le mal des actrices

Pourquoi les actrices françaises font-elles toujours la gueule ?

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 23 janvier 2012 à 14h56

Sérieusement, vous n'avez jamais remarqué que nos talentueuses actrices françaises ont tendance à faire tout le temps la gueule ? Indépendamment de leurs talents et charmes respectifs, auriez-vous envie d'aller en boîte avec Léa Seydoux ? De jouer au Pictionnary avec Mélanie Thierry ? D'aller à la fête foraine avec Lola Créton ? Tout porte à croire que le cinéma germanopratin (dieu que ce mot est laid) s'évertue à privilégier un certain type de jeunes filles qui font admirablement la gueule à la caméra.

On pourrait esquisser une véritable tradition française de la moue boudeuse, pratiquée par d'illustres et obsédantes minaudeuses ; une tradition qui irait, pour le dire vite, de Brigitte Bardot et Anna Karina...j'sais pas quoi faiiiiire») jusqu'à Léa Seydoux en passant par Catherine Deneuve, Béatrice Dalle, etc. A croire qu'être dotée de lèvres charnues et sensuelles prédispose ces dames à garder la mâchoire bien fermée.

Tu boudes ? Pourquoi tu boudes ?

Dans cette scène de fourgon de flics, typiquement, « la » Béart a sans doute de bonnes raisons de ne pas faire la conversation au prostitué qui lui tient compagnie, mais toujours est-il qu'avec ce rouge à lèvre éclatant et cette perruque annakarinesque, elle compose une formidable jeune fille frondeuse et butée.

Et ces dernières années, la nouvelle génération d'actrices, candidates potentielles au Prix Romy Schneider, marchent clairement dans les pas de leurs glorieuses aînées. Si vous essayez de vous souvenir des filles de L'Apollonide, de Lola Créton dans En Ville ou Un Amour de jeunesse, de Léa Seydoux dans La Belle personne ou Belle Epine, de Laura Smet dans La Frontière de l'aube, il y a peu de chance pour que la première image qui vous vienne d'elles soit illuminée par un sourire radieux. Au mieux récolterez-vous un petit sourire en coin qui en dit long sans trop en dire. Bien malin qui saurait deviner ce qu'elles cachent derrière leurs tristes mines. Leur jeu ? Leurs déceptions ? Leurs sentiments ? Leurs rêves ? Leur désir d'évasion ? Probablement un peu de tout ça...

Quelle logique, quelle psychologie des personnages sous-tend cette tendance lourde ? On pourrait dire d'abord : plus la femme est taiseuse, plus elle est mystérieuse, profonde et complexe ; ou encore : plus elle fait la gueule, plus elle paraît inaccessible, libre et indépendante. Ainsi, elles semblent nées pour faire tourner en bourrique les hommes qui leur courent inévitablement après suivant la théorie bien connue des essuie-glace exposée dans Les Baisers de secours de Garrel senior. Elles ont beau avoir parfois la gentillesse de prévenir, telle Léa dans Petit Tailleur de Garrel junior, ça marche à tous les coups.

De l'enfant qu'elles étaient il n'y a pas si longtemps, elles ont gardé un peu d'arrogance capricieuse ; et de la femme qu'elles sont devenues, elles ont adopté la pose désillusionnée et mélancolique, comme si l'amour était pour elles un événement inéluctablement malheureux et qui pose nécessairement la question du suicide. Leur jeu, leur apparence et leur style conviennent parfaitement aux mélodrames amoureux dont le cinéma français s'est fait une spécialité.

Moue française vs Sourire américain

De l'autre côté de l'Atlantique, c'est un autre type d'actrices qui tient le haut du pavé. De la jeune première américaine, telle qu'on nous la présente dans les comédies hollywoodiennes, on garde l'image de jeunes femmes à la plastique idéale : traits et formes bien proportionnés, arborant une dentition impeccablement blanchie et bien alignée (le fameux « sourire Colgate » à la Julia Roberts, Cameron Diaz ou Anne Hathaway). L'average american star est plutôt sportive, dynamique, spontanée, pimpante... souriante. Et ces codes, entre la bimbo et la prom queen, sont allègrement célébrés, revisités, détournés, moqués, dans moult comédies, de Scary Movie à La Revanche d'une blonde.

