Pas de pitié pour les croissants

The Breakfast Club de John Hughes, une lettre ouverte au monde adulte

Dossier | Par Virginie A. | Le 29 novembre 2010 à 18h10

John Hughes est souvent considéré comme le Très Saint Père des teen movies. Et si The Breakfast Club est son meilleur film, par syllogisme, on peut le considérer comme le meilleur teen movie ever (équation faite par Entertainment Weekly, le New York Times et Empire, entre autres).

John Hughes n'est jamais vraiment sorti de ses années lycée et a toujours affirmé avoir des relations plus saines avec les adolescents qu'avec les adultes. D'ailleurs, à l'époque du tournage de Breakfast Club, son meilleur ami était Anthony Michael Hall, 16 ans au compteur, le sourire blindé de bagues, scene stealer de son premier film, Sixteen Candles. C'est même Hughes qui joue le père de Brian Johnson (le rôle de Hall) dans Breakfast Club. A côté de ça, il considérait Molly Ringwald comme sa muse, et avait écrit Sixteen Candles spécifiquement pour elle. Il voyait en elle l'adolescente idéale, un mélange de fragilité et d'intelligence, une représentante parfaite de cette classe d'âge injustement stéréotypée et tournée en dérision selon lui. Ayant écrit le scénario de Breakfast Club pratiquement en même temps que celui de Sixteen Candles, il comptait stratégiquement sur le succès de Candles (plus facile d'accès selon lui) pour servir de tremplin au Club, le projet qui lui tenait le plus à coeur. En effet, contrairement à Sixteen Candles, contrairement aussi aux autres gros succès teens de l'époque (Fast Times at Ridgemont High, Valley Girl, etc.), The Breakfast Club affichait un ton clairement plus dramatique, et un parti-pris cinématographique plus osé. L'affiche du film donnait d'ailleurs clairement la couleur : 5 adolescents fixent le spectateur avec un air de défi, sans le moindre sourire. Huis clos d'1h30 mené de main de maître, The Breakfast Club mettait en scène le rien et l'ennui de 5 adolescents aux prises les uns avec les autres, et avec le monde adulte.

L'histoire est en effet simplissime : « Breakfast Club », c'est le terme argotique pour désigner les samedis passés en retenue. Samedi 24 mars 1984, cinq lycéens ont 8 heures de colle au lycée de Shermer, Illinois (60062). Les voilà enfermés dans le CDI du lycée pour une journée, à se regarder en chiens de faïence, à faire les cons et à réfléchir sur leur identité. Parmi ces 5 lycéens, on compte : Claire, la princesse populaire/fille à papa (Molly Ringwald), Andy, le jock (Emilio Estevez), Brian, le geek mal dans sa peau (Anthony Michael Hall), Allison, la weirdo sans amis (Ally Sheedy) et Bender, le rebelle fort en gueule (Judd Nelson). Face à eux, Mr. Vernon (Paul Gleason), le proviseur un peu salaud, un peu méprisant et surtout très blasé, les soumet à un sujet de dissertation : « Who do you think you are? ». Cette journée commence par l'ennui, les vannes à la cool, et les quelques bons mots insolents de Bender. Petit à petit s'installe un malaise.


Do you want me to turn it up? extrait de The Breakfast Club

Des scènes silencieuses mais drôles, des scènes bavardes mais de plus en plus tendues. La tension croît jusqu'à l'explosion, au climax du film, de la rage d'une génération incomprise, prise dans des insécurités, ses confrontations et ses angoisses. C'est drôle et triste à la fois. S'ensuit une scène de danse réjouissante et cathartique, comme un prélude au fuck you au monde adulte que constitue la lettre qui ouvre et ferme le film. Au fond, ce qui fait de Breakfast Club un film unique, c'est qu'en plus d'être bien écrit, c'est un film sensible. Il ne suffit pas que les personnages soient crédibles et que les vannes fusent. The Breakfast Club fait la différence parce que Hughes y humanise ce qui est en général représenté en termes mécaniques : les adolescents, leurs hormones, leurs cliques, etc. - si Hughes n'en nie pas vraiment l'existence, il montre à quel point tout cela est le fruit de mécaniques sociales difficiles à maîtriser quand on a à peine 16 ans. On se dit que c'est vraiment un milieu à chier, le lycée, ce lieu où l'individu est nié et devient l'incarnation d'une groupe social avant tout. Comment trouver son identité dans ce contexte ? Par dessus le marché, les adultes, pour le peu qu'ils apparaissent dans le film, semblent inaptes à apaiser ce sentiment d'aliénation et d'incompréhension. Ce qui ressort en dernier lieu, c'est qu'en dépit de tout ça, ces gamins s'en tirent plutôt bien.


