Clash / Respect à Venise Inside

Venise 2011 : c'est du sport !

Festival / Récompenses | Par Chris Beney, Hendy Bicaise | Le 5 septembre 2011 à 18h20

À ce stade de la compétition vénitienne, ça devient carrément du sport. On assiste à des joutes endiablées de l'épreuve favorite de tous les festivaliers du monde : le clash / respect. Cette discipline d'origine cannoise (que les puristes appellent aussi La Reilhac) repose sur un subtil équilibre entre bâchage en règle (le clash) et subtiles marques de reconnaissance (le respect).

Ce que l'on sait moins, c'est que cet art sauvage et noble, héritier lointain d'une époque où les comptes se réglaient au gourdin et à la caresse, fait fureur lors des conférences de presse vénitiennes. Ne soyons pas dupes. Si les équipes des films font le voyage jusqu'au Lido, ce n'est certainement QUE pas pour recevoir un Lion.

Non, si elles sont là c'est pour se livrer des battles à distance et tenter de coller la plus grosse teuhon possible aux journalistes qui les questionnent. Le Docteur Ricardo Cornuto, diplômé de la faculté de Venise en clash-respect option cinéma, a accepté de nous recevoir, afin de dresser pour nous l'état des lieux des forces en présence.

Samedi. 13 h 04. Conférence de presse de Contagion de Steven Soderbergh.
Le contexte : Le nouveau Soderbergh s'intéresse à un virus se transmettant par simple contact. Face aux journalistes, Laurence Fishburne est en djellaba, Matt Damon a le crâne rasé et Soderbergh s'en fout.
Les questions-réponses : d'abord à Laurence Fishburne, depuis le fond de la salle. « Vous avez changé vos habitudes depuis le tournage du film ? ». Réponse vénère : « Quoi ?! Et vous êtes où d'abord ? Je ne vous vois pas, montrez-vous ! Je ne me lave pas les mains plus souvent qu'avant si c'est ce que vous voulez savoir... ». Un critique du Boston Herald profite de cette question de fond pour demander à Matt Damon pourquoi il a le crâne rasé. « Steven, vous m'avez déjà posé cette question la dernière fois que je suis venu à Venise ! ».

L'analyse du Dr Cornuto : « Laurence n'a pas oublié que, débutant, il a galéré pour être appelé Laurence plutôt que Larry. C'est un homme complexe et en colère, dont le coeur bat au rythme de sa rancoeur. Il ne supporte pas que l'on fasse référence à son hygiène. Matt, lui, a décidé d'appeler tout le monde Steven. Son interlocuteur sait qu'il se trompe, mais le public croit que Damon se souvient des prénoms de ses intervieweurs. Du coup, il les a tous à la bonne. Fishburne et lui jouent à "good cop, bad cop", mais le méchant est trop méchant. Un peu comme Will Ferrell dans Very Bad Cops. »


Fallait pas l'énerver extrait de Very Bad Cops

Notre verdict : 70 % clash / 30 % respect.

Vendredi. 13 h 15. Conférence de presse de A Dangerous Method.
Le contexte : Cronenberg a le sourire, Keira Knightley aussi, Michael Fassbender rit aux éclats et Viggo Mortensen joue à la peluche. Une équipe cool.
Les questions-réponses : À une journaliste qui lui fait remarquer que A Dangerous Method est son premier film d'époque, David Cronenberg répond que « c'est effectivement mon premier film d'époque, mais alors après Le Festin nu, Spider et même M. Butterfly ». Boum !
L'analyse du Dr Cornuto : « M. Cronenberg prouve à tout le monde que son interlocutrice est une ignorante, avec un doigté incroyable. Sa douce voix et son ton égal n'y sont pas pour rien. On remarquera plus tard qu'en évoquant lui-même le nazisme, il coupe même l'herbe sous le pied de ses haters, en faisant sien le fameux point Godwin. Un clash-respect comme on n'en a peu vu depuis le "tu quoque fili" de Jules César à son fils Brutus, alors que ce dernier le transformait en carpaccio ».
Notre verdict : 40 % clash / 60 % respect.

Vendredi. 12 h 36. Conférence de presse de Un été brûlant de Philippe Garrel.
Le contexte : Philippe Garrel vient en famille, quasiment incognito, puisque (on vous l'a déjà dit) tout le monde est là pour voir Monica Bellucci.
Les questions-réponses : une journaliste française attaque bille en tête et rappelle le mauvais accueil - selon elle injuste - réservé au film, lors de sa projection officielle. Garrel père prend tout cela avec philosophie, sans s'énerver, en rappelant que Godard lui aussi n'a jamais fait l'unanimité, et pourtant, c'est Godard quand même. Son fils en remet une couche, avec un supplément parmesan : une réponse toute en italien, spéciale dédicace aux journalistes locaux. La grande classe.

L'analyse du Dr Cornuto : « Les Garrel jouent avec le feu. Le père se présente implicitement comme le Godard de l'étape. Le fils met dans l'embarras tous les français de la salle, pas même capables de demander une addition dans la langue de Dante. Le risque est réel d'imposer non pas le respect, mais d'inspirer la jalousie et la défiance. Il n'empêche : pour un film noté 2,7 sur 10 en moyenne par la critique internationale, ses créateurs forcent le respect et insinuent l'idée que ceux qui n'ont pas aimé leur travail n'y ont en fait rien compris. C'est fin et élégant. ».
Notre verdict : 20 % clash / 80 % respect.

Samedi. 13 h 40. Conférence de presse de Poulet aux prunes.
Le contexte : Venise et le désert français. À Cannes, qui dit conférence d'un film bien de chez nous dit personne dans la salle. À la Mostra, c'est un peu mieux (l'accueil public a été enthousiaste), mais guère plus.
Les questions-réponses : uniquement des interrogations à base de « Marjane, on s'est déjà vu », « Marjane, votre film, il est trop bien » et « Marjane, moi aussi je suis iranienne ». La réalisatrice est aux anges, et ses mots dépassent ses pensées : « La vie, c'est réaliste », « Poulet aux prunes n'est pas seulement un cri d'amour au cinéma, mais un cri d'amour à l'amour », etc.

L'analyse du Dr Cornuto : « Ce n'est pas du poulet aux prunes qu'a mangé Marjane, c'est du poney au miel farci aux ecstasy. Je n'accuse personne, mais un contrôle antidopage serait nécessaire pour faire la lumière sur toute cette affaire. Que du respect, zéro clash, c'est contraire à l'éthique sportive. Il faut tout de même préciser que la tâche de Marjane n'est pas facilitée par la bienveillance dégoulinante des questions. ».
Notre verdict : Disqualification.

Dimanche. 01 h 10 : projection officielle de Inni, film-concert de Sigur Ros.
Le contexte : Le public est chaud comme une baraque à frites. Des fans du groupe islandais heureux de voir trois de leurs quatre idoles (seul manque Jonsi, le chanteur) assis au milieu d'eux.
Les questions-réponses : après la séance, le modérateur des échanges avec les spectateurs se fait tacler par Kjarri, le clavier, qui « remercie tout le monde d'être venu, mais signale que le son des enceintes latérales du milieu était pourri et qu'il vaudra mieux revoir le film en DVD. ».

L'analyse du Dr Cornuto : « Kjarri est sûrement un fervent supporter de Ségolène Royal, dont il applique la technique du "gagnant-gagnant". Remerciements au public ET bâchage de l'institution qui ne respecte pas ce même public. C'est parfait et ça venge toutes les victimes des très nombreux problèmes de projections déjà rencontrés cette année, allant du volume ahurissant des baffles de la salle du Petit Poucet, à l'origine de nombreux petits saignements d'oreilles, aux arrêts inopinés (plus rien, le blanc) qui ont frappé Contagion et A Dangerous Method. »
Notre verdict : 50 % clash / 50 % respect.

La conclusion du Docteur Pazzo.
« Sigur Ros mène à la marque. 50-50 : c'est l'équilibre parfait. Maintenant que vous avez ce que vous voulez, foutez le camp de chez moi ou je lâche les chiens ».

Pour suivre toute la Mostra de Venise 2011
Chris & Hendy, nos envoyés spéciaux à Venise 2011

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