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Comment les grands auteurs peuvent-ils échapper à l’auto-parodie ?

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 31 mai 2012 à 11h41

Les sorties successives de Dark Shadows et de Moonrise Kingdom posent l'éternelle question du renouvellement des grands auteurs qui, après avoir connu la consécration, finissent inéluctablement par tourner en rond. A eux de trouver la bonne stratégie pour retrouver un semblant d'inspiration et se jouer des codes, de l'univers, et du ton qu'ils ont réussi à imposer. Tim Burton, et dans une moindre mesure Wes Anderson, ont essuyé quelques volées de bois vert en ce frais mois de mai, accusés de céder à la facilité en recyclant ad nauseam les quelques ficelles qui ont fait leur « patte » et leur succès (voir nos articles ici et ici). Donc, à un moment donné, il va quand même falloir songer à se renouveler.

Rappelons tout de même en passant que pour nos amis américains, c'est pas si facile d'être un cinéaste libéré. En France, le dogme encore prégnant de la politique des auteurs donne tout de même plus de marge de manoeuvre à nos cinéastes « indépendants » pour explorer de nouveaux horizons. Qu'importe le résultat final, du moment qu'il est signé X ou Y, le critique fidèle le défendra mordicus. Mais sur les vertes collines d'Hollywood, la tyrannie de la cash-machine joue plutôt en faveur de la reproduction des mêmes recettes, suivant le dicton populaire qui veut que ce soit dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes. Pour les grands studios, les signatures célèbres sont autant de marques cotées et qui font office de valeurs-refuge, dans la mesure où les grands noms très identifiés sont la garantie d'un certain savoir-faire et sont censés disposer d'un public fidèle qui préfèrera a priori aller voir « le dernier Woody Allen » ou « le dernier Almodovar », plutôt qu'un petit film de débutant norvégien.

Inutile de remettre en question l'idée que les grands artistes sont ceux qui sont parvenus à inventer leur propre langage, qu'ils travaillent toujours les mêmes obsessions, les mêmes thématiques, voire qu'ils font « le même film toute leur vie ». Mais encore faut-il que le film en question ait un début, un milieu et une fin, que chaque nouvelle étape ne se résume pas à une succession de mauvais remakes. Comment faire pour évoluer, sans se renier ? En plus de cent ans, les cinéastes ont affiné leur stratégie. Petit tour d'horizon des possibilités qui s'offrent à Tim et Wes.

Changer de genre

Stanley Kubrick avait tout compris. Plutôt que de tourner en rond dans un seul petit pré carré, il s'était dit : autant faire un chef d'oeuvre par genre cinématographique, tant qu'à faire. Guerre, horreur, science-fiction, reconstitution historique, film de gangsters, drame sentimental? Tout y est passé. Et s'il n'a jamais réussi à faire son Napoléon, ou n'a pas eu le temps de tourner A.I., c'est peut-être que les dieux du cinéma étaient déjà comblés par Barry Lyndon et 2001.


Le premier outil, extrait de 2001 : L'Odyssée de l'espace

Plus récemment, Quentin Tarantino, dont le style est on ne peut plus reconnaissable, n'a pas procédé différemment en s'attaquant à chaque nouvel opus, à un / des genre(s) ou sous-genre(s) qui lui sont chers : film de braquage (Reservoir Dogs), d'arts martiaux (Kill Bill), de bagnoles (Boulevard de la Mort), de guerre (Inglorious Basterds) et bientôt le western (Django Unchained), comme chacun sait.

Quant à David Cronenberg, après diverses expérimentations gores et fantastiques, il a lui aussi compris que pour ne pas « réduire sa vision » (lire son interview récente à Télérama) il lui fallait greffer ses obsessions sur les terres fertiles du thriller ou même du biopic historique. Résultat ? Le public, comme la critique, n'a pas hésité à le suivre, même si Cosmopolis reçoit actuellement un accueil relativement mitigé.

Se trouver d'autres muses

Johnny Depp chez Tim Burton, c'est cinq films rien que sur la décennie des années 2000. Johnny fabrique du chocolat, Johnny au pays des merveilles, Johnny fait le vampire? C'est ce qu'on pourrait appeler le « complexe de la Martine » en hommage non pas à l'écrivain mais bien à la célèbre héroïne de livres pour enfants. L'icône gothique « Johnny Depp » finit par faire écran, écrase les films et les personnages. Il est le véritable freak de tous ces films ; un type dont il suffirait de changer le costume pour que le show se poursuive, à la manière d'un transformiste virtuose qui finit inéluctablement par lasser à force de cabrioles entre la scène et les coulisses. François Truffaut, par exemple, aimait sans aucun doute beaucoup (beaucoup) Jean-Pierre Léaud, son célèbre alter ego à l'écran, mais ça ne l'a pas empêché de se passer de lui pour faire un paquet de films entre deux épisodes de la saga Doinel.

De même, après avoir connu la gloire avec Robert De Niro, ce cher Marty Scorsese, comme un homme marié en crise de la quarantaine, a choisi le divorce pour aller se trouver une source d'inspiration un peu plus fraîche en la personne de Leonardo DiCaprio. Certains détracteurs ne manqueront pas d'affirmer que « c'était mieux avant », mais c'est une autre histoire.

