Après Buffy et Taxi, Fargo et Star Wars deviennent des feuilletons

Quand le cinéma sert de brouillon à la télévision

Dossier | Par Adrien Marie, Youenn Blanc | Le 25 août 2014 à 16h57

Les annonces de séries dérivées de films n'en finissent plus. Dernier exemple en date, Minority Report, supervisée par Spielberg himself, s’ajoute à une liste d’annonces déjà bien garnie, dans laquelle on trouve L'Armée des 12 singes, Sin City, The Truman Show, Scream, l'Associé du Diable, etc. Si le phénomène n'est pas nouveau (Indiana Jones, Stargate, Friday Night Lights, Nikita, Terminator et d’autres sont passés par là), il s’accélère, boosté par l'amenuisement croissant du fossé artistique entre les créations du grand écran et celles du petit. Au-delà de l’aspect mercantile, qu'est-ce qui motive la transposition d’un film au format épisodique ? En quoi ce type d’adaptation peut-il être bénéfique à l’œuvre originelle et à ses fans ?

Forte de ses 18 nominations aux Emmy Awards, l’adaptation sérielle de Fargo mène la danse. À la fois très appréciée des critiques, du public et des aficionados du film des frères Coen, Fargo est une réussite dont le succès tient à son parti-pris : plutôt que de raconter la même histoire, la série s’évertue à créer une sorte d’univers parallèle au film d’origine, en racontant une histoire similaire tout en évitant le piège de la simple redite. Un exercice difficile, surtout quand il faut gérer l’héritage d’une création aussi singulière et identifiable que celle des frères Coen. Fargo reprend donc beaucoup de traits du film sans pour autant apparaître comme un remake en plus long : Jerry Lundegaard (William H. Macy) laisse ici sa place à Lester Nygaard (Martin Freeman), le couple Molly Solverson / Gus Grimly est fortement inspiré de Marge et Norm Gunderson, etc. Fargo au format TV, c’est une bouffée d’air frais et un retour savoureux dans l’univers du film, jusqu’à sa scène finale qui fait dans le pur fan-service en reprenant le thème musical de Carter Burwell. Mais est-ce le seul modèle possible pour réussir l’adaptation sérielle d’un film ?

De Duncan MacLeod à Buffy Summers

Opérons tout d’abord une distinction entre les séries qui s'inscrivent dans une logique de cohérence et de continuité avec le film dont elles s’inspirent, et celles qui y puisent simplement leur pitch, pour développer ensuite une œuvre autonome, totalement dissociable du matériau d’origine. Dans cette première catégorie se trouvent par exemple Highlander ou Buffy, séries reprenant le principe de leurs modèles, pour développer de nouvelles intrigues ou carrément opérer un changement de cap. C’est notamment le cas de Buffy. Si le film Buffy, tueuse de vampires est  une comédie d’horreur, la série développe des aspects plus tragiques, se rapprochant ainsi du script initial de Joss Whedon, faisant presque oublier l’existence du film. Un succès que des séries passées (The Crow, Le Transporteur, Esprits Rebelles) ou présentes (Taxi Brooklyn) ont tenté de connaître en s'inspirant elles aussi de films dont on n'attendait pas impatiemment le prolongement, sans y parvenir.

Sans établir de règle générale sur ce que doit apporter une mini-série, on trouve des constantes parmi les adaptations jouissant d’une certaine reconnaissance. L’idée d’une transposition sur le petit écran naît souvent d’un film développant un univers si particulier, original, propice à l’imagination et à la créativité, qu’il donne l’impression de n’avoir pas été suffisamment exploré. Prenons le cas de Stargate SG1 qui a aujourd’hui largement dépassé le film en terme de popularité. Avec son concept de porte des étoiles, Stargate est un film tiroir offrant une infinité de possibilités scénaristiques. Si son impact ne fut pas considérable, le show dérivé est en revanche l’une des séries majeures de la SF, ayant donné lieu à un spin off et à plusieurs téléfilms. Sans Stargate, Battlestar Galactica n’aurait probablement jamais vu le jour.

