Critique n°8 : "Les Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick

Critique n°8 : "Les Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick

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Inspiré de faits réels, les Sentiers de la gloire est l’adaptation d’une nouvelle de Hymphrey Cobb. C’est aussi le quatrième long métrage de Stanley Kubrick et son premier chef-d’œuvre.
Le film dénonce l’absurdité des décisionnaires au cœur d’une guerre de positions. Au scandale du fait divers, Kubrick adjoint une puissance visuelle et des dialogues incisifs qui engendreront une interdiction de projection d’une durée de dix-sept années sur les écrans français.
À l’image des cadavres découverts par un fumigène lors d’une escarmouche dans le no man’s land, le film est une mise en lumière des viscères cachées sous les uniformes impeccables de la grande armée.
Dès le générique, l’exaltation provoquée par la Marseillaise est interrompue par une mélodie plus inquiétante. Kubrick se pose en blasphémateur de l’une des plus puissantes institutions. Le cas français ne sera que la face immergée de l’iceberg.

Retiré au sein d’un luxueux château, le quartier général de l’armée française offre un cadre de travail spacieux et agréable en totale opposition avec la vétusté et l’atmosphère claustrophobe des tranchées. Pourtant, dans ces deux lieux aux propriétés si différentes, une même parade semble avoir lieu. Les gradés y défilent avec la même droiture physique tels des pantins articulés selon un code militaire des plus absurdes. Cette posture reste identique à l’arrière du front ou sous le feu nourri des bombes allemandes.
À l’endroit où réside le pouvoir, les décisions sont stimulées par les honneurs et les distinctions individuelles. Quoi qu’il en coûte. L’individualisme du général s’oppose lui aussi à la tragédie collective que subissent des soldats tributaires des décisions prises au plus haut niveau. Dès que le mécanisme illusoire des honneurs est enclenché, le général ne peut plus admettre le réel. En défilant comme dans une parade au milieu des tranchées bombardées, le général ne peut plus comprendre la déficience morale de ceux qui vivent l’horreur au quotidien. « L’état de choc », les blessures morales n’existent pas selon lui, car elles ne s’inscrivent pas dans une stratégie mathématique des positions de force.

Le colonel Dax est quant-à lui un intermédiaire dans la hiérarchie militaire. Comme le suggère sa profession d’avocat dans le civil, il s’agit d’un personnage cynique. À un général avide, il n’hésite pas à rétorquer : « le patriotisme est le dernier refuge des vauriens ». Mais le décisionnaire est sourd et aveugle, ses espérances se caractérisent par des estimations sur les pertes et profits d’une attaque lancée contre une position ennemie.
Plus de la moitié des hommes devraient périr, un moindre mal pour conquérir quelques centaines de mètres ou plutôt quelques boutons supplémentaires à arborer sur un uniforme. Le patriotisme selon le général ; l’ironie selon Kubrick.
Toutefois, plus nous descendons dans la hiérarchie, moins l’optimisme est de mise. Le colonel Dax défile avec droiture devant ses hommes, mais son visage laisse transparaître une grande empathie pour le sort des condamnés à l’avance. Plus bas, le courage d’un officier chargé d’une escarmouche se mesure à une ration d’alcool prise avant la mission. Même dans l’horreur du no man’s land, la farce trouve un chemin. Par peur l’officier alcoolisé assassine par mégarde un des propres soldats placés sous son autorité. La droiture inculquée par les plus hautes instances ne pèse rien face à la lâcheté de la condition humaine. Dax en a bien conscience et défendra ses hommes avec le cynisme nécessaire pour déconstruire ces puissances du faux.
Comme prévu, l’assaut est une boucherie. La mise en scène de Kubrick impressionne par son long travelling latéral accompagnant la progression du colonel Dax sur le front. De travellings, il sera souvent question dans les Sentiers de la gloire comme dans toute la filmographie de son réalisateur, mais ces « progressions » en langage cinématographique mènent exclusivement à des impasses. Lors de l’assaut, tous les soldats rebroussent chemin ; un travelling accompagne plus tard Dax lors d’un plaidoyer pour réhabiliter trois soldats condamnés à mort pour lâcheté, mais les jurés resteront insensibles à cet acte de bravoure verbal ; enfin, un autre travelling avant accompagne ces trois mêmes soldats vers le peloton d’exécution…
En interprétant la mise en scène de Kubrick, l’homme ne semble concourir qu’à sa perte. Pourtant le pur nihilisme n’atteindra l’esprit du réalisateur qu’à partir de son Docteur Follamour pour irriguer ses œuvres ultérieures. Spartacus, Lolita et peut-être Eyes wide shut dans un ultime sursaut conservent des traces d’humanisme. Au cœur des Sentiers de la gloire, l’humanisme est personnifié par le personnage du colonel Dax (impeccable Kirk Douglas dans ce registre), mais aussi par ses soldats sacrifiés. L’humanisme est parfois paradoxal, mais prégnant comme lorsque l’un des soldats condamnés confesse ne plus avoir de pensées sexuelles depuis l’annonce de sa mort imminente ou contagieux lorsque des soldats humilient une prisonnière allemande avant d’être émus par la sincérité de son « chant du rossignol ». Un témoignage de douceur féminine dans un monde masculin barbare.

Cependant, le climat reste lourd. L’humiliation vécue par la prisonnière interroge sur le caractère banal du pouvoir et du mal.
L’ordonnancement du tribunal militaire est une parodie du réel. Nous retrouvons les mêmes mimétismes lors des déplacements d’officiers. Ces derniers semblent suivre des cases invisibles. Un an plus tard, Tati approfondira ce type de gestuelle pour mettre en scène le modernisme dans Mon Oncle.
Au cours des interrogatoires, l’accusé est ramené à un rôle de pantin que l’on juge sur ses seuls mouvements, c’est-à-dire avancer ou reculer, sans tenir compte de ses expériences sensitives qui font de lui un homme.
Les soldats n’en sont plus vraiment, ils se déchargent des responsabilités les plus sommaires. L’exécution des ordres n’est jamais assortie de réflexion. Quatre années après la sortie des Sentiers de la gloire, Hannah Arendt couvre le procès Eichmann à Jérusalem.

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