Mettre en scène sa panne d'inspiration

Takeshi Kitano règne depuis un moment sur l'univers des films de yakuzas mais un beau jour, il a fini par se lasser. Cette crise existentielle sur fond de panne d'inspiration il a tout simplement décidé de la mettre en scène dans le tryptique Takeshi's-Glory to the filmmaker-Achille et la tortue. Quitte à tomber dans la caricature de son propre style, autant prendre le risque de jouer à fond la carte de l'autodérision en trois films parsemés de sketchs absurdes et cruels, certes, mais tout à fait jubilatoires. Bon, notons tout de même qu'après ça, il est revenu à ses premiers amours avec Outrage. On peut se demander si toutes ses simagrées n'étaient pas qu'un joyeux exutoire pour mieux retourner à ses vieux pots, mais la tentative avait de quoi surprendre et réjouir le cinéphile blasé?

On peut aussi, comme Antonioni mettre en scène un cinéaste en panne d'inspiration comme dans Identification d'une femme, ou mieux, se mettre soi-même en scène, comme Godard dans Tout va bien.

Expérimenter les dernières technologies pour rester à l'avant-garde

A propos du cinéaste suisse, s'il en est un qui soit doté d'une patte unique, reconnaissable entre toutes dès le premier mètre de bobine, c'est bien lui. Et pourtant, il est aussi l'un des rares à avoir constamment expérimenté, depuis la fin des années 60 jusqu'à aujourd'hui. De la Nouvelle Vague jusqu'à la 3D pour son prochain film, Adieu au langage, en passant par les caméras vidéo des années 80 ou les appareils-photo numériques des années 2000, chaque nouveau film est l'occasion pour le maître suisse de tester et affûter de nouveaux couteaux. C'est surtout l'occasion pour lui de continuer à casser les codes, les normes, les habitudes de son époque en s'évertuant à les utiliser comme personne ne l'avait fait avant lui. Par le passé, souvenons-nous de la réussite avec laquelle un autre grand génie du Septième Art, Chaplin, a sauté le pas du muet au parlant, révélant ainsi des talents d'acteur et de dialoguiste qu'on pouvait difficilement soupçonner auparavant.

Renouer avec des films à petit budget

Autre grand cinéaste consacré et plus tout jeune : Francis Ford Coppola. Lui aussi a pris le virage du numérique à toute vitesse, en allant jusqu'à proposer un montage en direct de son film au cours de certaines projections ; comme un musicien improviserait en concert l'album qu'il avait soigneusement agencé en studio. Surtout, en revenant sur des projets dotés de budgets liliputiens, il avoue retrouver son âme d'étudiant, avide d'expérimentations, et s'est débarrassé de la pression d'un grand studio pour retrouve sa pleine liberté de créateur.

On peut penser également à Michel Gondry, qui a peut-être eu peur de perdre son âme dans la grande machine holywoodienne. Après le semi-échec de The Green Hornet, il n'a pas hésité à se lancer dans le tournage de The We and the I (qu'on a découvert à Cannes cette année), un mini-road movie fauché qui suit les péripéties d'un groupe d'adolescents dans un bus à la fin de l'année scolaire.

Bref, quelque soit la méthode, il va bien falloir un jour que Burton et Anderson se débarrassent de toute leur imagerie de bazar (gothique pour l'un, retro 60's pour l'autre) qui réduit chaque plan à une vignette ringarde, chaque idée à un cliché, chaque acteur à une statue de cire à l'oeil torve. Godard disait qu'il suffisait d'un flingue et d'une fille, pour faire un film. Voilà une bonne contrainte de départ pour leurs prochains scénarios, non ?


Debout les morts !, extrait de Pierrot le Fou
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1 commentaire
  • BrooklynNoA
    commentaire modéré J'ai envie de dire non et c'est tant mieux !
    Juste envie de demander pourquoi toujours demander plus? Lorsque l'on a des auteurs de talents, pourquoi leur demander de faire autre chose que ce qu'ils savent faire ? que ce qu'ils maitrisent le mieux?...
    Pourquoi demander à quelqu'un de talentueux dans son domaine, dans son univers de faire autre chose? On ne demande pas à un chirurgien du coeur de faire autre chose. On ne demande pas à un peintre de renom de faire autre chose que ce qu'on aime de lui. Pourquoi vouloir toujours le changement ? le renouvellement?
    On aime aussi en tant que spectateur retrouver un univers, une ambiance... Alors oui j'ai envie de dire vive l'autoparodie si cela signifie conserver son essence et son art. Rester fidèle à lui-même à ce qu'il a fait, à ce qu'il a voulu exprimer, à ce qui a fait que l'on ai aimé...

    Vive donc l'autoparodie mais à conditions surtout d'avoir un bon scénario ! Opter pour un bon scénario et ne pas faire un film juste pour faire un film... A trop en faire on peut se perdre aussi...
    6 juin 2012 Voir la discussion...
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