Les aspérités sont gommées, lissées, uniformisant quelque peu le charme et le caractère de ces filles produites et élevées en batterie sur Disney Channel ou dans les cours de l'Actor's Studio. Là où les formes des actrices américaines semblent modelées à base de lignes droites et minces, franches et directes, taillant les contours de corps tonifiés à grands renforts de gym suédoise, celles des françaises suivent plus facilement des courbes renoiriennes. Issues de la culture hédoniste des déjeuners sur l'herbe, elles arborent lascivement ces formes ondulées pour mieux faire oublier combien elle peuvent s'avérer tortueuses...

Seydoux, Cotillard... La French Girl, un produit d'exportation très prisé

Si certains réalisateurs américains ont embauché Marion Cotillard ou Léa Seydoux pour les faire jouer dans leurs blockbusters, on peut supposer qu'ils venaient en France chercher la petit touche de mystère et de charme langoureux qui manquait à des films particulièrement secs et nerveux. A l'évidence, la greffe est délicate à prendre sans un chirurgien attentif pour manier le bistouri-caméra. Même le grand casteur Tarantino s'est planté avec Mélanie Laurent qui livre dans Inglourious Basterds la pire performance d'actrice de toute la filmographie du cinéaste culte. Dans un autre genre, Léa Seydoux ne dégage absolument rien dans Mission : Impossible 4. Trop affairée à avoir l'air crédible en femme d'action, elle en oublie de jouer franchement la carte de la séduction désinvolte qu'elle maîtrise pourtant à la perfection. Quant à Marion Cotillard, bientôt chez James Gray (Low Life) et Christopher Nolan (The Dark Knight Rises), elle s'en sortait à peine mieux dans Inception en femme amoureuse du beau Leo. La faute à des rôles secondaires simplistes et absolument dénués d'ambiguïté, ce qui cantonne nos actrices exportées à des opérations « séduction » qui tournent à la figuration « plante verte ».

A cette tendance-là, Bérénice Béjo offre un contre-exemple parfait : non seulement elle a ce sourire Colgate typique des actrices américaines, mais en plus, elle a su le mettre à profit pour mettre Hollywood à ses pieds dans un film français qui en pastiche la glorieuse histoire... Pas mal, non ? Surtout pour une actrice qu'on jugeait jusque-là plutôt insipide et peu demandée. Talentueuse ou pas, Mme Hazanavicius fait le bonheur des plateaux TV outre-atlantique en racontant qu'elle a couché avec le réalisateur pour avoir le rôle, sans jamais se départir de son étincelant étalage de quenottes, cela va de soi.

Mais le reste du temps, le cinéma français, et plus précisément le cinéma d'auteur, donne l'impression de se complaire un peu dans cette représentation de la femme languide et revêche, ou en tout cas d'entretenir l'image de « La Française » telle qu'elle est fantasmée par le reste du monde et déformée, caricaturée dans les publicités de parfum où les clichés de la belle romantique parisienne font encore office de juteux fond de commerce.

Alors mesdames les actrices, nous ne vous demanderons même pas un baiser, comme Emmanuel Mouret, non, juste un p'tit sourire !

