the uncool kids

Cameron Crowe et le mythe de la seconde chance

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 17 avril 2012 à 12h16

Si le mythe du self-made man à la Rocky Balboa ne fait plus rêver, certains grands cinéastes classiques aiment recalibrer le rêve américain sur de nouveaux standards. Cameron Crowe est de ceux-là. Il offre, à quelques personnages de second plan dont on ne parle jamais, une seconde chance.

Prendre un nouveau départ

Il aura mis longtemps à parvenir jusque chez nous, le dernier Cameron Crowe. Celui qui a été baptisé, plus élégamment qu'en France, We Bought a Zoo (Nouveau Départ donc) est adapté d'un roman, lui-même inspiré d'une histoire vraie. Un jeune père de famille (Matt Damon) décide de retaper un zoo après avoir perdu sa femme des suites d'une maladie et tente d'éduquer au mieux ses deux jeunes enfants. Face à la cruauté aveugle des circonstances, une famille quelconque devient alors centre de toutes les attentions. En quoi le personnage de Matt Damon est-il exceptionnel ? Précisément en rien, tant Matt Damon incarne avec une empathie extraordinaire le père inquiet (c'était déjà le cas dans Contagion), une figure du courage ordinaire.

Aux côtés d'Elle Fanning et Scarlett Johansson, c'est sur son visage que s'exprime toute la bienveillance, le paternalisme aussi, d'un cinéaste qui offre une seconde chance à tous ses personnages. La consécration du récit populaire américain en somme, du parcours bien balisé de la comédie romantique, ici sublimé par l'art de Cameron Crowe pour le mélodrame, l'émotion communicative, toujours le rire aux lèvres, l'envie de pleurer, sans aucune peur de la mièvrerie et des railleries. Le cinéaste définit son motto dans le film : celui du « pourquoi pas ? ». En célébrant le souvenir des disparus (l'épouse de Matt Damon), en décidant de changer de vie, de s'occuper des autres, hommes comme animaux, Crowe réussit alors un tour de force admirable : celui de redonner vie aux souvenirs uniquement par la parole, fantastique travail d'évocation, pour qu'ils puissent renaître à l'image. Assurément la plus grande réussite de sa carrière.


Why Did You Buy This Place?, extrait de Nouveau Départ

La crise des losers

De sympathiques marginaux, de courageux incapables, de très sensibles perdants ; voilà la faune qui constitue le paysage de la filmographie de Cameron Crowe. Lui-même a connu une jeunesse hors normes : correspondant pour le magazine Rolling Stone alors qu'il n'a que quinze ans, il sillonne la route, partage son adolescence entre interview de David Bowie et premières beuveries avec les roadies, et ne connaît pas véritablement la vie lycéenne (une expérience dont il témoignera dans Almost Famous). Il se réintroduira par la suite, pour les besoins d'un article, dans une classe de terminale, comme faux-étudiant sous couverture, pour raconter les us et coutumes de ses pairs, et finalement découvrir l'adolescence (autre récit autre film, dans Fast Times at Ridgemont High). Si cela nous semble terriblement cool aujourd'hui, Crowe vivait alors comme un déraciné et a toujours eu l'inadaptation dans le sang. C'est donc très logiquement qu'il a décidé de s'intéresser de près à ceux qui devaient se battre pour faire leur place, loin des podiums et des rêveries des années 90.

Si Lloyd Dobler, dans Say Anything, tente de charmer la fille parfaite, bonne sous tous rapports, le microcosme lycéen qui les entoure n'aura de cesse de leur rappeler que leur union est contre-nature. Lloyd, à la force de sa passion, devra prouver qu'il est capable d'aimer comme un autre. Le personnage d'Orlando Bloom, dans Elizabethtown, fait perdre près d'un milliard de dollars à sa compagnie en mettant au point une chaussure dont personne ne veut. Esseulé, ravagé, il n'aspire qu'à un peu de repos quand un retour forcé vers ses origines va le pousser à prendre la route, entreprendre un nouveau voyage, et se rebâtir à partir de ces nouvelles données : qui peut-on devenir après un fiasco d'une telle ampleur ? Jerry Maguire n'est-il pas le symbole de cette Amérique des friqués qui décide à un moment donné de regarder derrière eux, quitte à tout perdre ? De perdre quelques instants, et beaucoup d'argent, pour mieux faire leur travail, avec plus de plaisir ? A un moment crucial de leurs vies, les personnages de Crowe vont devoir faire un choix, subir une embardée, ou simplement tenter d'apprivoiser les éléments de la nature qui s'acharnent contre eux. La seconde chance n'est-elle pas au fond le programme, moral et scientifique, envisagé comme l'inéluctable avenir du jusqu'au-boutiste Vanilla Sky ? Ce sacerdoce, chez Cameron Crowe, c'est la passion de l'autre, la curiosité, l'envie d'aider autour de soi, parce qu'on ne sait faire autrement.


