Joue-la comme toi-même

Party Girl : est-on meilleur acteur quand on joue son propre rôle ?

Dossier | Par Carole Thébaud | Le 29 août 2014 à 15h34

Dans les salles cette semaine, Party Girl met en scène, dans son propre rôle, une entraîneuse de bar qui rechigne à prendre sa retraite. Les membres de sa famille que nous voyons à l'écran sont les siens et c'est son fils qui la filme, Samuel Theis, avec deux co-réalisatrices, Marie Amachoukeli et Claire Burger. La difficulté pour le film ? Rester une fiction alors que la frontière entre la vérité et le jeu s'avère particulièrement perméable. Avant le trio de Party Girl, d'autres réalisateurs ont fait le choix de coller au plus proche de la réalité en choisissant des anonymes pour interpréter leurs propres rôles, mais aussi en permettant à des acteurs d'être eux-mêmes à l'écran ou tout simplement en faisant appel à un père et son fils ou à une mère et sa fille pour donner vie à une relation parentale.

Pour Party Girl, Samuel Theis a décidé de filmer la vie de sa mère en s'en inspirant librement. Angelique, une entraîneuse de bar de soixante ans, à la possibilité de choisir une vie plus ordinaire le jour où un fidèle client, Michel, la demande en mariage. C'est en plus l'occasion unique pour elle de se rapprocher enfin de ses enfants, sauf que tout n'est pas rose concernant la vie en couple : le cabaret manque à la future mariée, qui montre des hésitations... Angélique Litzenburger, la vraie, a été entraîneuse de bar pendant plus de 40 ans. Ce monde de la nuit qu'elle a aujourd'hui quitté, elle y a replongé quand Samuel, son fils, lui a demandé de jouer son propre rôle, dans un film grandement inspiré de sa vie. C'est guidé par lui qu'elle a rejoué un moment important de sa vie, le mariage avec un client du cabaret. Dans le film, elle reste un personnage, mais son naturel, son espièglerie et l'intimité entre les membres de sa famille, tous dans leur propre rôle - le reste du casting se compose d'acteurs non-professionnels, majoritairement de la région lorraine, où a été tourné le film - mettent en valeur la nature unique de cette sexagénaire qui ne peut s'empêcher de plaire aux hommes et de faire la fête. 

Jouer son propre rôle pour faire le bilan

Par le passé, d'autres réalisateurs ont choisi pour acteurs des personnes ayant vécu des situations similaires à celles qu'ils voulaient mettre en scène. C'est notamment le cas de Jacques Becker avec Le Trou, qui suit l'évasion d'un groupe de détenus. Pour jouer Roland Darbant, un des rôles principaux, il choisit Jean Keraudy, ancien détenu ayant lui-même participé à une tentative d'évasion. L'authenticité de l'acteur en fait le leader naturel de la manoeuvre dans le film. Le résultat a presque valeur de documentaire tant Becker semble se faire davantage spectateur que directeur de l'action, guettant le moindre détail. Il va jusqu'à réaliser un plan de 4 minutes sur le creusage du trou, intense par ce qu'il montre de l'effort des prisonniers.

Michel Blanc, lui, incarne Michel Blanc dans Grosse fatigue, ainsi que son sosie, parfait au point qu'il se fait passer pour lui, profite de sa notoriété et met l'intéressé dans des situations inconfortables. L'acteur-réalisateur réunit pour l'occasion un casting de comédiens français jouant leurs propres rôles (le scénario s'inspire d'ailleurs d'une mésaventure similaire, arrivée à Gérard Jugnot). La mise en abîme qui s'opère permet à chacun de faire le point sur sa carrière, sous couvert d'interprétation (puisque l'acteur et le personnage partagent la même identité, ce qui est dit dans le film vaut potentiellement pour les deux).

Donner la réplique à sa famille

Pour obtenir une alchimie authentique entre les acteurs, certains réalisateurs n'hésitent pas à caster des membres d'une même famille. Même si tous jouent un rôle, les acteurs ainsi choisis interagissent avec plus de fluidité et de spontanéité. Les réalisateurs de Party girl ont fait ce choix. Ils ont permis aux acteurs d'improviser pour certaines scènes, les laissant libres de s'exprimer comme ils le font dans leur vie quotidienne, donnant ainsi plus de naturel à leur jeu. Cette méthode a bien fonctionné pour À la recherche du bonheur, où la relation entre Will Smith et Jaden Smith renforce à l'écran la connivence entre le personnage du père et celui du fils. Le réalisateur Gabriele Muccino voulait capter une complicité réelle. Le meilleur exemple, explique Muccino, est celui des blagues "toc toc" dans le film. Absentes du scénario original, c'est après avoir entendu le garçon faire une de ces devinettes à son père ("Toc Toc", "Qui est là ?"), pendant les répétitions, qu'il a décidé de les ajouter, afin d'apporter un supplément de légèreté et d'authenticité.

Dans un registre plus intimiste, Alan Rickman utilise la relation entre Emma Thompson et sa mère Phillyda Law dans son film, L'invitée de l'hiver. Les échanges entre les deux personnages - une mère qui s'impose chez sa fille pour l'aider à se remettre de la mort de son mari - gagnent forcément en justesse de ton. Les acteurs ont beau jouer des rôles, la complicité unique de leurs interprêtes, utilisée à bon escient, assure l'alchimie entre les personnages.

Home movie ou film en famille ?

Samuel Theis a pensé qu'il serait intéressant de filmer la vie de sa mère. C'est finalement toute sa famille qu'il a embarqué dans l'aventure, en faisant jouer à chacun son propre rôle. Devant et derrière la caméra, ils ont tous vécu ensemble, et longtemps, bien avant le tournage. L'intimité de cet exercice pousse le film à être vu a priori comme un documentaire. C'est pour éviter cela que Samuel Theis s'est entouré de Marie Amachoukeli et Claire Burger. Ensemble, ils sont passés de la réalité à la fiction. Le trio a pris la décision d'avoir la perspective du mariage pour fil conducteur et, en s'inspirant de la vie d'Angélique, de jouer sur l'opposition entre ses deux familles : le cabaret d'un côté, et ses enfants de l'autre. Le trio de réalisateurs a réussi ensuite à se détacher suffisamment de ses acteurs pour ne pas créer d'amalgame entre le rôle joué et la personne ; manoeuvre délicate puisque la confusion entre les deux était quasiment une donnée de départ.

Plusieurs réalisateurs se sont essayés à ce type d'exercice, comme Francis Ford Coppola avec sa fille Sofia, pour la trilogie du Parrain, bébé dans le premier volet. C'est au pied levé que son père lui confie le rôle de Mary Corleone dans le troisième épisode, afin de remplacer Winona Ryder, tombée malade. John Cassavetes avait fait de cette pratique une habitude. Lui filmait sa femme. Il a travaillé sur dix films avec Gena Rowlands et dans Une femme sous influence, en plus de son épouse dans le premier rôle féminin, Cassavetes filme ses parents. C'est maintenant au tour du fils, Nick Cassavetes de filmer sa mère, dans une collaboration qui compte déjà plusieurs films dont She's so Lovely et N'oublie jamais. Si les progénitures continuent ainsi d'allonger la liste des films en famille - ces films réalisés, écrits ou interprétés par les membres d'une même famille - cette forme particulière de home movie n'est pas prête de s'éteindre.

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