We don't need another hero

Chronicle : quel avenir pour le film de super-héros ?

Dossier | Par Julien Di Giacomo | Le 22 février 2012 à 17h47

Chronicle, sorti cette semaine, propose un angle original et inhabituel sur le vieux thème du super-héros. C'est l'occasion de faire le point sur le genre, et de se demander où se situe son avenir.

Chronicle est un film de super-héros qui ne dit pas son nom. Il conserve certains codes, en ignore d'autres, et semblera aussi familier que novateur aux fans de comics et de leurs adaptations. Josh Trank, son réalisateur, semble tenter d'y prouver qu'un film avec des super-héros peut être autre chose qu'un film de super-héros. Et à vrai dire, il n'est pas le premier à se lancer dans l'exploration des nombreuses possibilités offertes par le genre mais trop rarement exploitées. Le film de super-héros est en train de connaître une mutation, c'est certain, mais les manifestations de ses changements peuvent sembler manquer de cohérence. Dans quelle direction va le genre, au juste ?

Du kitsch au dark

Au XXe siècle, le paysage des films de super-héros avait une autre gueule. Les jeunes vous diront qu'elle était ridicule, les vieux qu'elle était meilleure, en tout cas elle était autre, à n'en pas douter. Rétrospectivement, on peut remarquer que le genre semblait n'avoir pas trouvé de marques et de repères auxquels s'accrocher, et qu'il se débattait dans un joyeux bordel, cherchant sa voie dans toutes les directions possibles. Le Batman gothique de Tim Burton côtoie le Batman gay de Schumacher, Marvel tâte le terrain de deux côtés différents avec un Punisher et un Captain America tombés aux oubliettes? Surtout, l'outsider Tortues Ninja et les indépendants Spawn, The Phantom, The Shadow ou Rocketeer ont aussi leur place dans le marché, et chacun des acteurs véhicule, à sa manière, une idée bien à lui de ce que doit être le ton d'un film de super-héros.


le fantome du bengale extrait de Le Fantome du Bengale

Seulement voilà qu'en 2000, Marvel fout les pieds dans le plat avec X-Men, et change la donne. Bryan Singer décide d'oublier les tenues flashy et kitschounes des personnages de comics pour les habiller de cuir (il sera imité par Mark Steven Johnson et son Daredevil à fermeture éclair quelques années plus tard) et situe son intrigue dans un univers bien plus réaliste et crédible qu'il est de coutume, avec un scénario aux ressorts politiques parfaitement incompréhensibles pour un enfant de 11 ans qui ne demandait pas tant de complexité. A partir de ce moment, les films de super-héros abandonnent le fluo et leur aspect cartoonesque, et se mettent en tête de nous faire croire que l'univers dans lequel vivent leurs personnages est bien le même que le nôtre, ce qui n'était pas forcément le cas auparavant. Ce n'est un secret pour personne, depuis The Dark Knight, qui s'est plus ou moins imposé comme un modèle par la force du box-office, la tendance est au développement psychologique (il faut le dire vite, mais l'idée est là) et à la noirceur PG13.

Le post-super-héroïsme en marche

Voilà donc un peu plus de dix ans que le film de super-héros est plus ou moins stable, et que ses grands principes de fond et d'esthétique sont fixés : les textures doivent être sobres, l'univers reconnaissable et semblable au nôtre, le ton globalement sérieux. Et gare à qui oserait contrevenir. Si Green Hornet s'en sort pas mal, Elektra, Green Lantern, le Spirit, le Ghost Rider ou le Punisher ont appris à leurs dépends qu'il valait mieux éviter de sortir du rang. Alors que même Thor a fait l'effort - payant - de calmer ses ardeurs nordiques kitsch pour suivre la mode, ces films ont commis l'erreur (commerciale) de chercher à se rapprocher d'un esprit plus typiquement comics, bariolé et fantaisiste, à une époque où il est de mise pour les super-héros de pratiquement renier leurs origines. Si les chiffres exacts sont durs à trouver, on peut assez raisonnablement arguer qu'aujourd'hui les films de super-héros font plus d'entrées que les comics ne font de ventes?


