Critique n°14 : "Mad Max Fury Road" de George Miller.

Critique n°14 : "Mad Max Fury Road" de George Miller.

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Mai 2015, la prolongation de la durée d'ensoleillement commence à se faire ressentir ; certains commencent à flairer le doux parfum de l'été, et salivent devant la traditionnelle moisson des blockbusters estivaux. Moteurs d'une industrie qui peine à se réinventer, ces films aux budgets exubérants donnent le rythme d'une décennie 2010 placée sous le signe du fan service et de la nostalgie ressassée. La mise en série d'une production estampillée Marvel Universe corrobore ce constat amer où chaque entité n’est pensée que dans le but d’amener la suivante. Comble du désespoir, l'année 2015 ne propose pas moins de quatre reprises de célèbres franchises des années 80 ou du début des années 90 : Terminator, Mad Max, Jurassic Park et Star Wars. Comme attendu, les vieilles ficelles et l’absence cruelle d’expansion malgré un matériau foisonnant viendra doucher l'exaltation des plus motivés. Cependant, ce ne sera le cas que pour trois d'entre elles, car là où personne ne l’attendait, un miracle s'est produit et c'est un grand enfant de 70 ans qui l'a initié. Mis en chantier pendant près de 10 années, Mad Max Fury Road ne se montre pas à la hauteur de la saga originelle, il la surpasse et je n’ai plus peur de l’affirmer, il prend date avec l’histoire du septième art pour se hisser à la plus haute marche du cinéma à grand spectacle.

Avec son Fury Road, George Miller dépoussière la mythologie qui a fait son succès et filme avec la hargne d’un jeune homme les nouvelles aventures de Max Rockatansky. D’abord envisagé en image de synthèse après le succès de Happy Feat, Fury Road est finalement tourné de « manière artisanale » en plein désert de Namibie avec une économie d’effets numériques. Le résultat est probant, les cascades et autres effets pyrotechniques sont d’une beauté sidérante, jusqu’à nous faire ressentir le poids du métal sur le sable blanc. De la même manière, les plans d’ensemble éblouissent grâce au large spectre de couleurs vives offertes par le panorama africain. La version black and chrome apporte quant à elle un aspect crépusculaire et une dimension intimiste qui redessinent l’esthétique du film. Au sein du 4e volet de la saga, l’action est quasiment ininterrompue. Pourtant, il est totalement réducteur de le réduire à un film bourrin à l’efficacité redoutable. Si Fury Road est l’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma et le plus unanimement célébré par les cinéphiles sur la décennie 2010, il le doit à des thèmes riches, ancrés dans la modernité sans renier la mythologie passée et surtout déployés à travers un langage cinématographique d’une grande limpidité. En effet, une opinion généralisée stipule que la qualité d’un scénario se mesure à la sagacité des dialogues ou à la complexité du récit. Il n’en est rien. L’essence du cinéma consiste en la construction d’un dialogue entre un auteur et son public par le biais d’une image en mouvement. La puissance des mots et autres twists ne sont que des agréments et ne constituent pas le cœur de l’expression cinématographique. La parole est au théâtre ce que la rétine est au cinéma ou à la peinture. En la matière, Fury Road frappe très fort, chaque plan semble avoir été conçu pour raconter quelque chose à sa manière. Il peut s’agir d’un regard croisé vers une arme pour suggérer une utilisation ultérieure comme d’un cadrage prolongé sur le regard de Furiosa, ouvrant ainsi tout un pan de son passé à l’imaginaire du spectateur. Peu d’auteurs parviennent à une telle maîtrise visuelle. Miller sera d’ailleurs honoré l’année suivante par le statut de président lors du festival de Cannes 2016.

Résolument moderne, l’intrigue de Fury Road se déroule en partie dans « la Citadelle », le bastion d’un clan dirigé d’une main de fer par Immortan Joe. Il s’agit une société patriarcale caractérisée par un culte de la personnalité cristallisé autour d’une religion élaborée sur mesure. Les liens entre le pouvoir et le sacré étant ténus, Joe qui se qualifie immortel inonde les âmes d’illusions, mais néglige les besoins physiologiques de son peuple en distribuant l’eau au compte-goutte. Pour encadrer cette fanatisation, une série de motifs sont implantés ; chaque membre du clan est marqué au fer rouge, des totems constitués de volants et de moteurs V8 matérialisent le culte, enfin, rien ne peut distinguer les War Boys les uns des autres, l’uniformisation des mœurs passe aussi par l’uniformisation de l’apparence physique. Ainsi certaines dérives du 21e siècle font écho au sein de la mythologie crée par Miller. De la même manière, le sacrifice impliquant la mort de l’adversaire est perçu comme l’acte ultime de reconnaissance par la communauté. La mort devient une libération engendrant un paradoxe qu’Epicure aurait renié : si la mort est là, alors je suis ? Curieux… Le personnage de Nux met en lumière ce conditionnement, mais son parcours ouvre la voie à une réversibilité. En effet, son expérience de l’amour et sa maladresse le ramènent à la précarité de sa condition, à son humanité en somme. Son sacrifice a bien lieu, mais il est inversé en acte d’amour.

