Who's bad?

Depuis quand Liam Neeson est-il badass ?

Dossier | Par Julien Di Giacomo | Le 1 mars 2012 à 14h51
Tags : acteur, carrière

Cette année, Liam Neeson combat des loups, des bêbêtes mythologiques, des aliens et un homme-chauve-souris (celui-là, pas celui-ci). Mais il y a quelques années, ce genre de fantaisies brutales nous auraient paru impossibles. Que s'est-il passé, bordel ?

A serious man

Je me souviens très bien de ma première rencontre avec Liam Neeson : c'était dans l'inglorieux Suspect, une sorte de téléfilm un peu nulasse avec Cher en avocat (pas le fruit, même si ça aurait été plus logique), c'est dire à quel point la chose était invraisemblable. Neeson, quant à lui, y jouait un SDF sourd-muet vétéran de la guerre du Viet-Nâm - rien que ça -, un rôle extrêmement délicat qu'il incarnait pourtant avec beaucoup de talent. Parce que Liam Neeson, avant toute autre chose, c'est un grand acteur dramatique, du genre à n'avoir même pas besoin de parler pour vibrer d'émotion, comme il me le confirmerait plus tard en père infaillible de dévotion dans Le Poids du déshonneur, ou comme, d'une manière plus générale, le monde entier le découvrirait dans La Liste de Schindler.

C'était plié : Liam Neeson était un acteur à Oscars, un genre de Daniel Day-Lewis plus abordable (c'est d'ailleurs lui qui devait au départ être le Lincoln de Spielberg) qui impose le respect par sa présence et son sérieux. Les seules fois où on avait pu le voir en costume, c'était pour incarner des grands personnages historiques (Rob Roy, Michael Collins) ou en tout cas pour jouer dans des fresques romanesques plus que respectables (Le Bounty, Excalibur, Les Misérables). Et même s'il joue effectivement dans les plus légers Love Actually, Husbands & Wives ou Gun Shy, ce ne sont clairement pas là les moments de sa carrière qu'on retient le plus et qui nourrissent l'image qu'on se fait de l'acteur. Même dans Darkman, de Sam Raimi, Neeson fait réellement office de caution dramatique, tout comme il contribuera plus tard à donner de l'acting cred au Batman de Christopher Nolan.


Qui sauve une vie, sauve le monde entier extrait de La Liste de Schindler

La débâcle

Le rôle de Neeson dans Batman Begins est d'ailleurs assez représentatif d'une bonne partie de sa carrière, où il est surtout un personnage de second plan dont les apparitions sont pourtant hautement significatives et mémorables. Dans L'Irlandais, dans Dirty Harry 5, dans Le Bounty, il n'est pas le centre de l'attention, mais il semble incapable d'être pour autant insignifiant. Neeson incarnait une sagesse et une retenue qui font de lui une figure tutélaire qui plane sur tout Gangs of New-York, Star Wars (il est tout de même le mentor du mentor de Dark Vador ET Luke Skywalker, ce qui fait de lui le mentor ultime !) et même Le Monde de Narnia, où il est la voix idéale d'un lion divin. Même lorsqu'il se mainstreamise et profite un peu de la mise en lumière qui lui a été offerte par La Liste de Schindler, il ne joue pas trop dans n'importe quoi, et ne tourne pas trop pour n'importe qui. Puis, d'un coup, Taken.

Si la légende veut que Neeson ait signé pour Star Wars sans avoir lu le script, ce n'est pas un hasard s'il participe à Taken et, d'après le réalisateur Pierre Morel, il était même le premier acteur contacté pour le rôle. Neeson y est un ex des forces spéciales, il annonce froidement à des terroristes qu'il va les buter, exécute lui-même ses scènes de combat comme un bon gros badass entre deux-âges. Pour le coup, Neeson est le "leading man" de la chose qui, avec ses 225 millions de dollars de recettes, change drastiquement le regard du public et de l'industrie sur celui dont est maintenant sûr à 100% qu'il a les épaules nécessaires pour porter à lui tout seul un film d'action riche en bagarres, sans qu'il soit nécessaire de couvrir le tout d'une caution historique ou potentiellement oscarisable. La suite, c'est Taken 2 (à sortir cette année), Unknown, Le Choc des titans et L'Agence tous risques, rien que ça.


