Fanfiction sur le Lido

Venise 2014 : Le second enlèvement de Michel Houellebecq

Festival / Récompenses | Par David Honnorat | Le 3 septembre 2014 à 10h54

Vraiment pas de bol. Quelques jours à peine après la diffusion de son premier enlèvement sur ARTE, l'écrivain Michel Houellebecq a été victime d'un nouveau rapt. Ses ravisseurs, Gustave Kervern et Benoit Délépine - des récidivistes puisqu'ils s'en sont déjà pris entre autres à Depardieu, Dupontel et Poelvoorde - l'ont cette fois mené jusque sur les plages grises du Lido à la Mostra de Venise. Récit.

30 Août : la suite d'Al Pacino

A peine arrivé à Venise, le pauvre Michel Houellebecq est trainé dans une salle de cinéma. C'est là que se déroulera la plus grande partie de sa courte captivité.  C'est emmerdant parce qu'on ne peut pas fumer. Michel l'avait confié il y a quelques mois au magazine So Film, il ne va plus au cinéma. «J'ai arrêté d'aller au restaurant à cause des non-fumeurs, et comme aller au cinéma implique souvent aussi d'aller au restaurant, j'ai arrêté aussi. Maintenant je regarde la télé, c'est plus simple.» Au moins, se dit Michel, on est bien assis. Pas comme au théatre. Le premier film est signé Peter Bogdanovich, un cinéaste américain qui n'avait plus tourné depuis près de 15 ans. C'est une comédie de boulevard avec call-girls dans la placard. Pas mal. La petite actrice anglaise qui tient le premier rôle est très bien. Les personnages sont drôles. Un peu psychotiques parfois mais ils n'ont pas le temps d'être déprimés parce que tout va trop vite. C'est l'avantage des comédies.

Dans la vie, on a le temps. Un peu trop même. Après la séance, Michel a droit à deux ou trois cigarettes. Tout est très calme sur le Lido, les gens ne font pas trop semblant d'être occupés. Il va y avoir un autre film avant d'aller à l'hotel. Benoit aurait bien été voir The Boxtrolls 3D, mais Gustave dit que ça a l'air trop con. Dommage parce que Michel n'aurait pas été contre les lunettes 3D, pour voir. Tant pis. Ils vont voir Loin des hommes. Au début de la Guerre d'Algérie, Viggo Mortensen trimballe Reda Kateb dans l'Atlas. Pas vraiment prisonnier, mais pas libre pour autant non plus, Michel s'y idenfie machinalement. Même physiquement il y a quelque chose, dans l'allure et la gueule de Droopy. Bon c'est un peu chiant quand même, mais on va dire qu'il y a des paysages.

Il faut reconnaitre qu'avec Kervern et Delepine, la prestation de service est correcte : kidnapping 3 étoiles. C'est aussi plus clair que la première fois. Le but de l'opération est de faire la promo d'un film dans lequel Michel Houellebecq a joué. Trois semaines à faire le con dans la montagne, habillé en cycliste. C'était payé, plutôt pas mal, et, ce soir, à quelques jours de la projection officielle, Michel dort à l'Excelsior. Il récupère la suite d'Al Pacino qui est parti la veille. Ça sent le vieux.

31 Août : "extra pillow"

La journée commmence tôt avec Al Pacino justement. Manglehorn de David Gordon Green, c'est l'histoire d'un serrurier à la ramasse qui mange au Flunch et a des petits problèmes de coeur. Il y a un mime aussi. Pacino a ceci de commun avec Houellebecq qu'il est poupéifié par le cinéma. Ils ne sont pas à l'écran des personnages lambdas, mais les incarnations meta de leur image publique. Dans The Humbling, vu l'après-midi, Pacino (c'est sa journée) joue un vieil acteur qui cherche à se réinventer. C'est visiblement la seule chose qui intéresse les cinéastes quand ils collaborent avec ce genre de monstres sacrés. Ça et l'attraction curieuse que ces vieux types exercent sur les jeunes femmes, en l'occurence Greta Gerwig. Bof, cette attraction Michel ne la trouve pas très étonnante, mais plutôt légitime même.

Entre deux tranches de Pacino, il y avait le film de Fatih Akin sur le génocide Arménien. Michel en a profité pour dormir un peu parce qu'il avait pris trois fois du rouge à midi. Sur la fin, le film a viré à la BD d'aventure, façon Tintin en Amérique. On n'y croit pas une seconde, mais ça a le mérite de divertir. Pourquoi pas.

Le soir à l'hotel, Michel a repensé aux jolies call-girls du film de la veille. Il se demandait s'il n'avait pas là l'occasion de tester cette vieille légende des hotels de luxe : commander un "extra pillow" à la réception pour faire monter une fille. Au moment de raccrocher, il entend son iPhone vibrer dans la poche extérieure de sa parka. C'est une notification du Monde.fr qui annonce la fuite de centaines de photos de célébrités nues. Michel consulte quelques liens. Il n'a pas la moindre idée de qui peut être Kate Upton, mais elle a vraiment de très gros seins. Jennifer Lawrence lui dit quelque chose. Sur l'un des clichés elle a un verre de vin rouge qui la rend sympathique. Il y a vraiment beaucoup de noms, presque tous inconnus et des dizaines de photos à chaque fois, souvent mal éclairées. Les cadrages sont discutables. De temps en temps, les starlettes sont avec des types. Michel s'allume une nouvelle cigarette et ouvre un bouquin. Quelqu'un frappe à la porte. C'est le garçon d'étage qui apporte un oreiller.

