Utopia, Skins, The Office : des séries à regarder en V.A. ou… en V.A. ?

Pourquoi faire en américain ce qui marche déjà en anglais ?

Dossier | Par Carole Thébaud | Le 6 octobre 2014 à 14h37
Tags : Séries TV

David Fincher s'apprête à réaliser tous les épisodes de la 1ère saison de la version américaine de la série anglaise UtopiaBroadchurch, elle, vient de donner naissance à Gracepoint, son remake US. La série originale a cartonné partout où elle passée. Au Royaume-Uni, 10 millions de téléspectateurs ont suivi l'enquête sur le meurtre du petit Danny Latimer, dans la bourgade côtière qui donne son titre à la série. En France, près de 7 millions de personnes ont regardé les premiers épisodes sur France 2. Et aux Etats-Unis ? Une programmation en août 2013, mais là-bas, on ne se contente pas de diffuser, on remake. La culture américaine a beau être différente de l'anglaise, qu'est-ce qui justifie de refaire ce qui existe déjà en anglais donc dans la langue des nouveaux téléspectateurs visés ? Le Royaume-Uni est-il si exotique aux yeux des yankees pour que des histoires de meurtre dans le comté de Dorset ou de BD qui rend fou semblent aussi lointaines que si elles se déroulaient en finnois au fin fond de la Laponie ? Avant Broadchurch et Utopia, il y a eu The Office, Skins et même House of Cards : mais passer du britannique à l'américain, est-ce que ça vaut vraiment le coup ?

L'adaptation américaine de séries britanniques est un tel phénomène qu'elle a déjà sa série. Dans Episodes, diffusée sur Showtime, un couple de scénaristes anglais, Berverly et Sean Lincoln, se retrouve à Los Angeles pour rencontrer un producteur de télévision, Merc Lapidus. Ce dernier veut faire de leur série british à succès, une production destinée au public américain. Non seulement le résultat s'avère totalement différent de la création d'origine, mais en plus l'acteur principal (Matt Leblanc) est imposé par la chaîne aux Lincoln, alors qu'il est aux antipodes du personnage de proviseur érudit qu'ils avaient écrit (forcément, Joey de Friends en érudit...). En traversant l'Atlantique pour devenir américaine, une série britannique devient idiote. Heureusement, dans ce domaine, la fiction ne reflète pas la réalité.

Francis Urquhart devient Frank Underwood

Phénomène télévisuel depuis sa diffusion en 2013, House of Cards suit les machinations de Frank Underwood, politicien ambitieux prêt à tout pour prendre les rênes du pouvoir. Netflix, producteur de la série, a présenté cette dernière comme un produit original, avec un cinéaste reconnu aux commandes, David Fincher, et un casting de choix où trônent Kevin Spacey (dans le rôle de Frank) et Robin Wright (dans celui de sa femme), deux acteurs habitués du grand écran (même si Robin Wright a commencé sa carrière dans Santa Barbara, ne l'oublions pas). Le gimmick de Frank, c'est de briser le 4ème mur, d'apostropher le spectateur en s'adressant à la caméra, ce qui reste rare dans une série, plus encore dans une série dramatique, mais fonctionne parfaitement, les monologues piquants d'Underwood étant devenus l'un des atouts du show. Une originalité ? Pas vraiment. Les Anglais sont déjà passés par là. A partir du livre de Michael Dobbs, House of Cards, ils ont développé en 1990 une série intitulée elle aussi House of Cards, sur le même thème (les magouilles politiques), avec les mêmes apartés de la part du personnage principal, un politicien nommé Francis Urquhart. Cette mini-série de 4 épisodes se déroulait dans l'Angleterre thatcherienne. En se l'appropriant, les Américains ont adapté le sujet au climat politique actuel des États-Unis. Michael Dobbs, l’auteur du roman, a travaillé sur les deux adaptations, celle de 1990 et celle de 2013, et estime que la série US est "beaucoup plus sombre" que l’originale. 

House of Cards US n'ignore pas totalement House of Cards UK. Elle lui fait même un clin d'oeil, quand Frank Underwood se fait appeler Francis par sa femme, en référence à son homologue britannique. La version anglaise s'est poursuivie avec d'autres mini-séries, To Play the King en 1993 et The Final Cut en 1995. Près de 20 ans séparent donc la version américaine de sa source d'inspiration. C'est suffisant pour donner l’impression d'imposer quelque chose de nouveau. Plus long, le format de la série US permet un développement plus en détails de l’histoire. Avec succès : dès sa première saison, House of Cards made in USA remporte plusieurs récompenses. 

