quelques femmes et quelques verres

Hong Sangsoo, à quoi bon faire toujours le même film ?

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 9 décembre 2011 à 13h02
Tags : amour, alcool

C'est désormais réglé comme du papier à musique : à chaque année son Hong Sangsoo, sa mélancolie douceâtre, son amour du temps révolu, des femmes contrites, des boissons qui font perdre la mémoire. Cette semaine, Oki's Movie retravaille le même schéma avec le même plaisir communicatif, mais perd en effronterie.

C'est toujours la même histoire

On se fait la remarque à propos de nombre de cinéastes, obsédés par les mêmes bizarreries psychanalytiques qu'ils n'ont toujours pas réglées, affirmant leur style, leur « patte » jusqu'à parfois sombrer dans l'auto-caricature. Le nom de David Lynch vient en tête, mais on peut aussi penser à Woody Allen, sûrement un lointain cousin d'Hong Sangsoo d'ailleurs. Des questionnements triturés dans tous les sens, décortiqués, analysés jusque dans leurs moindres détails, des afféteries visuelles ; toutes ces choses qui parfois donnent l'impression de regarder la nouvelle variation autour du même film princeps dont le souvenir hanterait encore le réalisateur. Hong Sangsoo lui va encore plus loin que ça. Il refait perpétuellement le même film et ne s'en cache absolument pas.

En dix ans et autant de longs-métrages la réputation du cinéaste coréen n'a cessée de croître. Petite starlette des festivals, extrêmement apprécié (et pour le moment toujours bien distribué) en France, Hong Sangsoo s'inscrit dans une tradition du cinéma coréen verbeuse et amoureuse, bien loin de ses sadiques compatriotes Kim Jee-Woon et Park Chan-Wook. Dès La Vierge mise à nu par ses prétendants le programme est établi : plusieurs hommes se battent pour l'amour d'une même femme. On sortira que très rarement de cette disposition. Ils sont souvent de vieux amis, comme dans La Femme est l'avenir de l'homme, évoquant leur conquête commune autour d'une, ou de plusieurs, bonnes bouteilles. Il est toujours question d'une envolée lyrique, d'un bond ivre vers le passé, à tâcher de vouloir tout rattraper au plus tôt. De nouvelles rencontres intenses, où on s'aime en une fois, physiquement et dans le verbe, comme dans l'éclatant HA HA HA, avant de se réveiller avec une méchante gueule de bois.


La femme de sa vie extrait de HA HA HA

Toujours la même douleur au coeur

Trois chapitres de la vie d'une femme se succèdent dans Oki's Movie, comme autant de volutes et d'indécisions, de rencontres avec des hommes charmants mais légèrement envahissants. Elle est le vecteur de toutes les attentions, déambulant sa triste mine dans le film, même si notre regard est comme souvent du côté des hommes. Jeunes ou âgés, ils partagent le même laisser-aller toujours désarçonnant : d'un air décidé ils tomberont amoureux et ne voudront plus laisser partir Oki. Chez HSS les hommes sont lourdingues, prêts à tout pour prouver leur amour, mais ce sont les femmes qui décident de l'avenir de leur relation.

De Woman on the Beach, par exemple, à Oki's Movie le chemin parcouru semble infinitésimal. On ne sait vraiment à quel point Hong Sangsoo aime mettre en abîme son propre personnage mais l'image du cinéaste raté et insatisfait apparaît dans presque tous ses films. A son inverse pourtant, ce sont des cinéastes qui ne tournent pas, là où HSS enchaînent les projets à la vitesse de l'éclair. Ces cinéastes, donc, boivent non pas pour oublier mais pour contrer les souvenirs, ceux qui poignent à un certain âge, alors que tout semble raté. On retrouve de vieux amours, on se chamaille avec d'anciens amis, comme pour replonger dans une adolescence avec laquelle on n'en aurait pas tout à fait terminée. Ce qui saisit pourtant ici ce n'est pas le schéma, très établi comme nous l'avons déjà dit, mais comment le mélodrame se mue peu à peu en comédie impudente et cynique.