1er Septembre : tenue de gala

C'est le jour de la projection de Near Death Experience. Il faut se lever tôt et parler à des journalistes. C'est pénible parce qu'il n'est pas possible de fumer dans la salle d'interview. A ce compte là, Michel ne dit pas non à un film de plus. Dans le noir il peut réfléchir tranquillement et, au pire, dormir, bercé par le film. D'ailleurs celui-ci n'est pas trop mal. C'est le biopic de Giacomo Leopardi, un poète napolitain du XIXème siècle. Michel connait assez bien son oeuvre. Bon ce n'est pas Baudelaire, mais il y a quelque chose de captivant dans l'histoire de ce bossu qui vieillit trop vite. A 58 ans, Michel n'est pas dans une forme extraordinaire, mais ça pourrait être pire.

C'est maintenant l'heure de la projection et Michel est en tenue de gala. Chemise et parka, un coup de peigne, tout à fait correct. En entrant dans la salle encadré par ses deux ravisseurs, Michel constate qu'il y a beaucoup de monde, beaucoup sont d'ailleurs là pour lui.

C'est sympa. Le film est bien. On ne lui a pas menti sur la marchandise. Il crapahute dans la montagne, raconte des trucs pas trop cons et danse sur Black Sabbath. Bon, l'image est un peu floue, mais il faut avouer que les réalisateurs ne sont pas très nets. Michel se trouve plutôt drôle et même assez beau. C'est bien. A la fin, la salle applaudit, les gens sont contents.

A diner, l'ambiance est bonne, le film se vend bien à l'international. Michel, un peu à part, fume en feuilletant le programme officiel du festival. Dans quelques heures, il sera libéré, mais il ne peut s'empêcher de s'intéresser aux films qui seront montrés après son départ. Après l'avoir fait prisonnier, les films commencent à le ravir. Une photo de Fires on the plain de Tsukamoto lui rappelle l'enfer de la jungle qu'il évoquait dans Plateformes, mais son syndrome de Stockholm le fait s'attarder sur la page d'un film suédois. Le film de Roy Andersson est une histoire de pigeon bizarre avec des gens aux mines grises et des VRP en farces et attrapes. Ça a l'air misanthrope, peut-être un peu trop.

Epilogue : la pêche aux trésors

Michel Houellebecq quitte tout seul le plus vieux festival du monde. Il faut un peu plus d'une heure et un passage par le coeur touristique de Venise pour rejoindre l'aéroport. La mer d'huile des premiers jours est aujourd'hui contrariée par la pluie et le vent. Ça tangue un peu. Michel, vouté sur son siège, jette un oeil dehors et aperçoit, à travers le carreau sale du vaporetto, un pecheur immobile sur le quai. C'est assez curieux de pêcher là, entre les gondoles, dans les rues millénaires de cette cité qui ne semble plus attendre rien d'autre que son engloutissement. Mais ça doit avoir quelque chose d'excitant. Bien sûr, pêcher ici, c'est l'assurance de remonter un maximum de saloperies, des conserves ou de vieilles godasses, mais c'est aussi la promesse d'une belle jouissance quand on lève un poisson. Michel repense alors au hacker de dimanche et aux terabytes de photos insipides qu'il a dû consciencieusement trier avant de tirer le gros lot. Combien de selfies ineptes, de clichés de chats et de couchers de soleil pour un téton pointé d'une star Disney Channel ? La joie de découvrir un trésor quel qu'il soit est proportionnelle au nombre d'échecs essuyés avant d'y parvenir. Les festivaliers sont semblables à ces chasseurs de trésors. Avant de trouver une perle, il leur faut ouvrir un paquet d'huîtres. Alors que derrière lui Venise s'éloigne, Michel Houellebecq se dit qu'au pire, ça fait de très bons cendriers.

 

Ce récit est le fruit d'un mélange entre l'imaginaire perturbé de l'auteur et quelques vérités discutables sur les films mentionnés. Toute ressemblance avec des faits ayant réellement eu lieu serait ainsi sacrément fortuite.

À ne pas rater...
5 commentaires
  • Martinet
    commentaire modéré Excellent!
    3 septembre 2014 Voir la discussion...
  • FeydRautha
    commentaire modéré Excellent article, on y sent beaucoup d'amour (ou du moins, d'admiration) pour Houellebecq. Et on m'a rarement autant donné envie d'aller voir des films.
    3 septembre 2014 Voir la discussion...
  • CYHSY
    commentaire modéré Vous croyez que j'ai pas grillé "fappening" dans l'url ? Bon je vous laisse, je fais du alt-tab entre 4chan et Reddit.
    3 septembre 2014 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @FeydRautha @Martinet merci :) L'exercice du compte-rendu de festival est jamais évident, j'ai tenté un chemin de traverse potentiellement un peu casse gueule.
    4 septembre 2014 Voir la discussion...
  • Fujee
    commentaire modéré @CYHSY Ça c'est des références qui me parlent.
    5 septembre 2014 Voir la discussion...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -