L'amour est un collage

The Ballad of Genesis and Lady Jaye : portrait de la réalisatrice Marie Losier

Rencontre | Par Sarah Bonnefoi | Le 25 octobre 2011 à 15h00

La Ballade de Genesis et Lady Jaye n'est pas un simple documentaire musical. Même si son personnage principal reste Genesis P-Orridge, artiste, musicien et performer controversé des groupes Throbbing Gristle et Psychic TV, le sujet du film est aussi l'histoire singulière qu'il vit avec sa femme, Lady Jaye (Jacqeline Breyer). Par amour, le couple a décidé de se fondre en une seule entité (pandrogynie), via des transformations chirurgicale (implants mammaires, chirurgie faciale). Nous avons rencontré Marie Losier, la réalisatrice de ce film étonnant.

Souvent, le hasard fait bien les choses. Marie Losier ne dirait pas le contraire. C'est à la suite d'un concert que la réalisatrice se familiarise avec l'univers du musicien britannique Genesis Breyer P-Orridge. Dès le lendemain, elle lui marche sur le pied par inadvertance, lors d'un vernissage dans une galerie de Soho à New York ; la rencontre se solde en quelques mots par un échange d'adresse email et un « écris-moi », lancé par Genesis. Marie Losier se souvient avoir été émue. « Elle [Genesis] m'a beaucoup touché ; sa personnalité, sa voix, sa présence et sa bizarrerie aussi », se remémore la réalisatrice. Il faut savoir que Genesis Breyer P-Orridge ? née Neil Andrew Meigson ? des groupes Throbbing Ghristle et Psychic TV, est une figure de proue du rock britannique, connue dans le monde entier depuis les années 70 comme précurseur de la musique industrielle. Genesis a fait partie du groupe COUM Transmissions (influence dadaïste), et a été très proche des romanciers William S. Burroughs et Brion Gysin, qui l'ont initiée notamment à la technique du « cut-up ». Personnage atypique, ses réflexions sur le genre ont débuté très tôt et sont inextricables de son art, de ses transformations corporelles et de sa vie amoureuse.

Le destin n'a pas fait les choses à moitié. Pendant sept ans, Marie Losier va filmer, mettre en scène, vivre le quotidien de Genesis Breyer P-orridge, de son entourage et surtout, de sa seconde femme, une jeune artiste dominatrice qui se fait appeler Lady Jaye. « J'ai à peu près cinq ou six heures de rush en 16 mm, et près de soixante heures en HD », indique-t-elle. On ose à peine lui demander comment s'est passé le montage. « J'adore monter seule, c'est comme faire du collage pour moi. Il n'y a pas de synchronisation, tout est fait de couches et d'assemblages. Je ne travaille pas avec un scénario mais avec des dessins. Je tourne et puis au bout d'un moment, il y a des listes qui se créent et qui vont structurer le film. C'est très organique comme façon de procéder », explique Marie Losier. Travail très proche du « cut-up », expérimenté par Genesis dans son art.


prestation vocale extrait de La Ballade de Genesis et Lady Jaye

Non seulement Marie Losier travaille sans équipe, mais elle fait tout elle-même. Les mises en scènes, les costumes, les décors. Son film allie photos d'archives, scènes familiales, interviews de proches et des mises en scène dans lesquelles on retrouve Genesis habillée en oiseau. « Elle adorait se déguiser, je pouvais tout faire avec elle. Il faut dire que l'on travaillait en totale confiance, personne n'avait peur de la réaction ou du jugement de l'autre », indique Marie Losier. La complicité entre les protagonistes et la réalisatrice est évidente, tout autant que celle qui règne au sein de ce couple. « Avec un petit micro et une petite caméra, je restais très discrète. En même temps, le film est le fruit d'une vraie collaboration et de la construction d'une amitié très forte », ajoute-t-elle.

Nul ne peut être indifférent à cette histoire d'amour de quinze ans, qui a généré à la fois la transformation physique du couple, et qui a donné naissance à un projet artistique. Ainsi, Genesis et Lady Jaye portaient les mêmes habits, la même coupe de cheveux, et se sont fait opérer du nez en ensemble pour avoir le même. « J'aurais pu tomber dans tellement de clichés, mais dès les premiers albums et en regardant les photos d'archives de Genesis, on voit que la féminité et les questions de genre sont là depuis le début. Ce n'est que la continuation du cut-up, du collage, de l'écriture et de sa perception de son art », explique Marie Losier. Le film montre à quel point ce processus, dans tout ce qu'il a d'effrayant et d'exceptionnel, était lié à l'amour. Fait intéressant, Marie Losier parle de Genesis, au féminin, tout en ajoutant: « Ceux qui l'ont connu bien avant disent « il », moi je l'ai connu au moment de la transformation et c'était déjà « elle ». Maintenant, elle dit « we », nous. »


Chirurgie plastique extrait de La Ballade de Genesis et Lady Jaye

En effet ce qui ressort ce ne sont pas les clichés sur le rock, la chirurgie esthétique, les tatouages ou le travestissement mais d'avantage le projet du couple. Projet qui a été mis en danger, par la mort de Lady Jaye survenue brutalement en 2007, mais qui a aussi permis au film de se structurer de l'aveu de la réalisatrice. « Ma présence auprès de Genesis était entièrement amicale, parce qu'elle était effondrée. Cela a mis fin à beaucoup de choses, mais elle m'a demandé de revenir pour finir le film en hommage à Jaye, et on a encore travaillé deux ans dessus. Cela a permis d'affiner l'histoire, même si je savais déjà que le centre du film était cette histoire d'amour, tellement forte et improbable. Pour moi, c'est ce qui m'a touché le plus ».

Image : © Epicentre Films

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