guide de survie en milieu hostile

Une décennie de films de survie

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 8 avril 2011 à 10h07

L'homme confronté à une nature belliqueuse, vaste thème largement utilisé au cinéma, est un affrontement qui continue de fasciner. Suite à la sortie d'Essential Killing, de Jerzy Skolimowski, le 4 avril, nous vous proposons de suivre à rebours les pistes nous menant jusqu'aux derniers jalons du genre, soit une décennie de films solitaires et dépaysants.

Situation extrême reine du cinéma d'angoisse, la survie face à un milieu hostile demande bon nombre d'ingrédients pour convaincre. Un minimalisme formel, entre le parcours d'épreuves et la performance artistique, qui transmet ses enjeux brutalement et rapidement. Le très récent 127 heures de Danny Boyle condense parfaitement ce dispositif, en forçant James Franco, pourtant coureur effréné ne décélérant jamais, à s'immobiliser un instant, bloqué le bras contre un rocher. Et à réfléchir à ce qui compte pour lui. Le film est largement inspiré de l'histoire vraie d'Aron Ralston.

Une expérience vibrante et sensorielle, mais assez courte, un peu plus de cinq jours d'affliction, ce qui amène à un compromis troublant entre vertige et instantanéité. L'issue des films de survie est tantôt tragique, tantôt joyeuse, proposant décès ou sauvetage, mais presque jamais d'autre échappatoire. Profitant d'une esthétique bariolée et dégoulinante, la survie de James Franco se tiendra surtout à un choix cornélien, celui de se mutiler pour survivre, ou de périr. Et tout le délire qui précédera cette prise de décision. Comme une pause, un détour sanglant dans la vie d'Aron Ralston, qui repartira de plus belle après ce qui constituerait un traumatisme pour n'importe quelle personne saine d'esprit. C'est là où le dispositif surplombe le tragique, le concasse, et où l'argument dramatique du film tourne au dérisoire.


7h00 dans le parc de Canyonlands, USA extrait de 127 heures

Seul au monde, en 2000, en était, par avance, l'excroissance cataclysmique. Après un crash d'avion, Tom Hanks, dans ce film de Robert Zemeckis, se voyait contraint de vivre sur une île déserte pendant plusieurs années. Son seul compagnon était un ballon de volley, Wilson, et la tentation de vouloir se laisser aller au désespoir, à une mort lente et sensée, hantait régulièrement le personnage principal. Ici pas de piège ou d'animal dangereux, c'est le quotidien qui ronge Tom Hanks, l'ennui, l'absence de plaisir. Et la solitude. Car les sensations ressenties sont finalement très contemporaines, et lui font prendre conscience qu'il doit, une fois rentré chez lui, réexaminer ses priorités.

Werner Herzog proposa, en 2005, Grizzly Man, le témoignage troublant de Timothy Treadwell, se filmant lui-même alors qu'il décide de partager sa vie avec les grizzlys, ému par leurs difficultés, enragé contre les braconniers qui tentent de les débusquer. Un amour charnel, hors de toutes limites, qui mènera malheureusement Treadwell à la mort, tué par l'un des animaux qu'il tentait de protéger d'un danger qui n'existait qu'à peine (les animaux et Treadwell étant dans une réserve protégée). Autre choix délibéré de vivre en osmose avec la nature, celui du personnage d'Emile Hirsch dans Into the Wild de Sean Penn, là encore inspiré d'une histoire réelle ; on commence à observer ici une nouvelle tendance à vouloir absolument faire du cinéma avec le réel, lui donnant une valeur ajoutée qui permet au public de se sentir d'avantage investi, plus près du film. Une nouvelle fois un destin tragique, la mort se trouvant au bout du parcours.

