The Expendables

Heathers de Michael Lehmann (1989), le teen-movie mal intentionné

Dossier | Par Virginie A. | Le 24 janvier 2011 à 16h29

Combien de fois, au lycée, avez-vous écrit ou dit, dans un accès de rage, que vous aviez des envies de meurtres ? Combien de Marie-Alice Poufiasse auriez-vous pu tuer à mains nues après qu'elle se soient moquées de votre soutif rembourré devant toute la classe en cours de sport ? Et si vous aviez joint le geste à la parole ? Si vous l'aviez fait, vous auriez pu vous reconnaître dans Veronica Sawyer, l'héroïne de Heathers.

Heathers, c'est l'histoire de Veronica (Winona Ryder), une lycéenne à Westerburg, Ohio, qui parvient à gagner une place dans la clique la plus populaire de son lycée, un groupe de trois filles particulièrement jolies et méchantes (ayant par ailleurs développé un fétichisme certain pour les vestes outrageusement épaulées). Ces trois filles, toutes nommées Heather, dominent la micro-société du lycée qu'elles toisent de leur regard supérieur et cynique, et Veronica espère gagner un passe-droit à leur persécution en devenant l'une des leurs.


Fuck me gently with a chainsaw extrait de Fatal Games

Tout change le jour où elle rencontre JD, un nouvel étudiant particulièrement violent et instable qui l'entraîne, parfois à son insu, dans une danse particulièrement macabre avec les riches et puissants de son lycée (joué par un Christian Slater qui tentait visiblement de faire un Jack Nicholson version Shining). Humiliée par « Heather number 1 » (Kim Walker), Veronica programme une vengeance avec JD. Ce qui ne devait être qu'une mauvaise blague tourne au meurtre par l'entremise de JD, et Veronica rédige une fausse note de suicide pour ce sortir de ce mauvais pas. Bâtie sur une rhétorique de la popularité aliénante, le vrai-faux suicide de la méchante Heather la transforme malgré elle en pasionaria de l'angoisse lycéenne et conduit JD à observer que cette Heather est finalement socialement bien plus utile morte que vivante. Et si ces deux jocks qui passent leur temps à persécuter les plus faibles qu'eux devenaient plus utiles à la société en les tuant et en faisant passer leur mort pour un suicide homosexuel ? et si on faisait sauter tout le lycée pour envoyer un message à l'Amérique ? Et si, JD, t'avais pas un sérieux problème de gestion de l'agressivité ?

Marqué par un humour noir particulièrement déroutant, et par une esthétique très pointue mais aussi très datée (en témoigne ce portrait fascinant des looks du film par Géraldine Dormoy), ce film a tout du faux mauvais film. A première vue, le jeu désincarné des acteurs, les répliques choc et les looks sortis tout droit d'une mauvaise digestion de comic-books en feraient un film d'exploitation lambda qui n'a pour lui que de réunir certaines des stars des années 90.

Et pourtant.

Centré sur les thèmes du suicide adolescent, du mass-murder et de la pression sociale constante à laquelle sont soumis les lycéens, ce film fait figure d'ovni dans l'appareil des teen-movies des années 80. En général, ou bien on riait des blagues des adolescents, ou bien on pleurait avec eux de leurs angoisses, et on entretenait un tabou sur la gravité de celles-ci. Rire du pire drame adolescent (le suicide lié au mal-être), c'était quasi-blasphématoire.


Funérailles de Heather Chandler extrait de Fatal Games

Abordant frontalement la question du suicide et de la rage meurtrière au lycée, manipulant humour noir et cynisme autour de thèmes tels que la mort et la discrimination, Heathers fait figure de précurseur autant à Mean Girls qu'à Elephant d'une certaine manière. L'idée qui domine le film est celle d'une société lycéenne sclérosée par la méchanceté et les discrimination, et qu'il est nécessaire de purger d'une manière ou d'une autre.

Daniel Waters, le scénariste du film, dit avoir eu l'idée du scénario de Heathers en lisant le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (n'en tirons cependant pas de conclusion sur sa consommation de drogues dures). Il était en effet choqué de constater que, dans son lycée, ironiquement, les pires tortionnaires de la grosse-moche-mal dans sa peau étaient bien souvent des personnes du même sexe, et non pas des garçons. Il en est venu ainsi à formuler l'idée que la société était peut-être dominée par les hommes, mais à l'adolescence, les filles régnaient en dictatrices absolues sur la hiérarchie sociale lycéenne. Heathers devenait une parabole sur les luttes de pouvoir et sur la bonne gouvernance (si si !) - comment faire bon usage du pouvoir que l'on possède ? peut-on se débarrasser d'un mauvais dirigeant ?


