Plaidoyer pour la comédie musicale française !

La formule magique des comédies musicales françaises

Dossier | Par Lisa Revil, Cyril Barthet | Le 22 août 2011 à 15h40

Le nouveau film de Christophe Honoré met une fois de plus à l'honneur la comédie musicale française, « CoMu » pour les intimes. Le réalisateur breton avait déjà réussi l'exercice avec Les Chansons d'amour en 2007. Ce drame musical salué par la presse comme par le public était décrit comme le film d'une génération, totalisant un peu plus 300.000 entrées -ce qui est bien pour le producteur, mais pas top dans l'absolu. Le ver était néanmoins dans le fruit, et Christophe Honoré décida donc de récidiver, pour notre plus grand plaisir - plaisir d'ailleurs parfois un peu honteux, les détracteurs du genre lui reprochant son côté kitschissime, fantasmatique ou incongru. Certes la CoMu française est clivante, n'en déplaise à ces terre-à-terre ennuyeux, mais pour ceux qui les aiment, et qui se demandent pourquoi, voici quelques éléments de réponse.

La singularité des CoMu françaises

Pour déterminer ce que pourrait être « le style français », il faut commencer par expliquer ses divergences avec son aînée américaine. Inspiré par Broadway, les comédies musicales américaines utilisent les mêmes ficelles : un show où les danses et les performances vocales sont primordiales. La plupart sont des éjaculations de bons sentiments aboutissant inexorablement à un happy end. Hairspray nous montre une Baltimore fantasmée où le chant est une parade à la ségrégation raciale. Manichéenne et moralisatrice, l'histoire est seulement prétexte à caser une morale, comme dans Le magicien d'Oz où les trépidantes aventures de Doroty nous assènent finalement un bon vieux « there's no place like home », typiquement ricain. On y trouve aussi des mises en scène « sport-addict » à la High School Musical, et des décors bien tapageurs (Moulin Rouge, Nine,..). Bref, du spectacle comme nos amis américains en ont le secret.


Ladies'choice extrait de Hairspray

Des acteur qui chantent?

Interviewé en 1985 à l'occasion de son nouveau film musical Parking, Jacques Demy déclarait : " il y a deux façons de faire le film, prendre un chanteur qui sache jouer ou bien un acteur qui sache chanter. Or la partie jeu est très importante..." Pour Demy, qui a régné sur la CoMu française et lui a donné ses lettres de noblesse, le jeu prévaut sur la performance vocale, l'émotion n'est pas créée par la beauté d'une voix mais bien par la beauté d'un sentiment. Dans Les Bien-aimés, la star de la variété Michel Delpech est ainsi le seul à ne pas chanter. Et quand François Ozon explose le box-office avec 8 femmes en 2002 (près de 4 millions d'entrées !), il réunit une brochette exceptionnelle d'andouillettes AAAAA : Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Isabelle Huppert, Ludivigne Sagnier etc. Soit le gratin des actrices françaises, et pas une « vraie » chanteuse sur le grill. Le casting d'acteurs de cinéma professionnels est donc un choix assumé des CoMu françaises qui, par cette coquetterie, s'émancipent de leurs aînées américaines.

Un thème commun : les sentiments

Quand Jacques Demy dit "Les demoiselles de Rochefort, je l'ai fait sur un sentiment de la vie", il ne justifie, ni ne décrit sa démarche. Dans un entretien récent à Télérama, Honoré déclare : "Je mets un point d'honneur à raconter des histoires d'amour dans lesquelles on ne sait même pas quels métiers exercent les personnages? C'est presque un manifeste. Je sens bien qu'on réclame aux cinéastes des sujets de société. Il faut s'emparer d'un lieu, d'un microcosme (la prison, l'école)... et prétendre observer toute la société française de là : cela me semble très présomptueux..." J'entends ici s'élever les voix graves et scandalisées des pragmatiques, des philistins, des mêmes qui cherchent à placer leurs économies et ne jurent que par les niches fiscales, les ennemis de la poésie, de la légèreté et de la fragilité (on me glisse dans l'oreillette : « les cons »). Bref, la CoMu française prend le risque du procès en naïveté, et place les sentiments sur un piédestal, pour mieux oublier un réel souvent douloureux.


