Critique n°20 : "Drive" de Nicolas Winding Refn

Critique n°20 : "Drive" de Nicolas Winding Refn

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Drive est le premier film américain de Nicolas Winding Refn. Auréolé du prix de la mise en scène au festival de Cannes 2011, il s’agit du film le plus populaire du réalisateur de Bronson. Un comble pour un artiste qui s’échine pourtant à diviser son monde à chacune de ses œuvres. La suivante, Only god forgive en sera d’ailleurs une réponse plus que jamais clivante. Pourtant, Drive est de la trempe des films cultes instantanés. Pourtant le pari de réaliser un film de voiture esthétique et contemplatif avec une économie de scènes musclées n’était pas gagné d’avance. Drive a su toucher car il parle d’amour à contre sens, et il ne le fait pas n’importe comment.

Au premier plan, la maîtrise de l’espace et du temps sont les maîtres mots. Le protagoniste surplombe la ville. Par un travelling, nous voyageons d’une carte de la ville à la ville réelle surplombée en passant par des informations sportives mises en image via un écran téléviseur. Cette compilation de données aura une importance par la suite. Harmonie de l’image et du son, la préparation et la réalisation du premier casse est accompagnée par le thème musical du groupe électronique Chromatics « Tick of the clock ». Sur le tableau de bord du véhicule, les jauges sont omniprésentes. Le conducteur, notre protagoniste, est impassible, il installe une montre sur le volant. Ainsi, il devient maître des domaines visuels et auditifs. Au cours de la fuite en guise de braquage introductif, il se faufile partout. Son calme à toute épreuve tranche avec la désorganisation apparente de ses complices. C’est un homme de l’ombre qui utilise sa voiture de la même manière, comme un prolongement du corps. La poursuite se termine au stade, un écho à la minutie du premier plan.

En dehors de son travail légal et de ses extras illégaux, le conducteur écume les routes. Dans son appartement, il n’est jamais à sa place. L’intérieur est toujours vide. De plus, il peine à communiquer avec les autres habitants de son immeuble. Lors de ses activités de doublure au cinéma, il porte un masque sans expressivité, et cela semble le caractériser au quotidien. Souhaitant engager la conversation avec sa voisine, il n’y parvient pas, malgré la lenteur de l’ascenseur et le long couloir à remonter pour gagner les appartements respectifs. Seul le hasard d’une panne de véhicule va l’amener à porter assistance à sa voisine, Irène. Cependant, la conversation reste inexpressive. Hors du véhicule, le conducteur n’est jamais dans son élément. La présence d’Irène est le seul élément qui rend distrait le conducteur. Par exemple, il oublie de mettre les roues de son propre véhicule lors de l’arrivée inattendue d’Irène au garage. Dans l’appartement, il fait souvent preuve de maladresse verbale. C’est seulement à bord du véhicule que l’on peut remarquer un sourire éclairant son visage. Symbole de leur relation nouvelle, leur première sortie commune les mènent vers une oasis au bout de l’asphalte. Lors de leur seconde sortie nocturne, les mains sont jointes. La voiture semble être l’unique mode d’expression de notre conducteur.

La narration de Drive met notre protagoniste aux prises avec la grande criminalité de la ville de Los Angeles. Dans le monde des gangsters, on se plaint facilement qu’il n’y a plus de cendrier dans la ville. Malgré les bonnes manières apparentes, un juron amène vite à un coup de poignard planté. Depuis le film noir, la ville américaine s’est modernisée, mais les loups sanguinaires ne résistent pas à l’appel de la nuit (le titre de la chanson phare du générique). Le bassin cassé du garagiste employeur de notre protagoniste témoigne de la manifestation de la violence au moindre écart de conduite. De la même manière, le mari d’Irène, après avoir passé un séjour en prison, rêve de se racheter, de disposer d’une seconde chance. Il n’en sera rien. Les dettes sont fréquentes dans le grand banditisme, le mari doit replonger pour les solder. Il provoquera par ricochet l’entrainement du conducteur dans une spirale infernale. Car, dans le monde criminel, il faut savoir rester à sa place, mais surtout disposer d’une bonne étoile. En quelques scènes avisées, Refn lève le voile sur une Amérique régie par la violence à tous les étages. Le respect gagné par une poignée de main tendue et quelques bons coups réussis ne vaut pas grand-chose face à la compromission d’une respectabilité issue des castes de la mafia.

Notre conducteur devient vite l’homme de trop. Dans l’appartement de la fille, le conducteur voit son reflet dans le miroir, mais il n’est que le troisième homme derrière une photo dévoilant la présence du fils et du mari. Derrière Irène, le mur est systématiquement tapissé d’une couleur chaude, le rouge. En revanche, c’est une tapisserie froide, c’est-à-dire, un bleu pâle qui est toujours à l’arrière du conducteur. La rencontre entre ces deux couleurs, ses variations alimentent l’essentiel du langage cinématographique proposé par le film. La menace semble venir de la course fomentée par le garagiste et ses farouches liaisons, mais cela concerne le domaine de prédilection de notre conducteur, et ce, malgré les menaces explicites des mafieux. Non, c’est le domaine privé et le retour du mari après un séjour en prison qui amènent les complications.

Malheureusement pour la nouvelle relation émergeante entre le conducteur et Irène, c’est par le sang que ce dernier accèdera à la couleur rouge, donc à Irène selon le rapport décrit précédemment. C’est d’abord le sang qui éclabousse son visage dans le motel, puis la forte lueur rougeoyante dans l’ascenseur. Il est notable de relever que le baiser longtemps attendu n’a pas lieu lors d’une ascension, mais lors d’une descente vers le parking sous-terrain. Leur amour ne pourra jamais décoller, même après la mort du mari. L’irradiation provoquée par la violence des coups portés à l’assaillant de l’ascenseur est trop forte pour Irène. Elle dévoile le véritable visage de son ange gardien. Irène reste plantée au milieu du parking tinté d’un gris froid. Par opposition, le conducteur reste quant à lui dans l’ascenseur irradié de lumière. Nous assistons à une inversion du spectre des couleurs, mais pas à un mélange qui serait synonyme d’union pour nos deux protagonistes.

Comme dans l’histoire du scorpion et de la grenouille, peu importe la volonté, il est dans la nature de celui qui porte le blouson au scorpion de piquer. La relation entre ces deux espèces représentées par le conducteur et par Irène n’est pas viable. Au final, le conducteur redevient anonyme en reprenant le masque de cascadeur pour faire le ménage au volant, ce qu’il sait faire le mieux. Après les confrontations, il ne sera plus qu’une ombre comme le suggère le plan où les deux derniers adversaires s’affrontent à l’arme blanche. Cette ombre renvoi déjà notre héros à une présence spectrale. Nous ne saurons jamais l’identité de notre protagoniste. Il ne s’agira que d’une présence arpentant l’asphalte de la cité des anges et ancrée dans le cœur d’une Irène délaissée et définitivement peu chanceuse avec les hommes.

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