Le complexe de la main droite

Shame : La masturbation, un plaisir encore coupable au cinéma ?

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 8 décembre 2011 à 11h00
Tags : sexe

Après le choc Hunger, son premier film sur la grève de la faim de Bobby Sands, l'anglais Steve McQueen revient avec Michael Fassbender (dont vous pouvez lire le portrait ici) en cadre new-yorkais accro au sexe sous toutes ses facettes. On aurait donc pu vous parler de porno sur internet, de call girls, d'inconnues lutinées fougueusement dans des ruelles mal éclairées, mais commençons plutôt par le commencement (du film, de la sexualité et du rapport du film à la sexualité) : la masturbation.

Il y a du mal à se faire du bien

C'est à la fin d'un long plan-séquence introductif qu'elle survient pour la première fois. Fassbender est au lit et, connaissant le sujet du film, on se demande s'il ne se remet pas tout juste d'une éreintante séance de sport de chambre. Mais non, c'est le début de la journée : il se lève. Ses préparatifs matinaux, jusqu'à la branlette frénétique sous la douche, sont rythmés par les messages téléphoniques un peu désespérés d'une femme qui s'avèrera être une soeur très collante qu'il essaie d'ignorer. La scène annonce la couleur et aussi le seul principe qui régit l'existence du personnage : fuir les sentiments pour la jouissance, partout, tout le temps. Qu'importe la manière, pourvu qu'il y ait l'ivresse.

Mâchoire saillante et bien serrée, dès le début, on lit sur son visage qu'il a le sexe triste comme d'autres ont l'alcool triste. S'il avait un peu mieux retenu la leçon de ses cours d'économie, il saurait que la satisfaction du consommateur n'augmente pas de manière illimitée (comme l'érection). Il peut améliorer son plaisir en augmentant les quantités consommées, mais il finira toujours par atteindre un seuil limite au delà duquel l'unité supplémentaire n'améliore plus le plaisir, bien au contraire ; la satisfaction se remet à baisser. Voilà pourquoi les gens dépendants comme notre héros sont malheureux.

Mais revenons à nos petites affaires. La séquence de la masturbation revient une deuxième fois dans le film, pour illustrer (si besoin en était) le titre du film : SHAME. Monsieur se masturbe une nouvelle fois dans la salle de bain quand sa squatteuse de soeur le (sur)prend en flagrant délit. Elle prend le parti d'en rire, mais lui réagit très violemment, éprouvant la honte du titre de plein fouet. Le regard de l'autre (et pas n'importe quel autre) le met à nu. Ici, la soeur, complètement décomplexée, a remplacé la mère qui intervient classiquement dans ce type de situations scabreuses. Là où la plupart des cinéastes s'en tirent par l'humour, McQueen ne se départ pas de son pesant esprit de sérieux, comme à son habitude. C'est qu'on ne parle pas ici d'éveil classique de la sexualité, mais bien d'une véritable addiction. Attention, on ne rigole pas avec ces choses-là, ça se traite médicalement et tout...

Il vaut mieux en jouir

Heureusement, avant lui, d'American Pie (on vous épargne « la » fameuse scène) aux Beaux Gosses, comédies graveleuses et autres teen movies se sont largement chargés de dédramatiser cette pratique ancestrale. Papy Woody Allen pouvait même déclarer en 1977 dans Annie Hall : « Ne critiquez pas la masturbation, c'est faire l'amour avec quelqu'un que j'aime ».


Tu te masturbais ? extrait de Les beaux gosses

Cette scène des Beaux Gosses, par exemple, brille par son efficacité en déjouant le schéma attendu : la mère insiste un peu lourdement sur ses doutes alors que « pour une fois » Hervé n'était pas en train de se branler, ce qui a le don de le rendre malade (et nous de nous faire rire).

De l'effet comique, on passe même parfois à l'incongruité qui met le spectateur mal à l'aise, à l'image de cette fameuse scène de masturbation entre Depardieu et son cousin dans Mammuth. La gêne venant non seulement de l'âge des protagonistes mais également du fait que les deux bonhommes se touchent l'un l'autre comme ils aimaient à le faire dans leur jeunesse...


