Il était une fois le plat pays

Les Géants : Bouli Lanners offre une nouvelle jeunesse au cinéma belge

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 2 novembre 2011 à 11h40

Au moment de la sortie de Kill me please, nous écrivions « I love you Bouli Lanners ». Aujourd'hui, nos sentiments n'ont pas beaucoup changé. C'est pourquoi, à l'occasion de la sortie des Géants, nous avons rencontré Bouli Lanners autour d'une table ronde. Retour sur le troisième film d'un belge attachant qui cherche, en toute humilité, la meilleure alchimie entre cinéma d'auteur et cinéma populaire.

Une tronche de cinéma

En tant qu'acteur, Bouli Lanners a commencé par traîner sa silhouette de bonhomme de neige dans un cinéma d'auteur à l'humour noir et radical, estampillé « culte », « punk », « trash » et plus si affinités (C'est arrivé près de chez vous, les films de Kervern et Delépine, de Dupontel?). Et puis avec le temps, il s'est mis à jouer dans quelques grosses comédies dites grand public (un second rôle dans Rien à déclarer, notamment, bientôt dans le prochain Astérix). Mais quel que soit le registre et le budget, une image lui colle à la peau : celle du bon gros, de la tronche de cinéma, tour à tour inquiétante et pathétique, ce qui le cantonna longtemps aux rôles de marginaux ou de névrosés (ou les deux).

En parallèle, discrètement, Bouli ajustait sa casquette de cinéaste. Après quelques courts-métrages (dont un au titre programmatique : Non, Wallonie, ta culture n'est pas morte) et un premier film resté assez confidentiel (Ultranova), il tourne Eldorado, un road-trip lumineux suivant les péripéties touchantes d'un dealer de vieilles bagnoles (himself) et d'un jeune cambrioleur. Deux figures de losers magnifiques et grotesques qui passe les buddy movies du cinéma américain des années 70 (L'Epouvantail, Macadam Cowboy) à la moulinette du cinéma grolandais dont il est issu. Mais une fois posée la truculence des caractères et l'absurdité glauque de leurs mésaventures, le tandem nous embarquait sur les chemins de traverse de la tendresse, à la frontière entre la farce potache et le drame champêtre. L'image était douce et lumineuse, nimbée de ballades folk mélancolique. Dans la scène ci-dessous, par exemple, il avait recours à l'un des plus beaux morceaux de Devendra Banhart (Inaniel) :


Travaux de jardin extrait de Eldorado

C'est dans cette même atmosphère tendre et rêveuse que baigne son nouveau film, toujours formellement plus proche des errances du cinéma indépendant américain que du noir et blanc crade et surréaliste des premiers Delépine-Kervern (Aaltra, Avida).

Les Géants, un conte pour les petits adultes

Les Géants, c'est l'histoire de deux frères abandonnés en été par leur mère dans la maison de campagne familiale et qui vont devoir se débrouiller alors qu'ils arrivent à court d'argent? L'occasion aussi de s'amuser en rase campagne avec un autre jeune paumé du coin.

Cette fois, Lanners décide de faire passer les losers, dealers, camés et autres truands à la petite semaine au second plan, ce sont « les méchants » de ce conte moderne. Ils sont là, comme autant de loups mités et maladroits, pour faire sortir les trois petits cochons de leur maison (c'est Lanners lui-même qui s'y réfère dans le dossier de presse). Ils sont le mal nécessaire qui aide les trois jeunes ados abandonnés par leurs parents à grandir, à faire l'apprentissage de la vie pour devenir encore plus grands que les adultes, « des géants » qui « bouffent la vie ». C'est en revenant se placer dans le camp de la jeunesse que Bouli Lanners parvient à renouer avec une forme d'innocence rigolarde à laquelle le cinéma belge, qu'il soit punk ou naturaliste (les Dardenne, Lafosse), avait un peu tourné le dos.

Mais si le ton semble léger en apparence, les confrontations des jeunes avec les voyous de la région surprennent par leur dureté et ramènent le film vers une violence, celle du monde « réel », qui coupe rapidement court à la tentation de se complaire dans un humour juvénile de colonie de vacances sans mono. « Clairement, les adultes sont super durs, ce qui leur arrive (aux jeunes, ndlr) est dur, mais dans les contes, c'est toujours dur. (?) C'est bien d'avoir peur pour eux. Je trouve que ça révèle un sentiment et une conscience d'obligation qu'on a, en tant qu'adultes, de s'occuper d'eux », explique Bouli Lanners.


A travers champs extrait de Les Géants

Les scènes de pures comédies dans lesquelles les jeunes laissés à eux-mêmes s'amusent comme des petits fous à coups de défis culinaires épicés et de bataille de produits de beauté cachent donc un propos et un ton un peu plus sérieux. « L'enfance, c'est beaucoup plus fragile, je sais que ça touche à quelque chose de beaucoup plus profond chez les gens », précise-t-il.

Les Géants fonctionne ainsi comme une sorte de conte non pas pour enfants, mais bien pour adultes. Il y a dans le film de très belles scènes sur un fleuve qui rappellent les plus beaux moments d'un autre conte pour les grands : La Nuit du chasseur. Et comme dans le chef d'oeuvre de Laughton (éternelle source d'inspiration), une fois que les jeunes ont bien dérivé au fil de l'eau, au clair de lune, il nous prend l'envie de les voir retrouver un port d'attache (ce sera la rencontre avec une mystérieuse mamie bienveillante).


La Fuite en Bateau extrait de La Nuit du chasseur

D'une certaine manière, Les Géants opère la synthèse acrobatique de Maman, j'ai raté l'avion et des Quatre cents coups. Trop longtemps, le cinéma belge s'est cantonné au documentaire et au naturalisme social. Bouli Lanners ne s'en cache pas, il creuse le sillon d'un cinéma personnel, certes, mais capable de toucher un public plus large, par la limpidité et l'universalité de ce qu'il raconte. « C'est clair que je fais du cinéma d'auteur très cinéphile mais je veux faire du cinéma d'auteur populaire. ». En une poignée de films et sans aucun nom connu aux génériques, il se pourrait bien qu'il y soit parvenu.

Et si ça vous intéresse d'en savoir plus sur son prochain film, il nous en a un peu parlé :

« C'est l'histoire d'un mec qui rentre dans son bled à la campagne pour régler des problèmes de succession. Ses parents sont morts dans un accident de voiture. Il reste dans le village le temps de régler tous les trucs. Il retrouve un ou deux amis d'enfance et puis à un moment donné resurgit du passé tout un pan de la vie de ses parents qu'il ne connaissait pas et qui va lui ramener un truc super violent. »

Il a pour habitude d'offrir un jambon à celui qui trouvera le titre définitif. Avis aux amateurs.

Images : © Versus Production / DR

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1 commentaire
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Haha « Trouvez un titre au prochain film de Bouli Lanners et gagnez un jambon ! » tout un programme :)
    2 novembre 2011 Voir la discussion...
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