We Are Not Alone extrait de The Breakfast Club

Ces cinq adolescents parviennent à communiquer en dépit de leurs différences, du moins tant que dure cette journée. Ce qui fait qu'ils s'en sortent, c'est que dans le fond, ce sont de chouettes gamins. En dernier lieu, ce que nous montre Hughes, c'est un groupe d'adolescents attachants. C'était pas gagné, au départ : quand arrivent la princesse, le cerveau, la détraquée, le sportif et le criminel, on est confronté à 5 figures plus ou moins antipathiques, pour des raisons différentes. Mais ces cinq enveloppes vides évoluent et s'ouvrent les unes aux autres. C'est que ça doit demander un sacré courage à Brian Johnson, de se décider à aller fumer de l'herbe avec ce type qui lui fait super peur (Bender). La plus grande force de Hughes, c'est d'être parti du stéréotype et du préjugé, et de l'avoir humanisé au cours de son film. Il y parvient par ce qui, d'après moi, est la plus belle réussite du film, à savoir un jeu permanent sur les registres, et la facilité désarmante avec laquelle il transforme un moment plutôt drôle en quelque chose de dur, et avec laquelle il crée l'émotion quand on ne l'attend pas. Le film montre ainsi que ces fameux clans, ceux qui servent de trame narrative à presque tous les teen movies américains, ces clans étaient bien plus qu'un artifice scénaristique ou l'expression de la superficialité de la jeunesse : ils étaient l'expression d'une pression sociale incroyable, d'un univers difficile, aux codes aliénants, pour les plus populaires comme pour les nazbrocks.


When you grow up extrait de The Breakfast Club

C'est le teen movie par excellence, celui qui capte le mieux l'adolescence, le film culte d'une génération d'Américains qui seront à jamais hantés par l'esprit de John Bender. Lorsque la bande-annonce du film est sortie, Hughes a blêmi : « ils n'ont rien compris » - le film était pitché comme une énième comédie potache adolescente par des marketeux qui décidément semblaient ne rien voir à la force du message que Hughes espérait faire passer (preuve ultime du conflit générationnel que Hughes venait de mettre en images).

Pourtant, le public ne s'y est pas trompé. Le film est apparu à l'époque comme un manifeste de la rage adolescente, dont les insécurités permanentes étaient jetées au visage des adultes. Le film a rencontré un succès fulgurant, tant populaire que critique (il a encore 90% de bonnes critiques sur l'agrégateur américain Rotten Tomatoes), et John Bender est devenu l'icône d'une génération qui n'a plus baissé le poing pendant des mois après sa sortie en salle.

Symbole d'une génération, le film marque aussi l'émergence d'une génération d'acteurs. L'histoire de Breakfast Club, c'est non seulement celle de ces 5 lycéens en retenue, mais c'est aussi celle de la naissance du Brat Pack, sous nos yeux ébahis. Hughes, fasciné par les adolescents qu'il dirigeait, donnait la part large à l'improvisation - c'est le cas de 2/3 des vannes de Bender à l'encontre de Claire (on raconte que Judd Nelson, qui pratiquait le method acting, a failli être viré par Hughes, car il persécutait Molly Ringwald). Et vous voyez ce passage où Allison couine avant de se planter sur sa table, sous sa capuche ? Oh rien, c'est juste un énorme fou rire qu'Ally Sheedy n'arrivait pas à planquer après qu'Estevez se soit cassé la gueule dans la scène précédente?

Molly Ringwald et Anthony Michael Hall sortaient ensemble pendant le tournage. Reste que Judd Nelson et Emilio Estevez étaient comme cul et chemise et se retrouveraient, avec Ally Sheedy sur le tournage de St. Elmo's Fire quelques mois plus tard ; de son côté, Ringwald allait récidiver avec Pretty In Pink, tandis que Hall enchaînait immédiatement sur le tournage de Weird Science. Ils étaient devenu les nouveaux golden boys d'Hollywood, le monde était à leurs pieds? Jusqu'à ce qu'un journaliste accompagne Estevez et Nelson dans une soirée beuverie au Hard Rock Café : consterné par le spectacle de ces jeunes acteurs imbus d'eux-mêmes, arrogants et méprisants, il les assassinera symboliquement dans un article du New York Magazine, « The Birth of Hollywood's Brat Pack », sonnant ainsi le glas des carrières de Judd Nelson, Emilio Estevez et Rob Lowe. St. Elmo's Fire fut un succès, mais rien ne fut plus comme avant pour tous les acteurs ayant participé à ces teen movies flamboyants. Leur malédiction portait un nom : le typecasting.