Le poème extrait de HA HA HA

Et toujours le même rire revigorant

La distance imposée dans les premières oeuvres d'Hong Sangsoo se réduit peu à peu, ou plutôt se transforme en incroyable bouffonnerie, une sorte de marivaudage naïf légèrement désespéré. On rit des excès de ces personnages, de leurs échecs et désamours, tout en évitant la moquerie facile. Semblant, au départ, très peu doué pour incarner charnellement ses sujets, le cinéaste a remanié les longs silences du début de sa carrière en brouhaha incessant, remarques jetées d'un personnage à un autre sans que personne ne s'écoute jamais parler. Ce sera à celui qui ira le plus loin, qui fera la déclaration la plus belle, la plus démesurée. Un tel amoncellement pouvait prendre deux directions : celle de l'amour contrarié à tendance tragique ou celle de chassés-croisés burlesques, où on patauge autant physiquement (sous les effets de l'alcool) que dans la parole (sous l'effet de la passion). Trébucher devient ici alors un art de vivre.


Concours de boisson extrait de Les Femmes de mes amis

Malheureusement aucun extrait d'Oki's Movie n'est disponible mais, on ne va pas vous le cacher, vous ne feriez même pas la différence. Le glissement, du registre dramatique (comme dans Conte de cinéma par exemple) à la franche espièglerie se fait à tâtons, avec précaution. Comme dépeint dans ses films, les retrouvailles avec Hong Sangsoo ressemblent (déjà) à celles qui pourraient être les nôtres, alors qu'on retrouve un vieil ami autour d'un bon alcool. Très vite, on s'amuse, les bouteilles défilent, et on ne sait plus quand s'arrêter. Ce dernier né n'est pas franchement le plus indispensable des films d'Hong Sangsoo. On l'apprécie comme on savoure le nouveau spectacle de son showman préféré, bien rôdé, fonctionnant sur les mêmes ressorts, les mêmes codes, les mêmes habitudes.

On pourrait vous dire « aller voir un film d'Hong Sangsoo c'est s'assurer que ses prochains films seront encore distribués une fois l'effet de mode passé ». Un effet de mode qui dure depuis dix ans, certes, un traitement très avantageux rarement donné aux réalisateurs sud-coréens. Les fans éperdus du réalisateur ne devront pas le rater, les autres seront sûrement toujours aussi hermétiques face à son cinéma. Il est néanmoins indispensable de dire que le prochain Hong Sangsoo lui ne se rate pas. The Day He Arrives, sélectionné au dernier Festival de Cannes, est un bijou de cocasserie, de répétition acharnée, une sorte de syncrétisme fou furieux des précédentes oeuvres du cinéaste, courte, passionnée, hilarante, fougueuse et véhémente. Pour le moment aucune date de sortie française n'est arrêtée mais on se dit que cela devrait arriver tôt ou tard. Il y sera question d'un réalisateur qui ne tourne plus, de passage chez un ancien ami pour y boire... et y parler d'amour. Et pourtant, le film n'est l'équivalent d'aucun autre.

Si vous pensez toutefois pouvoir distinguer ses films, vous pouvez vous mesurer au MovieQuiz dédié !

Image : © Les Acacias

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20 commentaires
  • GuillaumePerro
    commentaire modéré Réalisateur absent de ma liste de films notés (et donc vus). Désolé!
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré @zigzagtouch oui, nous n'avons plus qu'à attendre une date de sortie !
    @GuillaumePerro ça vaut vraiment le coup, surtout les derniers pour moi, si jamais tu as l'occasion de mettre la main sur l'un d'entre eux.
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • GuillaumePerro
    commentaire modéré Je vais les rajouter à ma (longue) liste de films à voir ;)
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Hongsangfu
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré (Bon ok, je descends).
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Mais non ! La hype est passée mais le mec commence à faire des choses vraiment intéressantes. Tu n'en as jamais vu un seul, c'est ça hein, avoue.
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré En même temps, je n'ai aucune peine à l'avouer...
    Mais je te promets de le mater après mes 1190 films à voir.
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Ok.
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zigzagtouch
    commentaire modéré Je crois que le 1er film que j'ai vu de lui était "La femme est l'avenir de l'homme".Je pensais voir du Rohmer et là j'ai pris ma claque, une vision des rapports homme/femme très fine mais profondément desespérante.Depuis je reste toujours fasciné par sa vision de l'amour à la fois touchante mais aussi cruel.En ce sens j'avais trouvé "Hahaha" vraiment frais avec cette petite touche d'humour bienvenue qui renouvelait son cinéma.Je pense qu'il ne faut pas faire de conclusion hative avec "Oki's movie" il s'est essayé à ce genre de tournage plus ou moins improvisé et avec peu de moyens et je continuerai à le suivre...
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Tout à fait, ça reste très bon, mais beaucoup moins que celui à suivre, The Day He Arrives, qui vraiment renouvelle sa démarche.
    12 décembre 2011 Voir la discussion...
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