Le baiser de la mort extrait de Elektra

La voie du changement, la vraie, est en fait celle du post-super-héroïsme, cette tendance qui consiste à prendre quelques pas de recul par rapport aux récits classiques du genre pour le questionner dans son essence profonde. Dans cette posture, l'auteur s'attaquant au sujet ne se contente pas seulement de dépeindre la lutte entre le personnage principal et son antagoniste, mais il se sert de son récit pour interroger de manière plus large la place du super-héros dans la société. Comment en est-il le produit ? Quelle est la place exacte qu'il doit y tenir ? Jusqu'à quel point ses actions, toujours illégales, sont-elles justifiées ? En quoi son indépendance, son statut d'électron libre et parfois de surhomme font-ils de lui une menace intrinsèque pour la cité ? Nous vivons tout de même une époque où des types se baladent dans la rue déguisés en super-héros pour combattre le crime. Et puisqu'aujourd'hui l'heure est à la désillusion, il est somme toute assez naturel que les artistes biberonnés aux super-héros préfèrent référencer leur culture et philosopher sur son sens plutôt que de tenter vainement de la reproduire.

Et maintenant, on va où ?

En comics, le basculement se fait très nettement dans les toutes dernières années des 80's, principalement avec l'inénarrable Watchmen, du non moins inénarrable Alan Moore, mais au cinéma, c'est M. Night Shyamalan, monstre précurseur, qui initie le mouvement alors même que l'ère de la domination super-héroïque sur grand écran ne fait que débuter. Et à vrai dire, après avoir digéré la quarantaine de films Marvel et DC qui l'ont suivi, sa vision n'en est que plus pertinente encore? Avec une avance pareille, il ne faut donc pas s'étonner qu'il ne soit resté pour quelque temps qu'un précurseur, et que la machine ne se soit remise en marche qu'en 2009 avec l'adaptation par Zack Snyder de Watchmen, qui arrivait à point nommé pour mettre en perspective le propos d'Alan Moore sur la mythologie super-héroïque. Dans la foulée, on trouvera également Kick-Ass et Super, qui viennent compléter une peinture naissante d'un nouvel angle sur un archétype de personnage qui, après avoir été longuement examiné de l'intérieur, doit à présent être ausculté de l'extérieur.


Démarrage d'aspirateur à distance extrait de Chronicle

En connectant les bonnes vieilles histoires habituelles de super-pouvoirs au teen movie cruel, Josh Trank développe dans Chronicle ce que Sam Raimi, 10 ans plus tôt, ne faisait que toucher du doigt dans Spider-Man. Alors que le fameux « un grand pouvoir entraîne de grandes responsabilités » n'était jusque-là qu'une jolie catchprase un peu vide de sens, elle se trouve ici largement explorée et justifiée. Trank s'intéresse en profondeur à l'ivresse du pouvoir, à l'influence du background familial sur les choix de vie fondamentaux, aux conséquences de la solitude sur le développement psychologique d'un adolescent, et fouille tous les aspects de la théologie super-héroïque qui ne sont généralement considérés par les autres réalisateurs que comme des passages obligatoires avant de pouvoir attaquer les scènes d'action pleines de gros effets spéciaux. Sur la forme, Chronicle ne ressemble ni à Kick-Ass ni à Super, pas plus qu'ils ne ressemblent à Watchmen ou que celui-ci ne ressemble à Incassable, mais ils ont tous en commun d'apposer à leurs onomatopées bigarrées non pas un point d'exclamation, mais un point d'interrogation. Ensemble, ils brillent par leur cohérence et dessinent l'un des avenirs possibles d'un genre en stagnation. Bienvenue dans l'ère du post-super-héroïsme.

Image : © 20th Century Fox

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