Veronica vs. Heather Duke extrait de Fatal Games

Dans cette mesure, ce film passe pour un anti-John Hughes movie. Les adolescents ne sont pas de belles personnes abîmées par la société. Non : ils sont à l'image de la société. Analysant frontalement la brutalité des relations sociales au lycée, Heathers décale l'analyse jusqu'ici faite par Hughes, selon laquelle le mal-être adolescent tient avant tout à un conflit générationnel et à la pression subie de la part des adultes. En effet, dans Heathers, les adolescents ne sont plus des victimes d'un conflit générationnel, ils sont victimes d'eux-mêmes. D'une certaine manière, l'entrée au lycée ne serait rien d'autre qu'une entrée fracassante dans le monde adulte. Comme le dit JD, le personnage joué par Christian Slater, « les gens verront en [Westerburg] un lycée qui s'est auto-détruit, non pas parce que la société n'en avait rien à foutre, mais parce que le lycée est à l'image de la société » (People will look at the ashes of Westerburg and say, "Now there's a school that self-destructed, not because society didn't care, but because the school was society.") Profond.

Reprenant les codes habituels du teen movie américain habituel (les cliques, les plus forts qui martyrisent les plus faibles, la prom), le film va très loin dans le cynisme. JD est l'incarnation d'une forme d'anarchisme un peu nihiliste : pour lui, le lycée n'est pas un rite de passage avant la vraie vie. Il est la vraie vie, et reproduit toutes les inégalités sociales que l'on trouve après les cours. Ainsi, Heather « numéro 1 » considère que ses mauvaises blagues sont une manière d'enseigner la vraie vie à ses camarades, et Veronica considère son appartenance au clan des Heathers comme un boulot à plein temps avec des collègues qu'elle n'aime pas. « Ce sont des collègues de travail et notre métier est d'être populaires » (they're people I work with, and our job is being popular and shit). Pour JD, la solution pour faire un monde meilleur, c'est de balancer cette évidence au visage des Etats-Unis, et de se débarrasser des éléments « disposables » de son lycée - pourquoi maintenir des jocks en vie après la saison de football ? A part persécuter les plus faibles, à quoi servent-ils ? (« Football season is over, Veronica. Kurt and Ram had nothing left to offer the school except for date rapes and AIDS jokes. »). JD crée un monde meilleur par la mort, en transformant les tortionnaires qu'il a assassinés en victimes d'un appareil social dictatorial.

Ce film nihiliste a eu un destin assez logique, si on y réfléchit bien : impossible à finir, la fin a été remaniée incessamment - il en existe 2 ou 3 versions à ce jour. La fin initiale du film était censée refléter ce constat amer de JD selon lequel les groupes sociaux ne peuvent s'entendre parfaitement qu'au Paradis (« The only place different social types can genuinely get along with each other is in heaven. »). En effet, la première version du scénario prévoyait de finir le film dans l'autre monde, où le bal de promo serait serein, souriant et vidé de toute tension sociale parce que tout le monde serait déjà mort. Finalement, d'autres pistes moins négatives ont été explorées, notamment en raison de la charge polémique d'un tel discours - on retrouvait en effet l'éternel débat de l'influence des médias sur les moeurs, et l'idée que le film risquait d'inciter les adolescents au suicide collectif.


JD & Veronica, acte final extrait de Fatal Games

La solution confortable pour tous fut d'éliminer le méchant, de préférence avec panache et décontraction. Distribué par une boîte en pleine faillite, le film a été un échec cuisant au box office, malgré des critiques dithyrambiques de la part des plus grands journaux américains (à l'exception de Roger Ebert, pour qui un film sans morale est quelque chose de très perturbant, visiblement). Rapidement après, il est devenu culte, à la faveur de la notoriété grandissante de Christian Slater et de Winona Ryder. Il est maintenant une référence absolue pour tous les laissés pour compte de la société, une forme de revanche cathartique sur toutes les vexations subies au lycée et fait figure de modèle dans le genre « comédie noire lycéenne ». De fait, il fait ressortir les pulsions malsaines du spectateur à un degré rarement atteint.

Et si ce film était maudit ? Voyons : Kim Walker qui prononce cette vanne culte « Did you get a brain tumor for breakfast ? » est morte? d'une tumeur au cerveau, et l'acteur qui, aux premières funérailles, demande à Dieu de ne jamais le pousser au suicide s'est suicidé des années plus tard. Quant à Diablo Cody, elle a dit s'être fortement inspirée du ton cynique / humour noir et du style de Heathers pour écrire Jennifer's Body, avec le succès que l'on sait?

Tout ça combiné ensemble en fait indéniablement un des teen movies les plus sulfureux que nous aient laissé les années 80.

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32 commentaires
  • cineflo
    commentaire modéré oulà, mon navigateur a buggé ! si quelqu'un pouvait effacer les répétitions et ensuite ce commentaire ce serait top :)
    7 février 2011 Voir la discussion...
  • Virgo
    commentaire modéré Oh, mais ça fait six fois plus plaisir :)
    7 février 2011 Voir la discussion...
  • cineflo
    commentaire modéré Quel plaisir cet article, ça me donne vraiment envie de le revoir :)
    7 février 2011 Voir la discussion...
  • cineflo
    commentaire modéré Quel plaisir cet article, ça me donne vraiment envie de le revoir :)
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