et de repenser la façon de fabriquer le film autant dans le scénario que dans le montage. The Artist s'impose ainsi comme un tour de force, en revisitant le passé tout en y insérant des références cinématographiques qu'il distille dans le film, comme le premier essai de son avec une actrice qui a une voix de crécelle. Ce passage laisse entrevoir une allusion flagrante à Chantons sous la pluie où le playback donne une chance, aux acteurs du muet, de perdurer :


Playback extrait de Chantons sous la pluie

Hollywood : terre promise du cinéma

L'époque du muet c'est l'Âge d'Or du cinéma dont la Mecque est Hollywood. Sur les collines de Los Angeles tout est possible : filmer un western, une épopée biblique, un mélodrame citadin, des films de gangsters, les explosions monumentales d'un film catastrophe, une invasion extraterrestre. Car si le cinéma naît en France avec les frères Lumière, ce sera Outre-Atlantique qu'il connaîtra sa gloire. Le choix d'Hazanavicius de revenir à Hollywood dans les années 20, où l'enthousiasme n'a pas de limite, a tout de la destination idéale pour cette expérience anachronique du film muet. Car à Hollywood on se refait, à l'image du Ed Wood de Tim Burton qui tourne sans relâche ses films dans les studios de la ville où se côtoient les célébrités comme les oubliés du cinéma. Un motif qui satisfait aussi une certaine nostalgie de revoir vivre une époque éloignée de près de cent ans.


Ed Wood en tournage ! extrait de Ed Wood

The Artist nous parle aussi de ces stars déchues qui errent dans la ville. George Valentin c'est le dandy cabotin, anachronique et égocentrique dépassé par les événements. Il a l'orgueil aristocratique de celui installé dans sa condition de star sans voir que le changement et la nouveauté restent à faire. Même si le ton de départ est dans la comédie, très vite le film bascule dans un drame personnel, sombrement mis en scène. Star déchue un peu pathétique, Jean Dujardin est un has-been. Un motif déjà utilisé dans les différentes moutures de A star is Born, où le personnage de Norman Maine, ex-star, découvre un jeune talent qui finit par le supplanter en notoriété. Dans ces deux films se joue alors le drame d'un rapport amoureux contrarié par l'humiliation que vit le personnage masculin du fait de la gloire de celle qu'il aida à découvrir.


Scandale à la remise de prix extrait de Une Étoile est née

Comme beaucoup de ces héros insouciants, une part d'adhésion instantanée opère, comme si le seul fait de marquer aussi visiblement leur faiblesse devenait leur plus grand atout. Dans The Party, le petit figurant insignifiant refuse de mourir pour garder le devant de la scène. L'orgueil du petit c'est aussi ce qui le grandit, malgré les étapes périlleuses, et Hazanavicius en est presque la preuve. Car on pourrait considérer comme orgueilleux le fait de vouloir redonner naissance au muet et l'imposer à une génération nourrie aux effets spéciaux et à la 3D. Ce sera pourtant bien cette génération qui pourrait être intéressée par ce retour dans le temps qui, l'espace d'un film, fait apprécier aussi les origines du cinéma contemporain.


Le figurant qui ne voulait pas mourir extrait de La Party

Immersion du spectateur : retour en 1920

La première séquence du film nous plonge dans l'ambiance d'une salle de cinéma des années 1920. On assiste à une projection dans une salle de cinéma. Le film projeté dans le film est de facto muet mais, en dépit d'une salle comble et visiblement parcourue de rires réguliers, tout reste silencieux. A ce moment précis, quelque chose pourrait nous donner envie d'augmenter le son, de crier pour faire cesser le silence, cependant la magie opère tout de suite. Tout le film est ainsi baigné d'une musique jazzy qui vient souligner les volutes scénaristiques, et cela suffit à la simplicité de l'intrigue. Pourtant, quelques moments relèvent presque de la perversion, car, à la faveur d'un cauchemar sur l'arrivée du parlant au cinéma, George Valentin entend soudain des bruitages (uniquement des sons d'objets) tandis que ses cris restent silencieux. Hazanavicius nous tente pour mieux nous faire apprécier la quintessence du silence.

The Artist, un film du XXIème siècle

Si beaucoup se sont laissés tenter par l'expérience du noir et blanc, l'envie rejoint toujours les intentions plastiques des cinéastes : La Haine tente de rendre légitime un sujet de JT, Rusty James, Tetro ou Sin City aiment à faire resurgir des pointes de couleurs qui prennent tout leur sens au milieu du monochrome tandis que Dead Man explore les possibilités d'un grain vintage. The Artist fonctionne, lui, comme une revisite technique du passé. Pour produire plus de contrastes et un meilleur rendu monochromatique, le film est tourné en couleurs, puis transformé en noir et blanc. Le muet moderne est avant tout « propre » et répond presque à un fantasme de voir les classiques des années 20 lavés de leurs pellicules vieillies, égratignées et sautillantes.

The Artist c'est la réussite d'une combinaison magique, celle d'un récit qui sert autant la technique que l'inverse et qui déploie paradoxalement une grande modernité. Finalement, le motif des claquettes qui revient tout au long du film devient le thème essentiel : faire des claquettes est ce qui donne de la voix visuellement au corps définitivement muet de George Valentin. Une solution touchante, presque naïve qui contente l'homme de spectacle mais qui rappelle aussi la fin d'une époque dorée.

À ne pas rater...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -