La caméra intrusive

De Pardonnez-moi à Polisse : le rôle de la caméra dans le cinéma de Maïwenn

Dossier | Par Couleurs Toile | Le 31 octobre 2011 à 15h50

Lorsqu'en 2006 la comédienne Maïwenn termine Pardonnez-moi, son premier long métrage, elle livre aux spectateurs une plongée brutale et nerveuse dans l'intimité d'une famille française avec ce que cela comporte de tensions, de secrets et de joies. Règlement de compte autant que thérapie, réflexion sur le medium cinéma autant que farce désillusionnée sur la rédemption, Pardonnez-moi secoue. Redécouvrez le premier film de la réalisatrice de Polisse avec le ciné-club Les Couleurs de la toile.

Comme pouvait le faire Maurice Pialat, une des principales influences de la jeune Maïwenn, la réalisatrice privilégie le potentiel des acteurs à une mise en scène parfaitement millimétrée pour tirer le meilleur de chaque comédien. Et comme Pialat, Maïwenn se met elle-même en scène dans ce film, ainsi que dans les deux suivants (Le Bal des Actrices et Polisse), avec un rôle toujours en équilibre entre la fiction et la réalité.


Réveil difficile extrait de Le Bal des actrices

L'apport personnel de Maïwenn tient à l'intrusion d'une caméra dans chacun de ses films, caméra qu'elle conserve avec elle quasiment en toute circonstance. Il ne s'agit pas de tout filmer uniquement à travers cette petite caméra, mais de l'insérer dans le champ de vision pour ne jamais oublier que les scènes qui prennent vie ne sont que des scènes. Dans Pardonnez-moi, Maïwenn filme son personnage (Violette) en train d'acheter une caméra pour faire un film de famille. En dehors des questions pratiques et économiques de recourir à un matériel léger et peu coûteux, le choix d'introduire dans le récit la caméra offre diverses pistes significatives qui enrichissent le propos du long métrage. Car Pardonnez-moi suit le parcours torturé et tortueux d'une jeune femme comédienne sur le point d'avoir un enfant et qui décide avant d'entrer dans une nouvelle étape de sa vie de régler quelques problèmes du passé liés notamment à un père violent dont elle va chercher le pardon.


Le spectacle de Violette extrait de Pardonnez-moi

La caméra est une arme

La caméra joue dès lors un rôle crucial dans le dispositif. L'objet apparaît rapidement comme un révélateur censé contraindre les sujets filmés à avouer quelque chose, et donc capter l'intimité de chacun, aider à la recherche du pardon et à la résolution d'un conflit. La caméra vient aussi servir de bouclier pour Violette, de refuge face à la dureté des situations. En conservant la potentialité d'un regard extérieur, la jeune femme se protège contre toute agression trop violente. Ces deux usages de la caméra, identifiée à la fois comme une épée et un bouclier, permettent à Violette de mener son combat pour éclaircir une sombre affaire de famille. Le dispositif pourrait sembler équilibré, mais la caméra prend une troisième dimension, celle du jeu et de la mise en scène. Car Violette/Maïwenn ne se contente pas de simplement aller sonner à la porte familiale pour demander des comptes, elle met en place des circonstances particulières dans le but de pousser les gens dans leurs retranchements.

Une des premières scènes filmées via la petite caméra DV se déroule avec le compagnon de Violette. Alors qu'il commence à raconter leur rencontre, Violette lui demande d'expliquer à la caméra pourquoi l'homme a voulu qu'elle avorte un an plus tôt. Intentionnelle ou non, cette action contient une part de jeu, de mise en scène qui débouche forcément sur un conflit frontal. Violette ne cherche ainsi pas seulement à se confronter à une réalité difficile, mais joue à se mettre en danger face à des vérités qui dérangent. Plus loin, c'est en usant de l'apparition du père inconnu de la benjamine de la famille que Maïwenn en vient à aborder les secrets familiaux. A chaque fois, un élément identifiable comme un coup de théâtre doit déclencher les révélations. Cette troisième façon d'utiliser la caméra confère au film sa nervosité particulière. L'irruption de la caméra dans le champ élabore un jeu périlleux dont l'issue demeure incertaine. Le titre du film, Pardonnez-moi, prend d'ailleurs un sens équivoque puisqu'il fait autant allusion à la tentative de pardonner son père qu'à un besoin de se faire pardonner par sa famille.


Départ en mission extrait de Polisse

Se mettre en danger

Pardonnez-moi voyait apparaître l'intrusion d'une caméra dont le rôle était finalement aussi central que celui de Violette. En constant équilibre entre le brio et l'outrance, ce premier long métrage parvenait à conserver une franchise à fleur de peau et un recul de cinéaste salutaire. Maïwenn a repris par la suite le même procédé mais en avec une démarche tout à fait différente. Dans Le Bal des Actrices, la réalisatrice travaillait davantage sur la frontière entre la comédie et la tragédie. La caméra servait autant à approcher une intimité simulée des actrices qu'à déconstruire et dégrader l'image-même de Maïwenn réalisatrice. Très réussi par moments, le procédé s'affaiblissait légèrement sur la fin par la difficulté qu'avait eu, semble-t-il, la cinéaste à choisir entre un final tragique (les actrices en colère, le documentaire sur les actrices en échec et Maïwenn détruite) et un final de comédie (le couple parvenant à surmonter les difficultés dans un baiser ultime).

Avec Polisse, son troisième long métrage sorti en octobre 2011 et récompensé au Festival de Cannes, Maïwenn poursuit l'intrusion d'une caméra (et donc de sa propre personne) dans le film, mais d'une façon nouvelle. L'objet prend la forme d'un appareil photo. Maïwenn se transforme en photographe parachutée dans une brigade de police pour la protection des mineurs. Personnage fantôme dans la première partie du film, la posture de photographe rappelle le voyeurisme du spectateur, l'observation du réalisateur ou encore la surveillance continue qui s'installe dans notre société. Cette posture permet également de construire une chronique désabusée sur la police sans jugement direct. Cependant, le procédé fonctionne peut-être moins bien que dans les autres films. D'abord car le personnage de Maïwenn est beaucoup plus décentré et passif. Ensuite car la vie de la brigade suffit à elle seule à plonger dans des vérités dérangeantes. Un des enjeux auxquels devra faire face Maïwenn dans ses futurs projets sera sans doute celui d'accepter de ne plus apparaître à l'image pour laisser ses sujets vivre d'eux-mêmes sans en tirer toutes les ficelles. La caméra intrusive caractérise les trois premières oeuvres de la cinéaste, mais pour conserver toute la force de son cinéma, il lui faudra peut-être éviter de laisser cette caméra tourner à vide.

Pardonnez-moi le 3 novembre au Studio des Ursulines

Profitez de cette occasion rare qu'est celle de voir Pardonnez-moi en salle et ce le jeudi 3 novembre à 20h30 au Studio des Ursulines, à Paris, dans le cadre du ciné-club Les Couleurs de la Toile. Vous pourrez lire ici un autre article concocté par l'équipe des Couleurs de la Toile, ou en apprendre plus directement sur la page de l'événement.

En attendant la séance, jouez au quiz sur Les joies de la famille

Image : © Mars Distribution

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