l’enfant terrible

Pourquoi Pedro Almodovar n’a-t-il jamais eu la Palme d’Or ?

Festival / Récompenses | Par Hugues Derolez | Le 20 mai 2011 à 19h30

À Cannes on entend régulièrement le même discours : le festival serait une belle tribune pour certains auteurs internationaux talentueux, certes, mais ce sont toujours les mêmes cinéastes qui sont sélectionnés et choyés. Aux côtés des frères Dardenne, de Lars Von Trier, jusqu'au fameux incident intervenu en conférence de presse, on reproche aux sélectionneurs du festival de présenter automatiquement chaque film de Pedro Almodovar, même les moins inspirés. Pourtant les rapports entre le réalisateur espagnol et le Festival de Cannes sont plus alambiqués qu'il n'y paraît.

En trente ans de carrière et presque une vingtaine de films la côte de popularité de Pedro Almodovar a connu des hauts et des bas. Début des années ?80, la fraîcheur de son cinéma l'impose sur la scène internationale comme un jeune auteur incontournable. En plus d'un second degré mordant, d'ébouriffantes contorsions de ses scénarios, Almodovar construit rapidement une oeuvre cohérente et dont chaque film s'impose comme une pièce de plus au puzzle qu'il forme. Nous y traversons autant le mélodrame que la gaudriole, nous y parlons crûment, de sexe et d'amour, entre femmes le plus souvent, les figures de proue de son cinéma. Victoria Abril, Antonio Banderas et Penélope Cruz participent tous trois de la reconnaissance offerte à Almodovar, rapidement récompensé de plusieurs goyas, l'équivalent des César en Espagne, dès Femmes au bord de la crise de nerfs. La loi du désir, Matador, ou encore Attache-moi font d'Almodovar un réalisateur extrêmement prolifique et toujours disposé à bousculer son public.


Ne Me Quitte Pas extrait de La loi du désir

Il faudra néanmoins attendre l'année 1999 pour que Pedro Almodovar soit couronné de succès au Festival de Cannes avec Tout sur ma mère. Il remporte alors le prix de la mise en scène. David Cronenberg, à l'époque président du jury, décide de remettre leur première Palme d'Or aux frères Dardenne (à l'unanimité) pour Rosetta, l'un de leurs films les plus tendres et puissants, une vraie proposition formelle. Pedro ne désespère pas ; il est un réalisateur encore relativement jeune dans ce milieu de prix et de petits arrangements entre amis. Malgré ses participations répétées dans la décennie suivante, La Mauvaise éducation, Volver et Etreintes brisées sont tous trois retenus pour la compétition officielle, il ne repartira qu'avec un tout petit prix du scénario, pour Volver, ainsi qu'un prix d'interprétation pour l'ensemble du casting féminin du film, Penélope Cruz, mais aussi Carmen Maura, Yohana Cobo ou encore Blanca Portillo.

Trouvait-on alors des concurrents de poids face au réalisateur espagnol ? Oui et non. 2004 fut l'année du sacre de Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, lorsque Quentin Tarantino décida de lui remettre la Palme d'Or pour son engagement politique, espérant ainsi avoir un impact sur l'élection présidentielle à venir. Autrement dit, un choix absurde, et encore une occasion de ratée pour Almodovar. En 2006 ? Le Vent se lève, de Ken Loach, s'en tire avec les honneurs et la palme. Pedro fulmine mais n'en démord pas. Surtout qu'on commence à reprocher à son cinéma un côté chichiteux, moins emballé, moins libérateur. Le cru 2009 de Cannes est, reconnaissons-le aujourd'hui, d'une qualité très moyenne. On retiendra surtout la réussite française Un prophète, et la Palme d'Or remise d'Isabelle Huppert à Michael Haneke pour Le Ruban blanc. Sachant que l'autre concurrent sérieux au titre, Quentin Tarantino, avec Inglourious Basterds, voulait de l'actrice pour son film avant qu'ils ne se brouillent, sachant également qu'Huppert a toujours pensé que La Pianiste, film d'Haneke où elle tient le premier rôle, méritait la Palme en 2001, nous aurions vite vu de considérer cette Palme d'Or comme un coup d'esbroufe monumental, un copinage des plus indécents. De toutes ces histoires Pedro il s'en fiche, il se retrouve toujours boudé de ceux qui pourtant vantent ses mérites année après année.


Autour d'une table basse extrait de Tout sur ma Mère

Alors que les premiers noms commençaient à apparaître, la participation de Pedro Almodovar au Cannes édition 2011 semblait plus qu'incertaine. Les raisons invoquées ? Un scénario alambiqué, avec un rebondissement majeur, que le réalisateur voulait garder secret jusqu'à la sortie du film. Une excuse qui semble être le prétexte tout trouvé pour Almodovar, forcément irrité à force de venir présenter ses films sur la croisette et de repartir bredouille. La question qui se pose donc logiquement est la suivante : « cette année sera-t-elle la bonne pour Pedro ? »

Difficile d'y répondre, même si l'espoir semble permis. Face au poids lourd The Tree of Life, qui ne peut laisser indifférent (il fut d'abord raillé en projections et glorifié par la presse le lendemain), La Piel que habito fait figure de concurrent plutôt sérieux. Il y est question d'un chirurgien esthétique, Antonio Banderas, et de la relation trouble qu'il entretient avec la femme qu'il séquestre. Un retour en grâce pour Antonio Banderas, terrifiant et volcanique, mais également un renouveau dans l'univers esthétique du cinéaste, toujours coloré, voluptueux, mais aussi extrêmement impressionnant, composé à la perfection, convoquant tantôt Alfred Hitchcock tantôt David Lynch. Un thriller psychologique étouffant, sans concession, mais qui se permet une liberté de ton qui manquait à Almodovar depuis quelques temps. Le film, sur la corde raide entre horreur et absurde, a convaincu une partie des festivaliers, mais pas son ensemble.

Injustice, tractations obscures parfois, nous pouvons vraiment dire que Pedro Almodovar a joué de malchance durant toute sa carrière cannoise. Cette année, bien que son film ait la carrure d'une Palme d'or, le cinéaste se retrouve encore une fois dans une position délicate : devant lui se dresse le mastodonte Terrence Malick et son film The Tree of Life, extrêmement attendu, soit adoré soit détesté, mais qui à coup sûr fera encore parler de lui. Le jury prendra-t-il le risque de récompenser l'insatisfait réalisateur espagnol alors que beaucoup s'attendent à ce qu'il honore The Tree of Life ? Réponse dimanche.

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