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La Conquête, politique contemporaine sur grand écran

Festival / Récompenses | Par Marie Piot | Le 18 mai 2011 à 14h52

A l'heure où l'on vous parle, l'équipe de La Conquête se prépare consciencieusement à une soirée promettant son lot d'émotion. S'il semble avéré que les biographies françaises au cinéma ne récoltent que peu les lauriers de la gloire, celle réalisée par Xavier Durringer s'assure de facto une réaction du public. Huées ou Hourras, seul le contenu des interjections reste mystérieux.

Car plus qu'un biopic quelconque, La Conquête retrace la montée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, président de la république encore en exercice ; une première pour le 7ème art hexagonal. Percée fugace d'un inopiné scénario ou assistons-nous véritablement à un déverrouillage des mentalités, plus enclines à affronter la réalité contemporaine telle qu'elle est ? Enquête.

On ne mélange pas les torchons et les serviettes chez nous, non mais !

D'une manière générale, la France, pays de la liberté d'expression et de la déclaration des droits de l'homme, condamne toute censure médiatique quelle qu'elle soit. Pourtant, on ne peut nier une frilosité évidente des producteurs quant aux lancements de projets encrés dans l'histoire politique des générations récentes. Beaucoup préfèrent ne pas prendre la responsabilité d'une telle entreprise, craignant par avance le coup de semonce des partis en présence, à savoir le public d'un coté, les acteurs politiques de l'autre. Finalement, cette crainte relève peut-être plus d'une peur de réactions que des réactions elles-même. En somme, s'instaure une autocensure automatique qui explique la rareté des films contant la gouvernance récente de l'hexagone.

Cette année, les règles du jeu semblent en passe d'évoluer. La Conquête se permet sans ambages de décrire une ascension sensationnelle et culottée, l'accès au pouvoir d'un homme qui réussit en quelques années seulement, à convaincre la majorité de ses qualités de dirigeant :


Ne sois pas insolent extrait de La Conquête

Comment un projet de cet acabit a-t-il trouvé des appuis aussi rapidement ? La mise en branle de la machine s'est vue facilitée par ses instigateurs. Depuis les succès d'OSS 117 qu'ils produisent avec Michel Hazanavicius en 2006 et 2008, Eric et Nicolas Altmayer bénéficient d'une reconnaissance confortable. Pour autant, ces frères producteurs ont bataillé dur pour trouver le financement nécessaire au bon déroulement des festivités.

Culte de la transparence et films partisans à l'international

Si entre nos murs, le déballage politique en Haute Définition reste marginal, la production cinématographique mondiale ne se brade pas de la sorte et s'adonne à tout type d'investigations traitant de sujets actuels bien réels. W. D'Oliver Stone aux Etats-Unis, The Queen de Stephen Frears au Royaume-Uni, Le Caïman de Nanni Moretti en Italie, les gouvernements sont pris d'assaut par la culture audiovisuelle depuis quelques temps déjà, se gardant bien de ménager ses dirigeants :


Pitch extrait de Le Caïman

En Italie, Nanni Moretti dénonce avec Le Caïman l'administration despotique de Silvio Berlusconi à l'aube des élections parlementaires de 2006. Deux ans plus tard, Paolo Sorrentino critique ouvertement la carrière de Giolio Andreotti, influent ministre italien dans Il Divo. Nos voisins européens semblent plus réactifs que nous. Bigre...

Aux Etats-Unis, la notion d'Entertainment fait partie intégrante de la société. Qu'il s'agisse de cinéma, de politique ou de finance, on ritualise la mise en scène. Ainsi, les clivages entre la culture, l'histoire et l'actualité s'estompent, laissant le devoir de transparence sublimer chaque évènement. Le 11 septembre (World Trade Center), la guerre en Irak (Dans la vallée d'Elah, Démineurs), le massacre de Columbine (Elephant et Bowling for Columbine), même la crise économique de 2009 (Inside Job, The Company Men) connaissent déjà leur adaptation sur grand écran. Du point de vue nord-américain, une mise en lumière permet de panser les blessures dans l'unité et d'assumer la douleur sans retenue, aux yeux du monde. Et à l'heure où l'actualité ressemble à s'y méprendre à un thriller Polanskien, se confirment les divergences de traitement de l'image publique, faisant montre d'une société française choquée par les caméras violant l'intimité d'un tribunal.

Respect et discrétion, le privilège des hautes sphères

Forte de sa vieille, longue et éminente histoire, la France n'imagine pas voir son pédigrée traité par dessus la jambe, encore moins ses présentes vicissitudes. Une intransigeance que l'on devine dès lors qu'on inspecte le paysage cinématographique français. Si les films relatant la Seconde guerre mondiale se comptent par centaines, faire cas de long-métrages relatant les sinuosités de la Guerre d'Algérie est plus difficile, du moins jusqu'à récemment. A dire vrai, la société considère la mise en perspective et la prise de recul importantes pour le bon traitement d'une information. De l'avis général, l'introspection se gère mieux à mesure que l'évènement prend de l'âge.

Aujourd'hui, Denys Podalydès prête ses traits au chef de notre République de son vivant. Le résultat paraît d'ailleurs étonnamment efficace :


Qui m'a foutu cette chaise? extrait de La Conquête

En somme, aussi libertaire et intellectuel que puisse s'autoproclamer notre pays, berceau des lumières et des révolutions populaires, il y réside une tradition de respect et de discrétion envers l'administration publique. Car la politique est une affaire sérieuse dont on ne peut, ni ne doit rire.

Enfin le voile se soulève. Cannes montre le cinéma français sous un jour nouveau. La Conquête bien sûr, mais aussi Polisse, Omar m'a tuer (prévu sur nos écrans pour la fin de l'année) dépeignent des faits que beaucoup ont vécu en direct.
Certes, les réfractaires ne comprennent pas l'intérêt d'une telle entreprise. Pour voir des hommes politiques en fonction, il suffit d'allumer sa télé. Mais la porte reste entrebâillée, nous laissant distinguer ce qui se cache derrière. Depuis le début du millénaire, une poignée de cinéastes prend des risques en choisissant des sujets à controverse : Indigènes, L'Ennemi intime nous dévoilent les atrocités de la guerre et de la colonisation, Le Promeneur du champ de marche montre un président (incarné par Michel Bouquet) à l'article de la mort?
Et ce soir, le 7ème art français se présente les pellicules impressionnées par des flashs d'aujourd'hui. Pour cela, il peut arpenter le tapis rouge avec dignité. Reste à savoir si le pastiche ne tend pas trop vers la caricature.

* Source : Evene.fr

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