Bon chance extrait de Taken

Relativisme décrispé

Evidemment, à partir de ce moment-là, ceux qui avaient connu Neeson pour ce qu'il convient désormais d'appeler son "ancienne" carrière ont commencé à sérieusement what-the-fucker. Pourtant, avec un peu de pragmatisme, on peut tout aussi bien considérer qu'il s'agit là seulement d'une d'incompréhension. Après tout, avec tous les exemples qu'on a déjà cité précédemment dans cet article (et qu'on ne prendra donc pas la peine de répéter ici), on a de quoi allègrement se convaincre que le comédien a plus d'une fois tenté de se départir de son image d'acteur de composition à la recherche d'un Oscar, en titillant du thriller, de la SF ou de la comédie. Et la seule chose qui différencie Taken de ses tentatives précédentes, c'est le succès commercial. Ce revirement soudain n'est donc pas une surprise, mais l'aboutissement d'un virage amorcé il y a bien longtemps. Si Taken avait été un échec et Gun Shy une réussite, Liam serait aujourd'hui perçu comme un acteur de comédie, et c'est ce qu'on lui proposerait principalement...

Maintenant, la vraie question est : cette renaissance de Liam Neeson est-elle problématique ? Absolument pas. D'abord parce qu'après une vie passée à en chier loin de la reconnaissance du public, Liam a bien le droit de se faire plaisir en jouant dans des merdes sur fond vert et, de toute manière, un acteur qui se fait plaisir est presque toujours un acteur qui fait plaisir (c'est le syndrome Nicolas Cage). D'ailleurs, Liam Neeson a pratiqué la boxe de 9 à 17 ans et a également travaillé pour la brasserie Guinness, c'est dire s'il aça dans le sang? Ensuite, ce n'est pas parce que sa carrière a changé de direction que ses talents d'acteur sont à revoir à la baisse : Liam Neeson était un grand, il l'est toujours. Si Taken 2 a l'air à chier, on sait d'ores et déjà qu'on ira le voir, pour la même raison qui faisait de Taken un film regardable en dépit de ses défauts : dedans, on y voit le grand Liam Neeson être un badass, et ça, c'est un kiff qui n'a pas de prix.


Encerclés par les loups extrait de Le Territoire des Loups

Le Territoire des loups, justement, est la preuve que Liam Neeson n'a fait qu'ajouter une nouvelle corde à son arc, sans pour autant se départir de ce qui faisait de lui un bon acteur dans les grands films classiques qui ont construit sa réputation. Après l'avoir utilisé à de pures fins de divertissement dans L'Agence tous risques, Joe Carnahan lui offre cette fois-ci un rôle épais, à la mesure de ceux qu'il proposait à Ray Liotta et Jason Patric dans Narc. Ici, Neeson joue de son imposante stature physique et de l'aura d'homme action implacable qu'il a acquis au cours des dernières années pour être crédible dans son rôle de leader-né responsable de la survie de ses compagnons à travers une nature hostile. On est convaincu que les loups ont autant à craindre Neeson que l'inverse, et ceci aurait été absolument impossible dans la foulée immédiate de La Liste de Schindler? Mais le personnage qu'il incarne est également un type torturé, hanté (comme l'acteur) par la perte de sa femme et à tendance suicidaire, dont l'indéfectible humanité point au milieu d'une froideur et d'un détachement que lui dictent les circonstances ; il s'agit là d'un art de la nuance qui n'est pas à la portée du premier fort-à-bras venu.

Image : © Open Road Films

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