Un ivrogne anglais n'est pas un ivrogne américain

Suivant la même trajectoire que House of Cards, Shameless s’adapte elle aussi au climat de son pays d'accueil, climat non plus politique mais social. La série suit une famille disfonctionnelle de six enfants avec, à leur tête, Frank Gallagher, un ivrogne au chômage. Cette tragi-comédie s'apparente à un tour d’horizon de la classe moyenne et populaire, abordant de façon objective et sans jugement, la drogue ou l’alcoolisme. Dans l'esprit, Shameless US est la copie conforme de Shameless UK, mais adaptée aux problèmes plus spécifiquement américains. Dans les deux cas, le créateur reste le même, Paul Abott, qui s’est inspiré de sa propre vie pour concevoir les programmes, là encore avec succès, puisqu'aux USA, Shameless en est à sa 4ème saison.

Toutes les adaptations ne réussissent pourtant pas à nuancer ou édulcorer leur tempérament britannique pour devenir de bonnes américaines. C'est le cas notamment de Life on Mars, très british dans la forme comme dans le fond, avec sa bande-son pleine de David Bowie (logique vu que la série emprunte son titre à l'une de ses chansons) et ses nombreuses références historiques et culturelles. Il n'y a pas plus britannique que ce show montrant le commissaire Sam Tyler se faire renverser en 2013 par une voiture et se réveiller en 1973, dans la peau d’un inspecteur sous les ordres d’un chef aux méthodes musclées, en totale opposition avec les siennes. Malgré un casting prometteur (Harvey Keitel dans le rôle du chef bourru, Gene Hunt), la version US n'est qu'une simple copie. Le seul véritable changement est géographique. Les références anglaises et la musique sont conservées. Ca a le goût du british, le parfum du british, mais c'est supposé être de l'américain. Résultat : le show US ne dure qu'une saison. 

CTRL+C / CTRL+V

Les adolescents de Skins deviennent américains en 2011. Le casting, basé sur le même principe que la version anglaise, se compose de jeunes acteurs, inconnus pour la plupart. Comme son modèle, la version US aborde des sujets plus ou moins controversés comme l’homosexualité, la drogue, l’anorexie, etc. Le créateur de Skins, Bryan Elsley, a tenté la même approche en collant de très près à la série originale, en comptant aussi sur le naturel de ses acteurs, au point que plusieurs épisodes sont des copies conformes de ceux tournés au Royaume-Uni. Diffusé sur MTV - un bon choix de chaîne par rapport aux thèmes abordés - le programme n’a pas pris. Pourtant plus soft, l’adaptation se retrouve pointée du doigt par l'Amérique puritaine et ne va pas plus loin que le 10ème épisode, avant d'être tout simplement annulée.

Il existe un copié-collé réussi : The office. Le remake a montré plus de longévité que l’originale, avec 9 saisons côté américain contre 2 côté britannique (mais deux années à chaque fois récompensées aux BAFTA). Ricky Gervais est fier de la série et de sa soeur américaine, dont il est également producteur. Il le prouve d'ailleurs aux Golden Globes 2010, en tant que maître de cérémonie.

Le succès de The Office, pour les deux versions, tient en partie à ses acteurs, principalement le patron - l'anglais David Brent (Ricky Gervais) et l'américain Michael Scott (Steve Carell). Si le pilote de la version américaine est la copie conforme de celui de la version anglaise et reprend exactement son script, la suite se démarque de plus en plus nettement, ne serait-ce que parce qu'elle doit inventer ce que la série originale n'a jamais fait (sept saisons de plus, ça fait beaucoup de nouveautés en perspective).

Gracepoint / Broadchurch, bonnet blanc et blanc bonnet ?

Dernière adaptation en date, Gracepoint - remake de la très réussie Broadchurch - s'annonce a priori comme un pur copié-collé. On y retrouve même un des acteurs principaux, puisque David Tennant reprend son rôle, celui du Capitaine Alec Hardy à Broadchurch, devenu le détective Emett Carver à Gracepoint. La série anglaise commence avec la découverte du corps d’un enfant sur la plage du village côtier de Broadchurch. La communauté est sous le choc et le nouveau capitaine de police (David Tennant), tout juste débarqué dans cette ville où tout le monde se connait, va enquêter et déterrer les secrets de cette bourgade sans problèmes apparents. Avec son unique saison - la deuxième est en préparation - Broadchurch est déjà un succès en Angleterre et en France. En août 2013, la Fox a annoncé une adaptation américaine - reprenant exactement le même pitch - avec à l’écriture, de nouveau Chris Chibnall, créateur de la série originale, alors que la version anglaise venait d'être diffusée (même si c'était sur BBC America). Bien que le showrunner assure que le programme prendra une direction différente de celle de la série anglaise, le trailer promet un clone. Enfin presque : David Tennant, écossais, a perdu son accent en cours de route.

Avec l’originale encore en tête - diffusée aux USA en août 2013 - les comparaisons sur cette adaptation viendront vite. Le remake réussira-t-il à surprendre ? Réponse en cours depuis le 2 octobre aux Etats-Unis, date de la diffusion du premier épisode de Broadchurch US. Pardon, Gracepoint.

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