Fury Road met en scène une fuite, celle des femmes « pondeuses » d’Immortan Joe et d’une Furiosa acquise à leur cause. Au cours du périple, Max vient apporter une assistance précieuse. Abandonnant une société sans libre arbitre, les fuyards se mettent en quête d’un Eden luxuriant en contradiction avec l’aridité des terres désolées. Le souvenir de Furiosa s’apparente vite à une chimère. En voulant tirer un trait sur un passé peu reluisant, Furiosa se raccroche aux bribes de son enfance, de son innocence perdue. Toutefois, les marais ont recouvert l’Eden, l’horizon n’est guère plus engageant. La fuite devient un mirage. Comme le constate Max, « l’espoir est l’apanage des fous si ce qui est cassé ne peut être réparé ». Fury road est un aller-retour matériel dans le désert, mais c’est avant tout un revirement mental. À l’instar de la catastrophe climatique annoncée, la solution ne peut se trouver sur Mars ou Uranus, mais dans notre capacité à remettre en cause un modèle rationalisé. Furiosa comme Max sont en quête de rédemption. Renier leurs fêlures est une erreur, car elles peuvent être la source de leur salut. Furiosa s'est extirpée de sa condition d'esclave pour se hisser au rang d'Imperator, il ne fait nul doute que la victime est devenue bourreau pour réussir au sein de la Citadelle. Pourtant, le charisme assimilé durant cette expérience sera salvateur pour guider la troupe des fuyards dans le désert. Furiosa puisera au bout de ses forces pour sauver Max et le convoi malgré un couteau planté sur son flan. Un acte aux antipodes de son passé imaginé par le spectateur. En ce qui concerne Max, la rédemption passe par un retour à la compassion lorsqu'il offre son sang à une Furiosa agonisante. Sur les terres désolées, le don est en soi une épreuve. De plus, les nombreuses résurgences liées aux événements dramatiques du premier volet de la saga hantent Max tout au long du film, mais finissent par lui sauver la vie lorsqu'un flash le protège d'une flèche par instinct. Une trouvaille peu crédible dans la réalité, mais riche de sens artistique. Nos failles sont-elles le moteur de notre existence ?

Enfin, Fury Road pose l’alternative d'une société nouvelle où l'archi dominance patriarcale cède le pas à une prise de pouvoir féminine. Immortan Joe se voit contester la pleine hégémonie sur ses progénitures. Comme un symbole, les ceintures de chasteté sont abandonnées dans l'étendue désertique. Les garrottées de la Citadelle prennent en main leur destin. Cependant, le constat est similaire à la recherche de l'Eden. Un féminisme radical ne peut accoucher que d'une chimère. Pour réussir, Furiosa et les nouvelles affranchies du dieu patriarche devront collaborer avec Max. Au cours de leur première rencontre, Furiosa et Max s'affrontent malgré la menace directe de leurs poursuivants. Cela met en péril la survie du groupe improvisé. Vouloir faire société sans les hommes est un mirage. Seule la compréhension mutuelle mène à l'équilibre des forces et au renversement des valeurs établies. Au cours de l'épopée, Furiosa s'impose comme l'une des plus grandes héroïnes du cinéma. Au propre comme au figuré, elle dirige les fuyards d'une main de fer et prend rapidement l'ascendant sur Max. Au cours d'une scène sous la forme d'un passage de témoin, Max, impuissant, lui cède son tir. Au retour triomphant à la Citadelle, l'eau est déversée en abondance par les héritières du pouvoir. Une sensibilité différente peut-elle émerger d'une société matriarcale ? Sans doute, George Miller l'envisage avec ses modes d'expressions artistiques. La réalité suivra-t-elle ? En faire l'expérience serait un moyen d'atteindre notre rédemption vis à vis d'un monde sous perfusion. Mais à l'instar de Max, nous pourrions aussi bien demeurer enchainés sur le capot d'un véhicule lancé à pleine vitesse vers une tempête inéluctable

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