Et pourtant, si c'était à refaire, il y a fort à parier que Judd Nelson rechausserait les rangers de Bender. Sincerely yours?

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24 commentaires
  • simopath
    commentaire modéré Très belle hommage à la filmo de John Hugues et au poing levé de Judd Nelson, dans "Easy A" avec Emma Stone (la nouvelle Mary-Jane).
    Perez Hilton a tweeté que c'était un de ses films préférés de 2010 et le mot BFF n'y est prononcé que 14 fois. Un bon petit film en somme.
    29 novembre 2010 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Easy A est clairement un des films que j'attends le plus dans les prochains mois! :)
    C'est un peu comme si faire une référence à Breakfast Club dans un teen-show/movie était un rite de passage depuis une dizaine d'année, c'est assez fou (Not Another Teen Movie, Dawson, Community, etc.)
    29 novembre 2010 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Moi j'ai été plutôt déçu par Easy A, le petit clip hommage aux teen movies des années 80 est sympa, mais les enjeux d'Easy A cassent pas trois pates à un canard. Ce qui fait la force d'un film comme Breakfast club c'est de traiter des préoccupations d'ados comme, le temps d'un film, la chose la plus importante du monde. Easy A reste vraiment trop superficiel je trouve.
    1 décembre 2010 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Je viens de voir Easy A, c'est vrai que tout ça reste très superficiel, et on a du mal à s'identifier, mais malgré tout, je trouve que c'est divertissant, c'est toujours ça...
    10 janvier 2011 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Je proteste, la carrière d'Emilio Estevez a perduré ! :) Je recommande les excellentes comédies Étroite surveillance et Indiscrétion assurée... Super article anwa. J'aime beaucoup l'anecdote sur Bender persécutait Molly Ringwald :).
    29 novembre 2010 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Mouais mouais... De ceux qui sont épinglés par l'article, c'est celui qui s'en est le mieux sorti (sauf si on compte le fait que Tom Cruise et Sean Penn sont aussi cités rapidement) mais bon, il a pas non plus une carrière inoubliable, par rapport à ce qui lui était promis en 1985... Faut voir qu'à l'époque, on pensait que ce serait le mec absolument incontournable (genre le Brad Pitt des années 80-début 90) et à la place on a eu le Petit Déjeuner des Champions... Alors okay, j'ai pas vu Etroite surveillance et Indiscrétion assurée. Je vais me renseigner. Mais tout de même...
    29 novembre 2010 Voir la discussion...
  • simopath
    commentaire modéré Très belle hommage à la filmo de John Hugues et au poing levé de Judd Nelson, dans "Easy A" avec Emma Stone (la nouvelle Mary-Jane).
    Perez Hilton a tweeté que c'était un de ses films préférés de 2010 et le mot BFF n'y est prononcé que 14 fois. Un bon petit film en somme.
    29 novembre 2010 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Easy A est clairement un des films que j'attends le plus dans les prochains mois! :)
    C'est un peu comme si faire une référence à Breakfast Club dans un teen-show/movie était un rite de passage depuis une dizaine d'année, c'est assez fou (Not Another Teen Movie, Dawson, Community, etc.)
    29 novembre 2010 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Moi j'ai été plutôt déçu par Easy A, le petit clip hommage aux teen movies des années 80 est sympa, mais les enjeux d'Easy A cassent pas trois pates à un canard. Ce qui fait la force d'un film comme Breakfast club c'est de traiter des préoccupations d'ados comme, le temps d'un film, la chose la plus importante du monde. Easy A reste vraiment trop superficiel je trouve.
    1 décembre 2010 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Je viens de voir Easy A, c'est vrai que tout ça reste très superficiel, et on a du mal à s'identifier, mais malgré tout, je trouve que c'est divertissant, c'est toujours ça...
    10 janvier 2011 Voir la discussion...
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