Galerie de sentiments extrait de Les Demoiselles de Rochefort

La mise en scène : des films "en-chantés"

Ce choix de placer les sentiments au coeur du film se traduit également par une mise en scène intimiste et romanesque, avec un soupçon de funambulisme : un faux-pas et le fantasme devient gauche et ridicule, le film sombre dans l'abîme du grotesque. Jacques Demy voulait d'ailleurs brouiller les cartes, de telle sorte que le spectateur soit immergé et qu'on ne sache plus si les acteurs parlent, chantent, dansent ou marchent. Presque 50 ans plus tard, Christophe Honoré explique, lui, qu'« il faut que la mise en scène accepte de s'affranchir d'un réalisme, mais sans tomber dans le clip ».

De Demy à Honoré, les champions du style

Historiquement, les premiers films musicaux français voient le jour dès 1930. Ils n'ont guère à voir avec ceux d'aujourd'hui, ressemblant plus à des publicités d'artistes de leur époque. Il faut attendre l'arrivée de Jacques Demy dans le petit monde du cinéma pour que se dégage enfin le style « à la française » que nous venons de décrire.

Le couple Demy/Legrand, pères fondateurs de la CoMu française

Demy avait l'ambition de créer "une nouvelle manière de faire de la musique au cinéma". Grâce à son complice Michel Legrand, l'originalité de la mise en scène collait finalement à celle de la musique. Dans une interview récente de Paola Genone, Legrand déclare : "Jacques Demy, Louis Malle, Jean-Luc Godard et les autres... Ils voulaient tous changer le cinéma... La musique de jazz collait merveilleusement à leurs films. Privé d'un repère mélodique précis, le spectateur ne pouvait pas anticiper l'évolution de la musique : les personnages devenaient ainsi plus imprévisibles".

Les exégètes considèrent que Lola, la première comédie musicale de Demy, contient en elle la quintessence de son oeuvre à venir. Lola, nommé au départ, Un Billet pour Johannesburg, remporte le Grand Prix de l'académie du cinéma en 1961 (feue récompense décerné entre 1955 et 1975, qui fut pour le monde du cinéma, un peu ce que le Renaudot est au Goncourt). Ce n'est néanmoins qu'en 1964 qu'il connaît le succès avec Les Parapluies de Cherbourg.

Et quel succès ! La Palme d'Or offre au film une aura internationale, et Demy réalisera en tout 7 films musicaux en 25 ans : certains chantés d'un bout à l'autre comme Les Demoiselles de Rochefort et d'autres où la musique est plus anecdotique comme Peau d'âne. Chez Demy la musique est toujours une échappatoire à la réalité : " le cinéma me permet de rêver, d'exister et de m'engager", aimait-il à dire.

La traversée du desert

Après avoir tenu le haut du pavé et du box office, les CoMu françaises connaissent leur traversée du désert sous le second mandat de Mitterrand (aucun lien, a priori) à la fin des années 80. Et soudain, après 10 ans d'abstinence, en pleine chiraquie, voilà que le vétéran Alain Resnais sort en 1997 On connaît la chanson, qui s'amuse à réinterpréter des tubes en playback. André Dussollier y reprend irrévérencieusement Quoi, ma gueule. Et là, c'est le carton avec près de 2 millions d'entrées. Peut-être est-ce le double effet Chirac, mais 6 mois plus tard sort curieusement le courageux Jeanne et le garçon formidable, avec Virginie Ledoyen et Mathieu Demy (bon, là c'est sûr il y a un lien). Réalisé par un couple (Oliver Ducastel et Jacques Martineau), le film dépoussière le genre et totalise 200.000 entrées, pas si mal pour un premier film, du coup très remarqué.


L'amour ça n'a jamais sauvé personne extrait de Jeanne et le garçon formidable

Cinq ans plus tard, Resnais remet le couvert avec Pas sur la Bouche, un projet plus ambitieux encore puisque cette fois-ci, les acteurs chantent eux-mêmes des textes datant de 1930 (le scénario est l'adaptation d'une opérette d'André Barde, pour les spécialistes que ça intéresse).