Images : © Haut et Court / Columbia TriStar Films

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33 commentaires
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @Paprika oui je trouve par ailleurs l'article intéressant et assez juste sur le fond. Après le cas des actrices est très spécifique (par rapport à une politique, une anonyme ou une joueuse de tennis) c'est que les actrices, comme les acteurs, font ce qu'on leur demande. Dans l'article ci-dessus, ce n'est pas aux actrices qu'il faudrait demander de sourire mais peut-être aux cinéastes français-es d'imaginer un autre genre de personnages ou de direction d'acteur. Mais bon le sujet est assez foireux effectivement.
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré @Paprika c'est toi qui n'a pas bien compris pourquoi je tique sur l'exemple mélenchon. Déjà c'est très malhonnête (ou maladroits ?) de faire croire que Melenchon serait décrit avec une "tendresse indulgente" ou de façon "flatteuse" (s'il est comparé à Lino Ventura et, lui l'homme politique, mis dans le même sac que des acteurs du passé réputés pour la gueule, c'est pas pour le mettre en valeur, bien au contraire). Nadia Daam en relayant le "superbougon" et en ironisant sur le "remarquable sens de la litote" du journal, participe ainsi (consciemment ou pas) à la campagne médiatique de dénigrement permanent dont il fait l'objet (et dont les éléments sont répertoriés sur le site de l'OPIAM). C'est d'autant plus dégueulasse (et contreproductif) que Melenchon prend très au serieux les droits des femmes et l'action des associations féministes, contrairement à de nombreux hommes (et femmes) politiques.
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré *réputés pour FAIRE la gueule
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Paprika
    commentaire modéré @Sleeper Mouarf mouarf mouarf, Mélenchon en a quelque chose à carrer des droits des femmes et des féministes ? C'est marrant, je l'ai jamais entendu s'exprimer sur le sujet (une interview de Elle aurait plutôt tendance à me faire croire l'inverse) et tout ce qu'il représente (l'Huma, les syndicats) est connu pour être un gros regroupements de sexistes en tout genre.
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Paprika
    commentaire modéré @Sleeper et puis, si on arrêtait de critiquer le positionnement de quelqu'un sur un sujet à partir du moment où celui-ci se disait de notre côté (ici, Mélenchon parce que soit disant féministe), ça fait longtemps qu'on aurait arrêté tout court.
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Paprika
    commentaire modéré @Sleeper Pi au final, jm'en fiche de Mélenchon, je critique le fait que cet article, quoi qu'un peu vieux, fasse les beaux jours des emmerdeurs qui considèrent que le corps de la femme leur appartient. Demander à une femme de sourire parce que femme, c'est aussi agressif que de lui imposer ce sourire.
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré @Paprika si ta culture politique se résume à la lecture de Elle, ya de quoi mouarfer effectivement.... Mélenchon, l'Huma ou les syndicats (bonjour le fourre-tout) regroupements de sexistes ? C'est quoi encore ces préjugés ? Alors que les organes du Parti de gauche (à ne pas confondre avec le FDG) étaient en 2012 les seuls à être constitués à parité. Rien à carrer, vraiment ? https://www.lepartid...es-en-mouvement-9761
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré @Paprika ben je vois bien que tu t'en fiches de mélenchon au point de laisser tes prejugés le classer sans chercher à comprendre dans la case sexiste/macho alors que c'est l'inverse en realité, pas besoin de me faire un résumé de l'article que j'avais deja bien compris à la premiere lecture
    20 avril 2016 Voir la discussion...
  • Paprika
    commentaire modéré @Sleeper je cite Elle parce que c'est un des premiers articles à ressortir quand je cherche "Mélenchon féministe" sur Google, that's all. Le fourre-tout, ch'uis bien d'accord, je suis pas forcément la mieux placée pour critiquer, c'en est une preuve. Cela dit, j'entend beaucoup de féministes autour de moi se plaindre que l'extrême gauche ne les reconnait pas, que c'est un parti majoritairement tourné autour d'une minorité d'hommes cis blancs qui oublient de prendre en compte les autres. Je parle pas tant d'expérience que de ressenti du milieu féministe que je côtoie.
    21 avril 2016 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré @Paprika donc tu laisses le milieu féministe que tu fréquentes et ses on-dit penser pour toi, intéressant.... Et l’extrême gauche, c'est vague, hein, on pense pas pareil au parti anticapitaliste qu'à lutte ouvriere ou chez les cocos. Et même le programme de mélenchon à la presidentielle 2012 etait moins radical que celui de mitterand en 1981; Peut on alors vraiment le classer à l'extreme gauche ou est ce c'est la droitisation de la société qui donne cet effet en trompe l'oeil ?
    21 avril 2016 Voir la discussion...
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