Retrouvailles extrait de Mammuth

Bonnet d'onanisme

McQueen, lui, se contente de la triste banalité de l'onanisme solitaire expédié aux toilettes ou dans la salle de bain. Il fait un film sur la honte et le dégoût de soi. Alors, dans Shame, les scènes de branlette se doivent d'être filmées avec le plus grand sérieux, jusqu'au grotesque. On sent le personnage subir le poids de la morale chrétienne, comme le petit garçon accablé par le prêtre dans Le Ruban Blanc :


L'aveu extrait de Le Ruban blanc

Qu'est-ce qui différencie le fond du film de Steve McQueen des émissions de société ou des spots de pub à la télévision préconisant la plus grande prudence face à l'omniprésence du sexe dans nos sociétés gavées d'images ? Pourquoi ne pas tenter de nous convaincre, tant qu'on y est, que la masturbation rend sourd ou aveugle ?

Dans le dossier de presse du film, Steve McQueen affirme que c'est « un film politique parce qu'il montre comment aujourd'hui la sexualité a évolué par le biais d'Internet et des nouvelles technologies. Il montre comment nos comportements et nos relations s'en trouvent modifiés ». Si telle est l'ambition du film, alors la portée politique du film paraît pour le moins simplette pour ne pas dire carrément puritaine. Si on se fie aux propos de McQueen, on doit en conclure que les excès, les déviances sexuelles du héros résultent exclusivement de l'usage frénétique qu'il fait du sexe sur internet et ailleurs... Quel genre de vieux schnock est-il pour porter un regard aussi caricatural et réducteur sur des pratiques universellement partagées ?

On pourrait objecter que le film porte sur le cas d'un homme particulier et qu'on ne saurait en tirer de conclusions pour l'humanité toute entière. Malheureusement, le propos et la conception très haute que se fait Steve McQueen de son art semblent laisser penser le contraire. D'autant plus que rien dans le film ne nous laisse envisager la possibilité d'une sexualité plus épanouie. Au moins est-il l'incarnation monstrueuse et paroxystique de ce qui ne peut être perçu que comme des dérives regrettables.

On éprouve très vite un sentiment de pitié extrêmement gênant pour ce personnage incapable de vivre heureux en satisfaisant ses pulsions. Le film prend l'allure d'un long chemin de croix, d'une pénitence qui s'achève dans ce final « à la James Gray » (on pense à la scène du suicide raté de Two Lovers) avec l'inévitable pluie qui vient laver les péchés d'un homme détruit.

Enfin, concluons en rappelant que la cinéphilie elle-même est à l'évidence une passion masturbatoire. Parler de travellings et de morale, déjà pour certains, c'est de la « masturbation intellectuelle », mais surtout le rapport fondamental que l'on entretient au cinéma relève plus directement de l'éveil des sens, du fantasme, de la « projection » (hu hu)... Souvenez-vous des garnements des Quatre cents coups qui piquaient les photos des starlettes dans les vitrines des cinémas. « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs » disait l'autre, qui ne croyait pas si bien dire. Woody, encore lui, racontait d'ailleurs à Jason Biggs (la star?d'American Pie) dans Anything Else qu'il s'était branlé en fantasmant un plan à trois « très érotique » avec Marilyn Monroe et Sophia Loren :


Masturbation extrait de Anything else, la vie et tout le reste

Moralité : continuons à nous masturber... avec modération. Et pas de commentaire du genre « c'est qui modération ? » s'il vous plaît.

Bonus : pour aller plus loin, voici un petit top 16 des meilleures scènes de masturbation au cinéma et pour ceux qui voient « le mal partout », il y a cet amusant petit court-métrage de Roman Polanski réalisé pour les 60 ans du festival de Cannes.

Images : © Fox Searchlight Pictures

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1 commentaire
  • Woodcroft
    commentaire modéré Sympa comme article ! Le lien est mort pour le CM de Polanski au passage :( "bloqué pour des raisons de droits d'auteur"
    7 mai 2017 Voir la discussion...
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