Bitchin’

Valley Girl de Martha Coolidge, Et Hollywood créa l’adolescente américaine

Dossier | Par Virginie A. | Le 7 février 2011 à 13h03

« Julie's cool, Randy's hot.
She's from the Valley. He's not. »

Une des raisons persistantes de mon affection pour les teen movies, c'est que, l'économie faite sur le scénario permet souvent de travailler sur une esthétique, un style, une captation du zeitgeist, n'ayons pas peur des mots. Un teen movie, c'est souvent une histoire dont les tenants et les aboutissants tiennent sur un post-it - chose qui, au passage, n'est pas sans rappeler le manifeste du classicisme selon Racine (ressortez votre préface de Bérénice). Plus que l'histoire, ce sont ces variations, ces petites innovations que l'on retient. Ainsi, sur le thème Roméo & Juliette, quelque part entre West Side Story et China Girl, une version angélinienne plus légère est apparue en 1983 : Valley Girl.

L'histoire, assez banale, est celle de Julie (Deborah Foreman), une fille populaire d'un milieu propret de la vallée de San Fernando, qui tombe amoureuse de Randy, le badboy new wave des collines de Hollywood (Nicolas Cage), star-crossed lovers et tout ce qui s'ensuit (sauf la mort - hey, c'est une comédie light).

Soyons honnête, ce film n'a a priori pas vraiment de quoi marquer les amoureux du cinéma. Le film est premièrement passé à la postérité car c'était la première fois que Nicolas Coppola, 19 ans au compteur, était crédité avec son nom de scène, Nicolas Cage. C'est le genre de performance qu'il aimerait sans doute oublier, tant le film constitue un bad hair day géant pour lui (même si, en vrai, sa dentition est encore plus choquante). Et pour info, oui, comme dans TOUS ses films, he loses his shit à un moment :


Fuck you, for sure, like totally extrait de Valley Girl

C'est relativement cheap (les acteurs sont filmés avec leurs propres fringues), pas très bien filmé, ni très bien raconté. Mais Valley Girl témoigne d'une telle sensibilité qu'il est impossible de ne pas ressentir une vraie tendresse au fond de son petit coeur d'artichaut quand Randy fait les yeux de cocker à Julie. Par ailleurs, les dialogues, pour surréalistes qu'ils puissent paraître pour un spectateur non prévenu, sont d'un naturel particulièrement abouti. Mais surtout Valley Girl marque l'arrivée flamboyante d'une nouvelle figure-type de la société américaine qui continue d'avoir une influence durable sur la culture populaire encore aujourd'hui. La valley girl, donc (en gros, la greluche californienne).

Pour l'histoire, le concept de valley girl commençait déjà à être popularisé un an plus tôt, quand Frank Zappa a enregistré sa rejetone de 14 ans sur « valley girl », un titre particulièrement bien nommé. Zappa avait été contacté pour faire la musique du film de Coolidge mais avait refusé. Qu'à cela ne tienne, le film a malgré tout une des bandes originales new wave les plus cools de toute la décennie.


Eaten by the Monster of Love extrait de Valley Girl

Notons que Zappa n'a pas trop aimé qu'un film soit fait, sans son accord, sur un concept dont il revendiquait plus ou moins la paternité (à tous points de vue d'ailleurs). La valley girl, c'est cette fille de classe moyenne proprette bourgeoise, particulièrement matérialiste et superficielle, dont les préoccupations principales se résumeraient à deux mots : shopping et garçons. D'ailleurs, il paraît que Cage avait initialement refusé de faire le film, eu égard au peu d'estime qu'il nourrissait pour les valley girls qu'il avait lui-même fréquenté au lycée. Initialement, le stéréotype est associé à la vallée de San Fernando, cette banlieue bourge de LA, pour finalement englober toutes les blondes superficielles lycéennes.

Derrière ça, c'est une vision légère de l'adolescence qui nous est montrée - la séquence d'ouverture au centre commercial de Sherman Oaks est à ce titre sidérante. Dix grosses minutes quasi-contemplatives d'un shopping spree de 5 copines qui babillent sans qu'on comprenne rien de la conversation, tant l'argot est sybillin. Culturellement parlant, le film a en effet ouvert le monde sur ce microcosme de la vallée angelinienne et, en popularisant le stéréotype de la « valley girl », a révélé ce langage si particulier qu'il est impossible de le reproduire vraiment si on n'a pas grandi en Californie (vous savez, ces phrases dites sur un ton monocorde, entrecoupées de « like », « totally », « bitchin » et j'en passe).


Tripendicular extrait de Valley Girl

Entre ce « valspeak » et le phrasé à la cool de Nic Cage, le film est un cours d'anglais argotique à lui tout seul, et rien que pour ça, il est un pierre de touche dans la culture populaire américaine. Depuis, le "valspeak" est devenu l'argot courant de la plupart des adolescentes américaines et, à l'image du succès surprise de ce film en dépit de son petit budget, la « val gal » est un stéréotype cheap qui a connu un bel avenir, dont les plus beaux exemples sont certainement Cher Horowitz dans Clueless et Elle Woods dans La Revanche d'une Blonde. Ce film est la création d'un stéréotype cinématographique, pour le meilleur et pour le pire.

Avant Cher Horowitz, il y avait donc Julie Richman, et un peu comme pour Cher, le but du jeu n'est jamais vraiment de susciter le mépris, mais plutôt la tendresse amusée. En quelque sorte, ce film, comme plus tard Clueless, met en scène une ravissante idiote, mais pour montrer qu'elle n'a jamais que le défaut de son âge, à savoir une certaine ingénuité. Derrière ce vernis mondain, duquel Julie semble prisonnière, on décèle une réelle sensibilité, une jeune fille en constante représentation qui cherche à s'affirmer à travers une identité rassurante. Finalement, on pourrait se demander si ces dialogues outrés ne sont pas, après tout, une des façons les plus justes de représenter la jeunesse : c'est con, ça veut rien dire, c'est inconséquent, mais surtout, c'est jamais très grave. Ce que Valley Girl illustre avant tout, c'est donc une vision très insouciante de l'adolescence, mais une insouciance malgré tout tendre et sensible. Tout cela ne présage rien quant à la possibilité de ces valley girls de grandir, de se muscler le cerveau et de devenir des individus intéressants ou non, une fois le cocon familial quitté.

D'ailleurs, un jour, un journaliste a demandé à Deborah Foreman ce qu'elle imaginait avoir été le futur de Julie, la première des valley girls, voici sa réponse : « Julie a obtenu une bourse pour aller à Harvard, d'où elle a été diplômée avec mention. Elle a ensuite obtenu une nouvelle bourse pour faire Médecine à Boston University. [pas si dégueu pour une fille qui a un courant d'air dans le cerveau, non ?] Ensuite, elle est devenue docteur en médecine, mais malheureusement, elle a perdu sa licence en raison de son héroïnomanie. Désormais désintoxiquée, elle vit en Californie, où elle s'occupe de l'Autoworld Go Karts et détient le record sur PacMan ». La pauvre. Elle était valgal, elle est devenue geekette. Foutu karma.

   Lire l'interview de Deborah Forman dans lequel elle invente le futur de Julie Richman...

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