Gerry, de Gus Van Sant, pendant métaphorique du film de survie, montre deux hommes seuls dans le désert de leur plein gré, évoluant et frôlant la mort. Ils se connaissent bien, échangent quelques mots, portent le même nom : Gerry. Ils arpentent le désert pendant ce qui semble être des heures, des jours, dans de longs plans-séquences à l'esthétique perfectionnée. Un prétexte pour évoquer, parmi une foultitude de questionnements métaphysiques cruels, l'absurde chemin de croix de ce genre de films. L'emprisonnement, allégorie d'une vie qui ne satisfait pas son personnage, peut être celui du quotidien ou d'une geôle bien gardée (Rescue Dawn, encore de Werner Herzog, ou Christian Bale s'enfuit d'une prison au Laos pour tenter de survivre dans la jungle épaisse). L'échappée vers la liberté sera délivrance d'abord, nouvel enfermement ensuite, d'autant plus rageant qu'il est enfermement à l'extérieur, le gigantisme de l'espace ne soulignant que le véritable manque, l'absence de lien social.

La vie est alors rude et confuse, soumise aux doutes et n'offrira que deux options : mourir ou être sauvé. Dans les deux cas, c'est la libération, et le résultat est le même. Les circonvolutions importent peu, c'est la distance parcourue qu'on retiendra. Les quelques obstacles qui se présenteront à nous seront, généralement, dénué de tout réalisme et de toute explication. Comme le résume à merveille cette scène de Gerry, où l'un des deux jeunes hommes se retrouve coincé en haut d'un rocher, sans raison, et devra absolument trouver un moyen d'en redescendre.


Gerry va sauter d'un gros rocher ! extrait de Gerry

La nature, jungle ou désert, regorge de menaces des plus dangereuses. Pourtant certains films de survie s'attachent à d'autres milieux, les pervertissent, pour en tirer une représentation inquiétante. Un contexte a priori familier qui deviendra synonyme de nouvelles angoisses que nous n'imaginions pas. Dans Je suis une légende, avec Will Smith, l'humanité a disparu de la surface du globe. Will Smith est le dernier survivant d'un étrange virus, et il parcoure New-York à la recherche d'âme qui vive. Il devra éviter les anciens êtres humains, devenus zombies assoiffés de sang, et la faune et la flore, envahissant lentement la ville. Des menaces urbaines détournées dont on imagine la signification : consumérisme et solitude menant à une nouvelle violence, contemporaine, sauvage.

Open Water possède un détail qui ne devrait pas lui permettre d'entrer dans la catégorie de films solitaires que nous décrivons. En effet un jeune couple en vacances y est abandonné en pleine mer, après une leçon de plongée, oublié des moniteurs, piégé dans l'immensité des vagues et des reflux. Quelques heures de souffrance, entre faim et déshydratation, petite visite des requins, seront suffisantes pour exprimer toute la torture qu'on peut ressentir dans cette variation marine et apaisée des sables mouvants. Peu importe l'énergie qu'on dépensera à bouger, nous n'irons jamais nulle part. La portée dramatique et sensationnaliste du film, au bon sens du terme, méritait ce petit écart au programme principal, malgré le duo d'acteurs à écran.

Malgré leurs esthétiques très différentes, et la menace d'un quotidien plus ou moins hostile, tous ces films se retrouvent sur un point : l'ennui. L'envie de retour vers la civilisation parfois, mais avant tout la mélancolie de l'autre, d'une personne chère et disparue. L'envie de lien social, qui ne semblait au départ pas importante, va prendre le pas sur le reste, motiver les personnages jusqu'à commettre, parfois, une faute remettant en question leur survie, basée habituellement sur des rituels simples et répétés. Qu'on essaie de rejeter l'humain, comme dans Into the wild, ou de le retrouver, comme dans Je suis une légende, il est toujours au coeur de ces films : observer au niveau même le plus infime, l'action de l'homme sur son environnement. Et non l'inverse.


En quête de survivant extrait de Je suis une légende

C'est bien connu, l'instinct de survie est plus fort que tout. Au cinéma, ou dans le réel. C'est quand l'homme baisse les bras, submergé par ses doutes et ses peurs, qu'il sombre définitivement. Une opportunité de repartir à zéro pour ces personnages imbus d'eux-mêmes ou trop pressés pour voir la vie défiler. En s'arrêtant un instant, en perdant tout ce qu'ils prenaient pour acquis, le personnage se retrouvera revigoré, ressuscité. Une rédemption qui en passera par des années de labeur pour aboutir à une évasion, une fugue physique ou mentale. Car même dans les pires circonstances, l'homme ne peut être totalement enchaîné. Et la fiction, terre de l'imagination, en est sûrement l'un des plus beaux paradigmes.

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