Et puis surtout, en 2002, voilà que François Ozon ose 8 femmes, un whodunit tout en chansons (le saviez-vous ? Whodunit vient de l'anglais Who done it? c'est-à-dire « qui l'a fait ? », et désigne une forme particulière de polar qui consiste à déduire l'identité du criminel. Fermons la parenthèse). Isabelle Huppert y délivre un « Message personnel » très différent de la version originale et Emmanuelle Béart rejoue un inoubliable "A pile ou face" qui ringardise définitivement Corinne Charby.


Seule à crever extrait de 8 femmes

Totalisant un impressionnant 3,7 millions d'entrées, le film est un succès total. Total ou presque : nommé 11 fois aux César, il repart pourtant bredouille. Le couperet tombe alors : les professionnels du cinéma français dédaignent donc la comédie musicale, trop populaire, trop chimérique à leurs yeux. Voilà qu'ils font soudain penser aux tristes détracteurs du genre (vous savez, les obsédés des niches fiscales). De là à y voir un signe annonciateur de leur engagement pour Sarkozy trois ans plus tard? mais nous nous égarons. Quoi qu'il en soit, Ozon démontre là que la CoMu heurte les valeurs d'un certain cinéma français, peut cartonner au box office, ou se faire cartonner par la critique. Une situation pas facile à gérer, le cul entre deux chaises (musicales) qui explique peut-être que rares sont les réalisateurs qui s'y aventurent.


Pile ou face extrait de 8 femmes

Christophe Honoré : dans la succession de Jacques Demy

Nous voilà donc en 2007, et le jeune Christophe Honoré, lui, n'a pas eu peur d'en faire son style de prédilection. Entre l'influence indéniable de Jacques Demy et celle plus diffuse de Truffaut, il parvient à éviter l'hommage appuyé pour créer sa propre peinture et redonner des couleurs aux films musicaux.

Les Chansons d'amour utilisent ainsi les musiques de son ami Alex Beaupain, tirées de l'album Pourquoi battait mon coeur. Christophe Honoré explique « Ce ?lm est une comédie musicale parce que les personnages ne peuvent pas exprimer leurs sentiments autrement qu'en chantant. J'aime l'esprit de la comédie musicale: ne jamais se plaindre, ne jamais s'appesantir, s'offrir la possibilité du lyrisme à partir d'une tragédie quotidienne ». Et effectivement, l'une des caractéristiques du cinéma d'Honoré est d'exploiter la personnalité de ses acteurs : pas besoin de transformation physique, Honoré cherche à atteindre la poésie par la justesse. Dans la pratique, il utilise quelques stratagèmes simples : choisir Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni pour jouer le duo mère-fille de son film... Il n'a pas à créer l'alchimie mais juste à la capturer, comme le faisait Demy dans Les demoiselles de Rochefort.

Honoré déclare aimer les comédies musicales pour "produire un décollement du réel". Aborder des thèmes tragiques avec des chansons douces, créer une poésie incertaine, qu'il sait maîtriser.

Nous voilà à la fin de l'été 2011, et Les bien-aimés offre une nouvel opus majestueux à la CoMu française. D'une justesse et d'une poésie absolue, c'est certainement la meilleure comédie musicale depuis Les demoiselles de Rochefort. On y parle de la mort, du sida, de tragédie amoureuse mais sans jamais grossir le trait ou pousser les spectateurs à l'apitoiement.

Dans une interview au magazine les Inrockuptibles, Honoré déclare que " le film essaie en fait de répondre à la chanson de Charles Trénet Que reste-t-il de nos amours? C'est un film sur l'amour et sur le temps qui passe". Répondre à une chanson, n'est-ce pas finalement une belle façon de définir ce que sont les comédies musicales françaises ?


Attend un peu extrait de Les Bien-aimés

Sources: Ina.fr, Télérama.fr; Lesinroks.com ;Fluctuat.net ;Canal-u.tv

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