Les projets de vie de Lloyd Dobler, extrait de Un monde pour nous

Impitoyable idéaliste

Chez Cameron Crowe tout est question de romance, de charme et de bonnes intentions. Tomber amoureux, se laisser emporter par la passion, chaque film de Crowe est une aventure qui revêt une forme différente. Le fil rouge de sa carrière, cette passion dévorante, c'est le rock'n'roll, écrire tout le bien qu'on pense d'un groupe, en étant « honnête et sans merci » (comme le dit Lester Bangs), aller de rencontre en rencontre, et entrer en communion. Car si l'amour est pétri de complications, la musique étreint, écoute, et accueille invariablement, gardant toujours une petite place pour ceux qui veulent s'intéresser à elle.

Cameron Crowe est un humaniste : ses personnages sont souvent déglingués, blessés, maladroits, et ne savent pas comment entretenir leur propre bonheur, la stabilité de la structure familiale. Crowe, en démiurge indulgent, leur offre donc une alternative : prendre la route, ou au contraire s'installer, suivre le chemin tracé par la musique, comme un excipient contre la férocité du quotidien. Faire de sa vie une aventure, ne pouvoir s'échapper du souvenir des défunts, devenir roadie ou ouvrir un zoo, tout cela fait partie du même élan impétueux et arbitraire, un peu naïf, jamais hésitant, celui d'un idéaliste qui ne peut se résoudre à s'arrêter de courir, de peur que la vieillesse ne le rattrape.


Désillusion: les non-cool ne seront jamais cool, extrait de Presque célèbre

Pour découvrir un peu plus ce cinéaste, le Thursday Night Live organise en marge de la sortie de Nouveau Départ, ce jeudi 19 avril une projection exceptionnelle de Singles au Studio des Ursulines, et ce à partir de 20h30. Toutes les informations sont à retrouver sur la page de l'évènement.

À ne pas rater...
7 commentaires
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré Je suis plus d'accord avec toi quand tu dis que Crowe est un optimiste que quand tu dis ça sur James L. Brooks. :)
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Héhé. Brooks a produit Cameron Crowe si je ne m'abuse (Say Anything, Jerry Maguire), c'est qu'il devait retrouver en lui une aspiration commune.
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @hugues.derolez @FilmsdeLover j'ai revu Comment savoir dans le train il y a deux semaines, c'est vraiment magnifique. Ça ne m'avait pas frappé à la première vision mais la bienveillance qu'il a pour ses personnages est exceptionnelle en fait.
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Pour en revenir à Crowe et We Bought a Zoo, cette histoire de "seconde chance" est effectivement cruciale. À la sortie de la projection je m'étais souvenir de cette citation de Scott Fitzgerald que Clint Eastwood avait mis en exergue de Bird : « There are no second acts in American lives. »... à cela Crowe répond : Why not?

    Oui, je l'avais déjà dit sur twitter : https://twitter.com/...s/177870165097185282
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré Je sais pas ce que vous prenez chez Vodkaster pour voir en Brooks un chantre de l'optimisme mais ça doit être de la bonne. :)
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @FilmsdeLover ah optimiste je ne sais pas...
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • timothee
    commentaire modéré Il me semble sur Nouveau Départ que nous avons une analyse voisine, mais j'ai la conclusion inverse - je n'ai pas du tout aimé la "magie" dégradée du plan final.

    http://fenetressurco...de-cameron-crow.html
    17 avril 2012 Voir la discussion...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -