Analyse #9 : Les Frissons de l'Angoisse

Analyse #9 : Les Frissons de l'Angoisse

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« Les Frissons de l’Angoisse » d’Argento

Histoire du film :

Après avoir réussi trois grands thrillers à succès, « L’Oiseau au plumage de cristal », « Le chat à neuf queues » et « Quatre mouches de velours gris », Argento décide de changer de genre et s’oriente vers la comédie pour la réalisation de son « Cinq jours à Milan », une comédie historique sur une période d’insurrection et de révolution qui eut lieu à Milan en 1848. Complètement démoli par la critique et le public, le film est une catastrophe, ne rencontre pas le succès et Argento lui-même déteste le film. Il produira et coréalisera également une mini-série de quatre épisodes « La porta sul Buio » pour la télévision italienne. Après ses échecs successifs, Argento veut revenir aux thrillers horrifiques qui ont fait sa gloire, devenu très en vogue à l’époque après l’immense succès de son « L’Oiseau au plumage de cristal ». Il base son scénario sur une séquence de « Quatre mouches de velours gris » qui n’avait pas été retenue à l’époque du tournage du film. Une séquence qui mettait en scène une voyante dans un théâtre. Argento écrit alors un scénario en se basant sur cette scène, une intrigue policière totalement différente, très inspirée du « Blow Up » d’Antonioni. Pour rendre hommage à Antonioni il prend le même acteur principal que dans « Blow Up », David Hemmings. Pour compléter le duo d’acteurs principal, Argento choisi, sur les conseils de Bernardino Zapponi, coscénariste du film, Daria Nicolodi pour son premier grand rôle après avoir commencée sa carrière chez Elio Petri. Nicolodi deviendra d’ailleurs la compagne d’Argento après le film, ils auront plus tard une fille, Asia Argento. Mais bien plus que sa petite amie, Daria Nicolodi deviendra une vraie muse pour Argento, qui la fera jouer dans tous ses films d’ « Inferno » à « Opéra », elle collaborera d’ailleurs avec lui dans l’écriture de plusieurs scénarii comme ceux d’ « Inferno » et de « Suspiria ». L’acteur jouant Carlo dans le film est également un des acteurs fétiches d’Argento qui le fera jouer également dans « Inferno » et « Le sang des innocents ». Pour ce qui est de la musique, Argento va chercher un groupe de rock progressif Italien de l’époque, les Goblins, très influencés Pink Floyd, pour des compositions très agressives et des sons discordants étranges. Le leader du groupe, Claudio Simonetti, avait composé deux morceaux pour le film en une nuit, les fit écouter à Argento qui décida de les signer immédiatement. Ils deviendront de grands collaborateurs d’Argento et composeront des musiques pour « Suspiria », « Ténèbres » et « Phenomena ».
Argento tourna le film à Turin en seize semaines, il choisit cette ville qui était, parait-il, l’un des plus haut lieux de culte satanique en Europe, en tout cas historiquement. Pour les effets visuels, Argento s’entoure du légendaire Carlo Rambaldi, qui s’était déjà occupé de « La Baie Sanglante » et qui s’occupera d’ « Alien », « Rencontre du troisième type » ou encore « E.T ». Il est d’ailleurs le créateur de la fameuse poupée que l’on voit dans le film. Les meurtres ont été imaginés pour avoir un vrai impact sur le public, avec des douleurs que l’on connait tous, comme être brûlé par de l’eau bouillante ou se cogner dans des meubles, deux douleurs en rapport direct avec deux meurtres que l’on retrouve dans le film.
Le film a été plutôt bien accueilli par la critique à l’époque qui avait noté l’amorce du virage sémantique du cinéma d’Argento vers l’horreur, virage qu’il empruntera complètement dans la suite de sa carrière avec « Suspiria ». Le film a été salué pour ses mouvements de caméra dynamiques, la façon de filmer les meurtres ainsi que son affiliation avec le « Blow Up » d’Antonioni, la direction des acteurs et également considéré comme étant l’une des meilleure du cinéma d’Argento. La bande originale des Goblins est devenue aussi connue que le film.
Aujourd’hui le film est considéré par de nombreux puristes comme étant le meilleur film de la carrière d’Argento ainsi que le pinacle du genre du giallo, nous allons voir pourquoi par la suite.
Très gros succès en Italie, le film a remporté l’équivalent de 2 millions d’€, à l’étranger il connut un grand succès également mais n’a pas été distribué dans sa version complète, dans des versions qui généralement coupaient les scènes comiques du film. Des restaurations sont sorties par la suite, avec la version longue et originale disponible dans tous les pays.

Analyse :

Une médium, joué par Macha Méril est assassinée. Marc, joué par David Hemmings, est témoin du meurtre, il entend les cris de la jeune femme et accourt à son aide, trop tard. Ayant pourtant assisté au meurtre, il n’a pas pu voir le visage de l’assassin dont il a juste vu la silhouette quitter l’immeuble, silhouette qu’il suppose être du tueur. Plus tard interrogé par la police, il évoque des doutes, dans le couloir rempli de tableaux de l’appartement de la médium, quelque chose semble manquer et avoir disparu, il ne peut cependant évoquer ce qui manque exactement, mais quelque chose semble lui échapper, quelque chose qu’il ne peut expliquer et décrire, une impression. Aidé par une journaliste, jouée par Daria Nicolodi, il va commencer mener l’enquête et va rapidement commencer à comprendre qu’il est lui-même aussi en danger. Cette enquête va l’amené à questionner son regard, les apparences, et ce qu’il croit voir et avoir vu.
C’est donc un retour à la plus pure tradition du giallo pour Argento. On y retrouve les thèmes récurrents, un étranger, dont la nationalité n’est ici jamais évoquée, qui est aussi un artiste, pianiste, est témoin d’un meurtre et se met alors à enquêter, son obsession va l’emmener à découvrir un lourd secret de famille et va surtout le faire se révéler à lui-même. Une des autres caractéristiques du giallo que l’on retrouve, le secret de famille, ici le tueur n’est pas un psychopathe, il tue pour protéger un secret familial traumatique. On pouvait d’ailleurs déjà retrouver cette trame dans « Le chat à neuf queues ». Un des aspects étonnants c’est qu’Argento met en place plusieurs éléments de comédies avec notamment le couple Nicolodi-Hemmings, lui étant plutôt machiste et burné, elle était plutôt sure d’elle et déterminée. Si dans les films précédents d’Argento, il y avait toujours un élément de comédie, que ce soit un personnage, comme celui de Jean-Pierre Marielle dans « Quatre mouches de velours gris », ou certaines scènes. Or ici, les situations sont un peu plus étoffées, peuvent parfois sortir de l’intrigue principal, mais Argento n’en fait pas trop, et place ces scènes dans sa première heure de film, pour donner de la substance à ses personnages, et montrer leur caractère avant l’intrigue, pour mieux nous montrer leur évolution. L’autre innovation majeure dans le cinéma d’Argento, c’est la présence, pour la première fois dans sa filmographie du paranormal, on y retrouve une médium qui lit dans les esprits des gens, une maison hantée, et une enfant démoniaque qu’Argento arrive à filmer d’une manière qui la rend terriblement angoissante et impressionnante. Voir cette petite fille tuant des animaux ne paye pas de mine, mais la manière dont Argento la filme, comme si elle était en prise avec une étrange forme du Mal, un Mal imperceptible, impalpable, mais omniprésent, même dans l’esprit d’une jeune enfant. Argento passe très vite à autre chose et c’est encore plus fort, voir la réaction du père lorsque la petite tue un lézard permet d’alimenter énormément notre imagination, et ne pas s’y attarder nous permet de donner un supplément d’âme à la scène suivante, le vrai grand tour de force du film, la visite de la maison hantée. Après l’introduction d’une étrange force maléfique semblant s’imprégner de la petite fille, Argento réalise une très longue scène d’exploration urbaine, quasiment jamais vu à l’époque. Il y aura deux scènes comme celles-là dans le film. Dans la première, après l’introduction de la petite fille, notre esprit est donc plus fertile pour anticiper l’arrivée de quelques esprits, mais Argento se joue du spectateur d’une façon absolument magistrale. En jouant sur l’utilisation de différents points de vue, Argento donne l’impression que Marc n’est pas seul, allonge sa scène, fait sonner la musique des Goblins, les mouvements de caméra sont flottants, comme épousant le point de vue des esprits hantant la maison. On est probablement ici devant la plus belle scène d’exploration de maisons hantée du cinéma, un grand moment d’angoisse, où rien et tout se passe à la fois, Marc devant être attentif à tous les détails s’il veut espérer résoudre l’enquête. Argento travaille déjà à merveille son ambiance, en rendant le Mal invisible comme surnaturel, il joue sur les cadres et les espaces pour nous faire ressentir l’étrange présence du lieu, les fantômes du passé d’une façon que l’on sache, avant même la révélation finale, que quelque chose d’important s’est passé dans cette maison, qui est toujours imprégné de ce qui s’est passé.
Mais « Les Frissons de l’Angoisse », c’est surtout une grande étude sur le réel, un réel trop difficile à comprendre, un réel qui nous échappe, nous spectateur, et qui surtout échappe au personnage principal.
Pour nous faire ressentir cette perte de repères, Argento use à fond des fausses pistes, le film regorge de personnages à double tranchants, et de situation où tous ce qui est montré est inutile, et où tous les détails dans les coins du cadre sont essentiels. Ce n’est jamais ce qui est montré en première plan qui est le plus important, c’est toujours ce qui se passe dans les cuts rapides, toujours ce qui se passe dans l’obscurité, au fond du cadre qui donne la clé du film. Un des autres coups de génie du film est également de montrer le visage de l’assassin dès le début du film, seulement le regard du spectateur n’est pas dirigé dans la bonne direction par Argento, qui, de par sa mise en scène nous indique de regarder dans une autre direction, le coup de force est total, Argento a assez de confiance dans la puissance de sa mise en scène pour montrer l’assassin dès le début, David Hemmings est dupé, nous sommes dupés.
« Profondo Rosso » est également un grand film sur la persistance rétinienne, le personnage principal ayant vu le visage de l’assassin dès le début, mais il n’a pas bien regardé et analyser ce qu’il voyait, il a beau avoir l’image dans sa tête, il ne peut comprendre ce qu’il manque dans l’appartement puisqu’il n’a pas une image assez précise de ce qu’il a vu exactement. Il doit décoder ce qu’il voit, à l’image de cette pièce emmurée dans la maison hantée, il ne voit qu’une partie d’un dessin qui est la clé de l’intrigue. En cassant le mur, il rentre comme dans un écran, comme si Argento brisait notre écran, au moment où commencent les révélations, nous faisant entrer nous-mêmes, spectateurs, à l’intérieur du film, pour nous expliquer ce que nous avons manqué depuis le début du film, chaque détail auxquels nous n’avions pas donné d’importances, chaque scène dans lesquelles nous n’avons pas assez prêté attention. Argento ne donne que peu d’indices aux spectateurs et au personnage principal, mais toujours des indices visuels, qui devraient être vus, mais notre regard est pointé vers une autre direction. Il nous rappelle que toute image est trompeuse, car cette image n’est créé que d’un seul point de vue, il suffit parfois de regarder les choses un peu plus attentivement ou d’un autre point de vue pour enfin comprendre.
Le final, comme dans la plupart des films d’Argento, n’est pas un happy-end, bien au contraire, bien que l’intrigue soit terminée, et se termine bien , la dernière image que l’on voit, c’est le visage de Marc, à l’envers et en rouge. Comme si après toute cette enquête, le personnage principal se retrouve face à lui-même, rien n’est résolu, le Mal subsistera, ce Mal incontrôlable et incompréhensible qui a provoqué toute cette folie. Si cette vision du Mal est caractéristique du cinéma d’Argento, le plan final sur le reflet d’Hemmings a une portée bien plus métaphysique. Marc, depuis le début est à la recherche d’une image, une image perdue dans sa mémoire, image qu’il recherche pendant tout le film, cette image, c’est son reflet. Ainsi, il acquière une conscience à la fin du film, la conscience d’abord qu’il ne comprend pas le monde, qu’il ne peut voir où il faut, qu’il est dépassé dans un monde où le Mal n’est pas seulement caractérisé par l’assassin mais qui déborde de partout, souvenez-vous de la petite fille, mais aussi et surtout il prend conscience qu’il ne se comprend pas lui-même, et qu’il courrait après son reflet et qu’au final il a fait une boucle, il cherche son reflet, et se cache le visage, car rien n’est plus angoissant que de voir son reflet. Bien plus que la compréhension du monde, c’est la compréhension de soi-même qui est fondamentale.
« Les Frissons de l’Angoisse » est selon moi le beau, le plus complexe et le plus intéressant des gialli, Argento convoque « Blow Up », reprend quasiment le même personnage que dans le film d’Antonioni, pour un résultat en tout point fascinant, au scénario sans bout de gras, ultra tenu, aux interprétations multiples, sur la signification du plan final notamment. Un immense film sur les illusions, Argento se joue du spectateur avec une virtuosité hallucinante. Objectivement, les seuls défauts que l’on peut reprocher sont les scènes comiques, qui pour moi sont justifiées mais qui peuvent ralentir un récit déjà volontairement lent dans sa première heure. La musique des Goblins pourra peut-être en irriter plus d’un, bien qu’elle soit mythique, elle a à de rares moments un petit côté kitsch qui fait aussi le charme des films de cette époque. Pour ma part je considère « Les Frissons de l’Angoisse » comme le giallo ultime, indépassable, et des plus grands films du cinéma Italien et un des plus grands films des 70’s.

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