Space Oprah 

S’agissant de science-fiction et de films exploitant un univers riche, on ne peut passer à côté de la seconde série animée tirée de Star Wars, The Clone Wars, faisant le lien entre les épisodes 2 et 3 de la saga, selon les vœux de Lucas. The Clone Wars s’inscrit dans l’univers étendu de Star Wars, qui comprend les six longs-métrages, les comics, les livres et les jeux vidéo. Malgré les critiques de fans ô combien tatillons (surtout concernant la supposée hérésie Ahsoka Tano, élève d’Anakin alors que ce dernier n’est pas maître Jedi), la série apporte de nombreuses informations complémentaires sur le voyage hyperespace ou la faune spatiale. En revanche, nous n’avons toujours aucune justification concernant les bruits dans l’espace, alors qu’en l’absence d’air, personne n’est censé entendre crier qui que soit…

En plus d’étoffer l’univers de Star Wars, The Clone Wars diversifie les points de vue par rapport aux films : d’un épisode à l’autre, on passe du côté des Jedis, des Siths ou même des clones, qui en profiteront pour se questionner sur leur statut d’arme de destruction. La série est loin de faire l’unanimité, mais elle a le mérite d’apporter encore un supplément de profondeur aux films dont elle est tirée. Une troisième série animée, Star Wars Rebels, débutera d’ailleurs en octobre prochain, afin de faire le lien avec la nouvelle saga de J.J. Abrams.

Faites-moi savoir quand les agneaux ne hurleront plus à vos oreilles

Si certaines séries empruntent au film son univers pour y développer de nouvelles intrigues, d’autres se focalisent sur les personnages, et bien souvent sur leur passé. C’est le cas d’Indiana Jones, Nikita ou Norman Bates. En 2013, Bates Motel a ainsi relaté l’adolescence de ce dernier, ainsi que sa relation ambiguë avec sa mère, avant qu’il ne devienne le tueur de PsychoseHannibal pousse cet aspect à son paroxysme : le charisme d’Hannibal Lecter constitue la raison d’être de la série. En se focalisant sur le passé du personnage et sa relation avec l’enquêteur Will Graham, la série tente d’apporter ce que Dragon Rouge et Les Origines du mal n’ont pas forcément su faire : combler la frustration des spectateurs du Silence des Agneaux, en développant la psychologie si fascinante du psychiatre cannibale.

Là où les suites, remakes et prequels à outrance peuvent être vus comme symptomatiques d’un manque conjoncturel de créativité de la part du cinéma hollywoodien, la décision d’adapter le film en série ne repose pas sur les mêmes intentions. Adapter en série, c’est avant tout prendre de gros risques : si le film n’a pas marché, la série n'intéressera pas grand monde, et s’il a connu au contraire un franc succès, les fans seront d’autant plus exigeants. Le challenge est donc de taille, puisqu’il s’agit de trouver le bon équilibre entre fidélité à l’œuvre originelle et capacité à s’en détacher. De plus, une série peut être annulée, là où la suite, une fois sortie, ne connaît pas le risque d’être décommandée en cas de faibles audiences.

La forme demande également un travail sur la structure narrative pour chaque épisode, ce qui multiplie les chances de se rater, par rapport à un film qui n’a besoin que d’une unique colonne vertébrale scénaristique.

Enfin, adapter un film adulé, c’est prendre le risque de se mettre à dos le cœur de cible de la série : les fans. Pour revenir à Hannibal, il fallait oser reprendre le personnage mythique d’Hannibal, qu’Hopkins incarne (insistons sur ce mot) à la perfection, et que Mads Mikkelsen a réussi à s’approprier, bluffant tout le monde au passage.

Fantasmes de cinéphiles

De nombreuses autres séries, terminées ou en cours d’exploitation, sont les adaptations directes d’œuvres cinématographiques (vous pouvez d’ailleurs retrouver nos listes des films qui ont inspiré des séries et de celles à venir). Le fait pour un show TV de s’inspirer d’un long-métrage n’est en aucun cas garant de qualité, mais en plein âge d’or des séries, il est évident que le temps où la télévision était considérée comme le vilain petit canard du cinéma est désormais révolu. Pourquoi ne pas imaginer à l’avenir des séries adaptées des films qui n’ont jamais connu de suite ? Comment, alors, ne pas rêver à des projets reprenant l’atmosphère de Pulp Fiction, les personnages des Affranchis, le concept d’Eternal Sunshine of The Spotless Mind ou encore l’aspect documentaire de Polisse ? Si la télévision n’est plus le vilain petit canard du cinéma, le cinéma devient, lui, une belle vache à lait pour la télévision, mais il a tellement emprunté à cette dernière - des Incorruptibles à L'agence tous risques, en passant par Mission : Impossible - qu'il peut bien lui donner en retour.

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