Massacre au pic à glaçe

Les Diaboliques / Diabolique

Le remake de la semaine | Par Marie Piot | Le 24 octobre 2010 à 18h54

Cette semaine, intéressons nous à un bijou de notre cinéma national, Les Diaboliques, et sa version américaine, Diabolique. Ou comment transformer en quelques tours de main une histoire magistrale en réalisation de bas étage.

Les Diaboliques de HG Clouzot (1955)
En adaptant le roman Celle qui n'était plus de Boileau-Narcejac, Henry-Georges Clouzot fait de ses Diaboliques une oeuvre intemporelle, digne des meilleurs Hitchcock.

L'intrigue reste simple. Christina (Véra Clouzot), institutrice aimante et douce, subit les humiliations constantes de son mari Michel Delasalle (Paul Meurisse). Directeur de pensionnat pour garçons, cet homme tyrannique mène son monde à la baguette, jusqu'à sa maîtresse, Nicole Horner (Simone Signoret), qu'il impose à sa femme et assène d'un coup de temps à autre. Face à leur pitoyable condition, les deux femmes s'allient contre cet homme méprisable, qu'elles décident d'ailleurs de supprimer définitivement.

Du duo infernal émane une tension à couper au couteau. Leurs divergences les rapprochent : Véra Clouzot, femme fragile et brisée, et Simone Signoret, dominatrice et provocante, forment un tandem...diabolique ! Leur situation caricaturale pourrait être cocasse, si l'être qu'elles affrontent n'était pas aussi abject et fourbe. Michel agit avec froideur et sérénité. Nul besoin de crier lorsque votre entourage vous craint profondément. Lorsqu'il souhaite à sa femme de "crever", il le déclame avec gentillesse et courtoisie.

La scène suivante en témoigne


Avale ! extrait de Les Diaboliques

Le décors s'imbrique harmonieusement dans la trame, les acteurs jouent avec une délicate justesse. En bon maniaque du réalisme, Henry-Georges Clouzot dirige sans superflus ni faux semblant. Le cadavre jeté dans la piscine stagnante est un corps bien réel (et bien vivant, puisque c'est un des garde-barrières de l'équipe du film), et les scènes de nuits sont tournées de nuits, avec tous les inconvénients que cela implique.

La musique joue un rôle particulier par son inexistence. Le spectateur ne l'entend que durant 2 min 21 secondes de génériques. Somme toute, une fois assemblés, ces attributs vous glacent le sang, petit à petit, jusqu'à la scène finale, paroxysme de la terreur.

Diabolique de Jeremiah S. Chechik (1996)
D'une manière générale, si les remakes américains permettent une minimisation de la prise de risque des Majors hollywoodiennes, ils ne conservent pas pour autant le caractère unique inhérent à l'original.

Diabolique se veut fidèle justement. L'histoire reste identique, imprégnée du contexte "actuel" (1996 tout de même) où les machines à écrire sont remplacées par les (vieux) ordinateurs et les lunettes noires par des bustiers léopard. La vidange de la piscine, le meurtre ou encore l'humiliation du déjeuner, chaque détail est copié. Pourtant, l'essentiel manque.


Where is the body ? extrait de Diabolique

Voyons maintenant les performances des actrices. Simone Signoret, à la classe provocante, est remplacée par une Sharon Stone certes jolie mais que le jeu de séduction rend clairement vulgaire. Le flirt qu'elle entretien avec Mia (Isabelle Adjani) est en totale opposition avec l'alliance contrainte qu'entretiennent Christina et Nicole, faute de mieux. Sharon Stone garde dans son jeu une ambivalence. Une attitude ambiguë, créée par son assurance quelque peu masculine.


We did what we have to do, and it's done extrait de Diabolique

Jeremiah S. Chechik construit sa mise en scène dans un environnement pieux, que les multiples représentations religieuses rendent stéréotypé. La musique, quant à elle, se veut digne d'une superproduction américaine : lourde, omniprésente et totalement stérile, comme on peut l'entendre dans l'extrait suivant :


Il prend un bon bain ... extrait de Diabolique

Enfin, ce qui pourrait éviter au film un dépeçage total le transforme irrémédiablement en navet. Grâce à la fin de son chef-d'oeuvre, Clouzot gagne ses galons de maître du suspens. Chechik quant à lui gagne à être inconnu. Car, en toute objectivité, massacrer un dénouement mythique avec un simulacre d'Happy End relève du sacrilège !

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