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La recette pour adapter un conte au cinéma

Dossier | Par Hélène Chevallier, Hugues Derolez | Le 21 avril 2011 à 16h25
Tags : adaptation, conte

Une nouvelle mode, avouons-le totalement insoupçonnée, semble s'imposer à la production cinématographique américaine : l'adaptation de contes pour enfants au cinéma. Alice au pays des merveilles de Tim Burton l'année dernière, deux adaptations de Blanche-Neige à venir, ce qui semblait au départ un événement isolé serait-il en train de se transformer en une nouvelle mouvance cinématographique ? Alors que sort cette semaine Le Chaperon rouge, de Catherine Hardwicke, conte aux multiples lectures qu'on ne pensait jamais revoir au cinéma, revenons sur ces films souvent bigarrés et étranges qui reprennent des histoires ancestrales et tentent l'étrange grand écart d'en produire une version qui plairait aux adultes comme aux enfants.

L'adaptation de contes accompagne pourtant le cinéma depuis ses débuts. Dès 1899, Georges Meliès fait vivre Cendrillon, puis le personnage de Barbe-Bleue en 1901. Indémodables donc, les adaptations de contes jalonnent le 7ème Art jusqu'à devenir un véritable enjeu pour les industries cinématographiques, en attestent les productions hollywoodiennes simultanées de deux versions de Blanche-Neige. Quels ingrédients permettent de réaliser une bonne adaptation de contes sur grand écran ?

Un conte connu de tous
Loin de débusquer des contes inconnus enfouis dans des cartons jaunis d'un grenier poussiéreux, les cinéastes s'attaquent à des contes célèbres qui ont bercé l'enfance de milliers de bambins. Blanche-Neige et Cendrillon face à leurs affreuses belles-mères, l'amour passionnée de la Belle et la Bête, les aventures de Pinocchio et du Petit Poucet, tant d'histoires connues qui, en plus de faire rêver, agissent comme des exutoires pour les angoisses des petits.

Un casting de rêve
Incarner un personnage tiré d'un conte n'est pas chose facile pour un acteur. Chaque lecteur s'est inventé son propre monde et a créé de toute pièce des protagonistes selon son imagination. Difficile donc de choisir des comédiens qui figent alors les traits de ces figures légendaires. Les détracteurs des adaptations avancent comme argument la déception de la représentation et militent pour le pouvoir de l'imagination. Le casting demeure un enjeu fondamental pour réussir une adaptation. Les exemples sont nombreux : Jean Cocteau forme un couple sublime pour interpréter La Belle et la bête en choisissant Josette Day et Jean Marais. De même, Jacques Demy offre à Catherine Deneuve le rôle phare de Peau d'âne :


Fin extrait de La Belle et la Bête

Des costumes, maquillages et effets spéciaux étourdissants
L'imagination débordante des enfants est en partie compensée à l'écran par une ribambelle de costumes extravagants, par un maquillage parfois exubérant et des effets spéciaux à couper le souffle. Évidemment, l'évolution des techniques permet de créer des effets de plus en plus impressionnants mais, comme le montre l'extrait précédent, déjà en 1945, les personnages s'envolaient comme par magie. L'arrivée de la 3D, élément marketing par excellence, confère un aspect féérique (ses ennemis démontrent l'inverse) et ajoute une plus-value à ces adaptations sur grand écran. L'année dernière, Tim Burton a revisité Alice au pays des merveilles, un roman plus qu'un conte mais qui rentre dans cette folie de l'adaptation des histoires pour enfants au cinéma. Lunettes vissées sur le nez, le spectateur pouvait contempler la fusion de l'univers de Lewis Caroll et du cinéaste :


Futterwacken Dance extrait de Alice au Pays des Merveilles

Des adaptations qui se libèrent du texte original
Certaines adaptations restent fidèles aux écrits originaux et collent à l'histoire. Mais, la plupart des cinéastes s'autorisent des écarts par rapport au texte et modifient des aspects du récit traditionnel. Jacques Demy offre une version musicale librement adaptée de Peau d'âne et Andy Tennant propose une adaptation moderne de Cendrillon sous les traits de Drew Barrymore dans A tout jamais : une histoire de Cendrillon. Olivier Dahan, réalisateur de La Môme, porte à l'écran Le Petit Poucet et prend des libertés quant à l'histoire de Charles Perrault. Dans son analyse, Serge Tisseron explique que « Olivier Dahan modifie son récit sur plusieurs points qui font du Petit Poucet version XXIe siècle un monde bien différent du Petit Poucet version XVIIIe. Il met en scène un soldat cruel tout de fer vêtu, tisse une idylle amoureuse entre le Petit Poucet et une jeune ogresse en révolte contre l'autorité paternelle, et fait reposer l'autorité de l'état sur une Reine mère là où Charles Perrault mettait un roi ! ». Dahan propose donc une lecture contemporaine du conte :


Messager d'honneur extrait de Le Petit Poucet

Des versions de plus en plus sulfureuses ?
Et si les contes originaux n'étaient plus que des prétextes à vendre des histoires insensées à un public amateur de sensations fortes ? Dans cette époque de remakes incessants on comprend aisément la démarche des studios de production qui n'hésitent pas à acheter à prix d'or des licences dont le titre, une fois accolé à leur dernier film, leur fera gagner en reconnaissance et en visibilité. L'exemple des contes pour enfants est une véritable aubaine pour eux ; il n'y a souvent aucun droit à payer pour des oeuvres tombées depuis longtemps dans le domaine public.

Le Chaperon rouge, dernière adaptation en date du conte bien connu, n'a, avouons-le, que très peu à voir avec ce qu'on connaît de l'histoire originale. Amanda Seyfried y incarne une version adolescente de l'héroïne, en proie aux doutes, tiraillée entre l'homme qu'elle aime, qui pourrait très bien s'avérer être un loup-garou, et celui qu'elle doit épouser. Comme dans son précédent film, Twilight, autre conte déguisé, la réalisatrice Catherine Hardwicke s'astreint à bouleverser les conventions esthétiques et morales des films pour adolescents. Il y question de guerre des sexes, de transmission des codes et moeurs de génération en génération, d'un apprentissage de la sexualité et d'une petite part d'ombre que chaque jeune fille veut découvrir en elle. Un goût nouveau pour le public, et un miroir réfléchissant sur une génération en recherche de repères.


Don't come near me extrait de Le Chaperon Rouge

Un conte puise sa force dans son caractère indémodable, ses thématiques qui se traduisent différemment selon les époques mais continuent de faire sens. Loin des adaptations plan-plan qu'on connaissait autrefois, notamment celles des studios Disney, Le Chaperon rouge prend le pari d'utiliser le canevas d'une histoire apriori innocente pour la refaçonner en un conte moderne. « Adapter, c'est trahir » dit le proverbe. Mais à force de trahisons, les contes de notre enfance ne risquent-ils pas de finir défigurés ? A l'inverse de leurs glorieux ancêtres, les nouvelles versions des contes deviennent objets jetables, comme le laissait déjà voir l'accueil réservé à Tim Burton et à sa vision d'Alice. Des transpositions grimées, faites sur mesure pour plaire au public de leur époque, mais extrêmement périssables.

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